Читать книгу Les quartiers pauvres de Paris : le 20e arrondissement - Louis Lazare - Страница 13

X

Оглавление

Table des matières

Deux femmes sont en train de se quereller. L’une, la marchande, est une grosse commère, haute en couleurs et forte engueule. C’est, dit-on, une paysanne des enviions de Bagnolet, dont le grand-père a payé en assignats, à raison de 5 sous le mètre, des terrains qui ont aujourd’hui une valeur de 5 francs. Bon an mal an, ses champs, qu’elle arrondit chaque année, lui rapportent 6,000 livres de rente; elle pleure la misère du temps. L’autre, dont l’apparence est chétive et dont la pâleur révèle la souffrance, est Parisienne et femmes d’un ouvrier parisien. Elle a trois enfants; son mari est ajusteur et travaille rudement. Il est moins à plaindre qu’elle: l’homme fatigué dort la nuit, la femme veille.

— Quand nous étions rue de la Tixéranderie , dit l’ouvrière en soupirant, nous profitions du voisinage des Halles centrales, et j’allais chaque matin faire mes petites provisions au moment où la cloche annonçait que la vente allait cesser. Au lieu de remporter leurs denrées, les marchandes aimaient mieux les vendre à prix réduits, et j’en profitais...

— Il faut y retourner, ma petite, répond la marchande.

— C’est la rue de Rivoli, maintenant, continue l’ouvrière. Les maisons nouvelles dans l’intérieur de Paris n’ont plus de logements pour les pauvres gens. Voyons, soyez raisonnable: combien ces choux?

— Quatre sous la pièce, c’est à prendre ou à laisser.

— Je les laisse...

— Mais, mon bijou, tu ne sais donc pas que les habits noirs qui ont fait ce marché nous font payer huit sous de location par jour et par mètre carré ? Comme il m’en faut six pour être à l’aise, c’est quarante-huit sous que je débourse avant d’avoir vendu un oignon . Il y a des places qui sont à six sous et même à cinq, mais je me garde bien de les prendre: voyez, toutes se t vides.

— Comme les places sont trop chères, répliqua l’ouvrière, à huit ou dix marchandes vous faites la loi et rançonnez les acheteurs.

— J’en use et ça m’amuse, dit la marchande en prenant une prise de tabac, dont une partie va saupoudrer les légumes qui encadrent la grosse commère.

— Si ce n’était pas loin, j’irais aux grandes Halles, mais je perdrais deux heures de travail et cela me coûterait plus cher. Puis comment gravir, chargée comme une mule, la côte Ménilmontant? Allons chez la fruitière, c’est le même prix qu’à ce marché de Puébla.

Et la bonne ménagère retourne chez elle.

Quittons ce marché pauvre, et rendons-nous dans un riche.

Nous sommes dans le marché Saint-Honoré ou des Jacobins , en plein cœur de population commerçante. Cet établissement est superbe, un vrai bazar gastronomique; ici la volaille la plus belle, là les fruits les plus savoureux, partout des amorces appétissantes.

— Combien ce caneton? demande une cuisinière aux formes arrondies, dont un caporal d’ordinaire serait affolé.

— Pour toi, ma toute belle, douze francs; pour ta maîtresse, si elle ose venir, quinze francs.

— Pour ma maîtresse, quinze francs, c’est bien; mais pour moi, dix francs, c’est assez.

— Partageons le différend par la moitié, en honnêtes sœurs.

Et la marchande enveloppe le caneton.

Combien les pêches? demanda un autre cordon bleu.

— La douzaine, vingt-quatre francs.

— Sont-elles de Montreuil?

— Oui, mignonne, de Montreuil, où il pousse aussi des rosières, à l’instar de Nanterre, et contrôlées par la monnaie.

— Vingt quatre francs la douzaine, mais avec cinq sous pour franc, et une pêche pour un ami quelconque, vu que madame les compte...

— Adjugé comme à la vente à la criée.

Eh bien! dans ce marché Saint-Honoré, où l’on voit réunies toutes les primeurs qui peuvent exciter l’appétit languissant des riches, le prix de location des places est le même que dans ce marché de Puébla, situé dans un désert, si pauvrement approvisionné que les femmes des ouvriers ne peuvent même pas y trouver le nécessaire.

Qu’on ose nous dire si ce tarif similaire, appliqué avec la même désinvolture dans le 1er arrondissement comme dans le 20°, est l’acte d’une administration intelligente et sagement distributive.

Les quartiers pauvres de Paris : le 20e arrondissement

Подняться наверх