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V
L’INCENDIE DANS LA FORÊT.

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Table des matières

Vers six heures du soir, les gentilshommes songèrent à partir. Ils demandèrent leurs chevaux, remirent à maître Annibal Cocquenpot le nombre respectable d’écus qu’il leur demanda, bouclèrent leurs ceinturons et quittèrent la table fort gais et en humeur de faire toutes les folies possibles.

Tout à coup Valbreuse se frappa le front.

–Par les cornes de Belzébuth! s’écria-t-il, j’allais oublier deux affaires importantes: en finir avec nos deux quaresme-prenants de tantôt et risquer une treizième déclaration à la belle Maguelonne.

–Je tiens beaucoup à la première affaire, déclara Flossac.

–Et moi davantage à la seconde. Je suis dans un de mes jours d’éloquence, bien en point pour conter fleurette, et je serais un grand criminel de manquer si magnifiques occasions. Mais commençons par le commencement et voyons d’abord nos deux grands squelettes.

Il s’avancèrent vers l’endroit que leur désigna maître Cocquenpot.

Personne n’avait dérangé messieurs de Brisemolle et de Pourfendrac ou soi-disant tels, et les jeunes gentilshommes les aperçurent dans la position où nous les avons laissés, c’est-à-dire, Carados appuyé sur la table, Raguibus mollement étendu sur le plancher, et tous deux plongés dans ce profond sommeil qui est l’apanage exclusif du juste et des ivrognes.

–Corbœuf! s’écria Valbreuse, ils sont ivres comme des lansquenets et ils ronflent comme des sonneurs!

–Pouah! fit Flossac en poussant Raguibus du pied, les dégoûtants coquins.

Taverly, Mareuilles, Belcoudray, Bajolière riaient aux éclats à l’énumération que leur faisait Cocquenpot de tout ce qu’il avait servi aux deux grands efflanqués.

Valbreuse et Flossac étaient furieux. Ils voulaient les éveiller quand même et se venger sur l’heure.

Mais Taverly démontra péremptoirement qu’il ne leur était ) as possible de se battre avec deux misérables complètement pauvres.

Il leur fallut bien se rendre à cette raison, mais ils jurèrent tous deux de faire bâtonner et pendre les deux ivrognes si jamais ils se retrouvaient sur leur route.

–Voilà ma première affaire qui ne se termine pas suivant non désir, dit Valbreuse, j’ai donc double chance pour la réussite de la seconde.

Et il se mit à la recherche de la belle hôtesse; mais il parcourut en vain toute l’auberge, Maguelonne ne s’y trouvait pas. s’informa adroitement et il apprit qu’il y avait au moins une eure, elle était partie toute seule dans le bois sans rien dire. personne n’était inquiet, car cela lui arrivait souvent.

Valbreuse revint l’oreille basse.

Il retrouva ses amis qui entouraient et regardaient le cheval Taverly.

–Oui, messieurs, disait le jeune vicomte, Biscotte est une cellente bête. C’est moi qui l’ai dressée; aussi nous sommes grands amis et tous deux fort contents l’un de l’autre. Elle a jarret solide, le souffle long, peur de rien et je crois qu’elle passerait dans les flammes sans broncher. N’est-ce pas, Bi cotte, ma mie?

Et le jeune homme caressa l’encolure de la vaillante bête Biscotte poussa un petit hennissement joyeux en fixant sur se maître ses grands yeux doux et pleins de feu.

L’attitude et l’élégance de Biscotte furent fort admirées comme Valbreuse était revenu, tout le monde sauta en sellule

–Eh bien! Valbreuse, lui cria Flossac, joyeuse réussi cette fois?

Valbreuse ne répondit pas mais, éperonnant son cheval, s’élança sur la route.

–Allons bon! continua Flossac en riant, nouvelle décor fiture! septième révérence! Décidément, ce pauvre Valbreu: me fait de la peine.

Et les cinq gentilshommes s’élancèrent à la suite de l’amourreux infortuné.

