Читать книгу La belle hôtesse - Louis Letang - Страница 8

VI
PERDUS DANS LA NUIT

Оглавление

Table des matières

La nuit, une nuit obscure à peine semée de quelques étoiles, le silence farouche de la forêt, ce fond de ravin entouré de grands rochers noirs qui prenaient dans l’ombre des formes étranges, pénétraient Raoul d’un sentiment grave et profond.

Le visage de Maguelonne, admirablement pur et suave, ressortait éclatant de blancheur sous ses cheveux noirs épars; les formes indécises de son corps noyées d’ombre, apparaissaient avec une harmonie mystérieuse, une grâce céleste, une douceur de contours auxquels la nuit donnait sa poésie pénétrante, son calme grandiose.

Raoul en la regardant avait au cœur une sensation brûlante qui recevait de l’ombre, du silence et de la forêt une grandeur chaste et pure. Les impressions encore fraîches de l’horrible danger auquel ils venaient d’échapper, les flammes rugissantes, leur course fantastique au milieu de cette nature sauvage, leur isolement dans ce ravin désert, maintenaient le jeune homme dans un trouble craintif.

Elle ne revenait pas de son évanouissement.

Lui, sentait un flot de paroles ardentes monter à ses lèvres. Il eût voulu entendre une voix répondre à la sienne.

Mais rien, le silence.

Peu à peu son inquiétude devenait un malaise, et ce malaise une souffrance.

Il en vint à contempler la nuit implacable qui pesait sur sa tête avec colère.

Quelque temps, il chercha dans les creux de rochers un peu d’eau pour asperger le visage de la jeune fille et essayer de ramener la vie sur son visage pâle et glacé.

Mais partout le grès aride, le sable brûlant.

Il escalada l’un des quatre sentiers, et arrivé au sommet, son regard avide essaya de distinguer au loin, mais il ne vit qu’une masse confuse d’arbres, de rochers, dans une obscurité menaçante.

Il redescendit désespéré.

Maguelonne était toujours là, immobile et pâle, comme il l’avait laissée, Il la regarda encore, s’oublia un instant dans cette contemplation et laissa son âme et ses sens l’emporter dans un rêve ardent.

Mais tout à coup il passa la main sur ses yeux:

–Non, dit-il avec résolution, je ne puis rester plus longtemps dans cette sombre profondeur, avec cette enfant évanouie. Il faut chercher du secours à l’aventure et peut-être le ciel nous fera-t-il découvrir quelque hutte de charbonniers ou de bûcherons. Une femme s’y trouvera sans doute et pourra lui donner ses soirs.

Cette résolution prise, il détacha Biscotte que la fraîcheur de la nuit avait tout-à-fait calmée, et, prenant Maguelonne dans ses bras avec mille précautions, il remonta à cheval.

Il laissa au vaillant animal le soin de les diriger, ne distinguant plus dans l’ombre la route qui les avait conduits dans ce bas-fond.

Biscotte livrée à elle-même prit l’un des quatre sentiers et monta doucement comme si elle avait enfin conscience du fardeau délicat qu’elle portait.

Raoul de Taverly tenait la jeune fille dans ses bras robustes En proie à une délicieuse émotion, il fixait ses yeux sur le visage de Maguelonne, puis, de temps à autre, il sondait l’obscurité du regard, cherchant une lumière dans cette ombre.

Un moment Biscotte, qui marchait péniblement dans le sentier encombré de blocs de grès, ayant fait un faux pas, Raoul, pour préserver la jeune fille d’une chute, l’enleva dans ses bras. Ses lèvres furent rapprochées du front de Maguelonne et il effleura ses cheveux d’un baiser rapide. Il sentit soudain qu’une flamme empourprait ses joues et il ferma les yeux avec la sensation d’une violente émotion au cœur.

Tout à coup, le cheval se cabra brusquement avec une terreur subite. Raoul ouvrit les yeux. Il avait déjà la main sur la garde de son épée.

Un grognement s’élevait dans le silence, et il vit dans l’ombre huit points incandescents qui brillaient deux par deux.

–Seraient-ces des loups? murmura-t-il en tirant son épée, prêt à tout événement.

Biscotte demeurait immobile, refusant d’avancer; et. en se penchant sur l’encolure, Raoul vit, accroupis au milieu du sentier, quatre grands corps noirs, prêts à sauter sur le poitrail du cheval s’il faisait un pas.