Maître Annibal Cocquenpot du haut de son perron, au-de: sous de sa fameuse enseigne, faisait à ses nobles hôtes des re vérences aussi profondes que multipliées.

Lorsque la joyeuse cavalcade arriva au coude que faisait route en contournant la butte Saint-Louis, couronnée de son vieux château sombre et mystérieux, Raoul de Taverly qui regardait au loin, s’écria:

–Quelle est donc cette épaisse fumée qui monte là-bas Dieu me damne! on aperçoit de grandes flammes!

–C’est probablement répondit Belcoudray qui galopait côté à côte avec lui, un massif de la forêt qui brûle. Par ces temps de chaleur, pareille chose arrive fréquemment.

–C’est un spectacle grandiose! dit Taverly en mettant se cheval au pas et en se levant sur ses étriers pour mieux admirer l’ensemble du tableau qui se déroulait devant ses yeux.

Les autres l’imitèrent.

–La journée est complète, dit Flossac en riant, bataille, joyeux déjeuner et maintenant feu d’artifice!

Certes, jamais feu d’artifice n’a été ni ne sera comparable, malgré l’affirmation légère de Flossac, à la mer de flammes qui se tordaient, rugissaient, étincelaient, sur toute l’étendue du versant gauche de la vallée la Solle, à l’endroit appelé le Mout-Saint-Germain. Depuis le fond de la vallée jusqu’au sommet des crêtes, serpentant dans tous les bas-fonds, grimpant le long des pentes, enlaçant les pics rocheux, se développant en longues girandoles sur tous les faites, des gerbes de feu crépitaient, sifflaient, éclataient, resplendissaient. Les entassements de roches faisaient ça et là des trous noirs dans cette vaste fournaise.

Quand l’incendie qui montait de la vallée atteignait quelque bouquet de genévriers, quelque gigantesque sapin à la tête altière, alors c’était un pétillement inouï, des torrents de fumée âcre et noire, une immense projection d’étincelles, puis les flammes grimpaient dans les rameaux, le crépitement redoublait de fureur, de longues traînées incandescentes s’élançaient dans les airs, et bientôt genévriers et sapins n’étaient plus qu’une longue flamme rouge et calme qui formait un point éblouissant dans l’éblouissement de l’ensemble.

Cerfs, bicbes, chevreuils, loups, sangliers, renards, tous les fauves habitants de cette partie sauvage de la forêt, affolés, terrifiés, fuyaient précipitamment dans une étrange confusion. Par instants des glapissements de détresse, des cris aigus, des sifflements désespérés indiquaient que quelque animal ou quelque reptile, s’étaient laissé surprendre par le feu.

A mesure que la lumière du jour décroissait, l’incendie devenait plus éclatant. Dans l’air obscurci par les flots de fumée, une réverbération rougeâtre planait au-dessus du sinistre, faisant saillir au loin le cadre noir des hautes futaies qui entouraient de toutes parts la montagne flamboyante.

Cette scène de destruction s’accomplissait dans une solitude farouche, sans autres spectateurs que la cavalcade des jeunes gentilshommes et quelques bûcherons endurcis qui regardaient en disant:

–Ça brûle bien, mais ça ne fera pas grands dégâts; des ronces, des genévriers, des bruyères, et par-ci par là des mauvais sapins! Y en a pas pour grand argent!

Et ils s’en allaient sans admirer davantage la sauvage majesté du fléau déchaîné.

Les jeunes gentilshommes étaient silencieux, impressionnés. Les grands spectacles de la rature ont en eux une âpre poésie, une émotion pénétrante, qui frappe les imaginations éclairées d’une terreur grandiose, comme si leur immensité jetait dans l’âme une effrayante idée de grandeur qui l’éblouit et lui dévoile soudain des horizons infinis.

Tout à coup, comme ils étaient à une centaine de pas des premières traînées de feu qu’une petite brise du soir poussait sur le bord de la route, ils entendirent un cri de femme, aigu, sinistre, cri de terreur et d’appel, qui semblait venir du milieu des flammes.

Ils tressaillirent et arrêtèrent leurs chevaux.

–Il y a là, s’écria Taverly en étendant le bras du côté d’où venait la voix, une malheureuse femme surprise par l’incendie! Il faut essayer de la sauver.

–Oui, nous le devons, s’écrièrent les cinq jeunes gens prêts à s’élancer au hasard.

–Ne parlons pas tous ensemble vers le même point, je vous en supplie, dit Taverly en les arrêtant du geste. Éparpillons-nous dans cette lande en embrassant le plus de terrain possible. Nous avons des chances de tomber plus vite sur l’endroit où la pauvre femme est en péril, et une minute peut être le salut pour elle.

Suivant cette indication rapide, les jeunes gentilshommes se dispersèrent dans la lande dénudée qui s’étendait entre la route et les premières pentes de la montagne en feu.

Taverly se trouvait à l’extrémité droite du vaste front qu’ils avaient pris au grand galop pour exécuter la manœuvre indiquée. Un ravin rempli de broussailles et d’herbes sèches se trouvait sur sa route, il le franchit. Presque aussitôt l’incendie lui avait été arrêté dans sa course par une roche barrant le avin, réussit à contourner l’obstacle; une traînée de feu s’élança et une immense barrière de flammes sépara Taverly des cinq autres gentilshommes. Mais il marchait si vite qu’il ne s’en perçut pas.

La fumée l’aveuglait. Dressé sur ses étriers, il suivait la linite sans cesse élargie du feu qui courait dans l’herbe, fouilant du regard les profondeurs flamboyantes du gigantesque rasier.

Tout à coup, un sapin qui s’enflamma inonda de clartés le flanc de la montagne, et Taverly aperçut à trente pas de l’endroit où il se trouvait la silhouette d’une femme debout sur le sommet d’une roche environnée de flammes.

Cette femme, il la reconnut aussitôt.

C’était Maguelonne, la belle hôtesse.

Surprise par l’incendie dans sa course vagabonde à travers la forêt, elle avait laissé échapper dans un premier moment de terreur, le cri d’appel qui avait fait accourir à son secours les deux gentilshommes. Puis, avec son agilité merveilleuse, elle avait escaladé le sommet de cette roche et elle attendait sileneuse, résolue, avec une sorte d’orgueil sauvage, la mort plut que la délivrance. En effet, jusque-là, le feu qui l’entourait avait couru follement dans les herbes et les broussailles, les flammes éphémères qui se développaient n’avaient pas assz de puissance pour l’atteindre, mais le rocher était environné : bouleaux, de genévriers dont les branches touchaient au sommet, et déjà ils commençaient à brûler par le pied, Encore quelques minutes et les flammes montaient à la hauteur de la jeune fille.

Raoul de Taverly avait, en une seconde, mesuré le danger et dressé son plan.

–Courage, Maguelonne! lui cria-t-il. Je viens à votre secours.

En entendant cette voix, qu’elle reconnut, Maguelonne eut un cri de joie suprême. Elle se tourna vers le jeune homme, l’espérance renaissait en elle, et elle lui tendit les bras dans un muet et suprême appel.

–Allons! Biscotte, sois vaillante, ma mie. En avant!

Et, enlevant son cheval, Raoul se lança dans les flammes." Biscotte poussa un hennissement de douleur, mais bondit jusqu’au pied de la roche malgré le feu, la fumée et les blocs de grès épars sur son passage.

–Venez vite! cria le jeune homme en tendant à son tour ses bras à Maguelonne; la flamme monte, vous n’avez pas le temps de descendre.

Maguelonne n’hésita pas, elle s’approcha sur le bord du rocher et se lança dans l’espace. Avec une force surhumaine que le danger décuplait, Raoul la reçut dans ses bras et, sans lui donner le temps de se reconnaître, il l’enveloppa dans son manteau, de peur que les vêtements légers de la jeune fille ne prissent feu en traversant de nouveau la mer de flammes qui s’étendait à chaque instant davantage autour d’eux.

Puis retournant son cheval:

–C’est à toi de nous sauver, maintenant, ma pauvre Biscotte, dit-il en la pressant de ses jambes nerveuses. Moi, je ne; puis plus rien.

Le noble animal se replongea dans la fournaise ardente, frémissant de terreur, la tète droite, le souffle haletant. Raoul, la la bride aux dents, serrait Maguelonne contre sa poitrine. Ce fut cinq secondes d’anxiété terrible. Il suffisait pour les perdre et les livrer à une mort affreuse que le cheval s’abattit ou que le feu prit à leurs vêtements. Derrière eux les arbres flambaient, et le rocher où la jeune fille s’était réfugiée quelques instants auparavant était environné d’un tourbillon de flammes furieuses.

Enfin la vaillante bête atteignit heureusement la limite de la lande incendiée; mais affolée, ayant sur la peau de larges brûlures, elle continua sa course ardente, sans écouter la voix du maître et sans obéir à la pression du mors. Elle s’était jetée dans une route sinueuse qui serpentait au fond d’une gorge étroite et qui conduisait dans les profondeurs les plus sauvages et les moins fréquentées de la forêt. L’incendie disparaissait derrière eux, masqué par une haute futaie qu’ils venaient de contourner, et seule, une lueur rouge au front de la nuit, qui tombait rapidement indiquait l’endroit où l’embrasement continuait à se développer.

Raoul avait réussi à dérouler le manteau dont il avait entouré la jeune fille, mais une sueur froide perla sur son front en sentant s’abandonner, inerte dans ses bras, le corps de Maguelonne.

Etait-elle morte?

N’avait-il réussi à arracher aux flammes qu’un cadavre?

Il eut peur de cette pensée, de ce doute cruel! Il voulut savoir, s’assurer. Une impatience fébrile l’étreignait à la gorge.

Mais le cheval galopait toujours furieusement, franchissant les roches, bondissant par-dessus les troncs d’arbres renversés, à travers les ronces, les genêts et les bruyères. La fuite, dans la nuit, dans l’inconnu, au milieu de cette nature menaçante, de ce cavalier qui emportait une femme inerte comme un cadavre, dont les longs cheveux dénoués flottaient sur la selle, cette course fantastique avait un caractère effrayant et sinistre.

Raoul de Taverly qui pourtant était brave comme l’acier de son épée, se sentit au cœur une crainte secrète. Il avait peur de lui-même.

Il voulut à tout prix arrêter la course folle de son cheval. Alors ne retenant Maguelonne que d’une main, il réunit toute sa force, toute sa volonté; ses jambes comprimèrent les flancs de l’animal affolé et sa main se crispa sur la bride. Après une lutte silencieuse, Biscotte plia sur ses jarrets, ralentit son allure et s’arrêla écumante et effarée.

Raoul descendit aussitôt et déposa la jeune fille sur un tertre de mousse au pied d’un entassement de rochers. Puis il attacha son cheval, qui se calmait peu à peu, à un maigre bouleau qui végétait dans une fissure de la roche.

Ils étaient arrivés au fond d’un ravin, dominé de tous côtés par des pentes rapides et dénudées. Quatre sentiers gravissaient ces pentes et allaient se perdre dans des lointains opposés.

Après avoir jeté un rapide coup d’œil autour de lui, Raoul revint près de Maguelonne. Il releva doucement sa tête et la regarda avec un espoir craintif. Quelques reflets du jour mourant éclairaient d’une Ineur blafarde cette tête pâle, dont les grands yeux ouverts semblaient fixés sur lui.

–Oh! qu’elle est belle!murmura-t-il avec une religieuse admiration.

Soudain il sentit sous sa main frémissante le cœur de la jeune fille qui battait faiblement.

Il se redressa d’un bond, rayonnant d’une joie suprême.

–Dieu soit loué, s’écria-t-il, je l’ai sauvée!...

La belle hôtesse

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