Le jeune homme hésitait.

Certes, s’il eût été seul, rien ne l’aurait arrêté. Mais exposer la jeune fille à une lutte nocturne dans cet endroit sauvage, il ne s’en reconnaissait pas le droit.

Une voix impérieuse cria soudain dans l’ombre:

–Qui va là?

Raoul ne remarqua pas le caractère menaçant de cette interrogation. C’était une voix humaine, l’espoir d’un secours pour Maguelonne, tout au moins une indication qui lui permit de regagner l’auberge de la Belle-Hôtesse ou quelque endroit habité. Il comprit que sa présence ne devait pas être une menace pour celui qui l’interrogeait et qu’il devait à tout prix donner confiance.

Il se nomma.

–Je suis le vicomte Raoul de Taverly, dit-il. Égaré dans la forêt avec une jeune fille évanouie que je viens d’arracher aux flammes, je demande, pour elle, aide et secours.

–Taverly, reprit la voix, la comté voisine de Puycerdac?

–Précisément! fit Raoul, surpris de voir la position de sa terre connue à cette heure et dans ce bois. Vous me connaissez.

–Non, répondit séchement la voix.

Mais elle reprit aussitôt en s’adressant à une autre personne:

–Roland, calme tes chiens et fais-les taire.

La silhouette d’un homme parut dans le sentier. Il posa successivement la main sur la tête des quatre animaux couchés sur la route.

–Allons, silence! dit-il d’une voix impérieuse, silence, mes braves. C’est un ami.

Les quatre chiens se relevèrent aussitôt et vinrent se ranger derrière leur maître, livrant le passage.

Biscotte fit quelques pas et s’arrêta.

Un autre homme était debout au milieu du sentier. Sa stature puissante se révélait indécise dans l’obscurité.

–Monsieur de Taverly, dit cet homme, nul autre que vous, pour des raisons qui ne vous importent pas, ne serait passé impunément dans ce sentier à pareille heure. Donnez-moi votre parole de gentilhomme que demain vous aurez oublié ce que vous verrez ici. La jeune fille recevra tous les soins que réclame son état.

–Monsieur, dit fièrement Raoul, les Taverly n’ont jamais payé un service rendu par une lâcheté, Vous pouvez avoir confiance en ma parole.

–Je le sais, et c’est pour cela que je me fie à vous. Descendez donc de cheval, je vous prie.

Et pendant que Raoul, surpris par ces précautions et ces paroles mystérieuses obéissait, celui qui avait été appelé Roland se rapprochait, toujours suivi de ses quatre chiens.

–Alors vous ne serez pas des nôtres demain? demanda-til à demi-voix à l’interlocuteur du vicomte de Taverly.

–Non, répondit celui-ci. Demain sera peut-être pour moi une de ces journées qui comptent terriblement dans la vie d’un homme. Mais si j’ai besoin de vous, où vous trouverai-je?

–Nous serons tous les huit au fond des gorges de Franchard. Il y a un vieux solitaire que je guette depuis quinze jours. Nous l’abattrons demain. Je l’ai résolu.

–Bien. J’irai vous chercher là, si je ne puis me passer de votre aide.

–Nous serons, à toute heure, disposés à vous suivre. Vous pouvez compter sur nous.

–J’y compterai peut-être. Bonsoir, Roland.

–Soit. Bonne nuit, Orlando.

Et Roland s’éloigna dans l’obscurité suivi de ses quatre grands chiens.

Orlando se tourna alors vers Raoul de Taverly qui attendait dans le sentier, Maguelonne dans ses bras.

–Votre cheval ne peut nous suivre, dit-il, je vais l’attacher à cette branche.

Puis quand ce fut fait:

–Venez maintenant, continua-t-il, en se dirigeant vers une ouverture noire, dans la muraille de rochers. Vous vous baisserez un peu, car ce n’est pas précisément l’entrée d’un palais.

Taverly le suivit hardiment, quoiqu’un peu étonné de cette suite d’évènements précipités, de cette rencontre mystérieuse et du chemin étrange qu’on lui faisait prendre.

Avant de pénétrer dans le passage étroit, béant devant lui, Orlando se retourna vers Raoul.

–Je vous rappelle, monsieur de Taverly, dit-il, que j’ai votre parole.

–C’est la première fois, répondit Raoul mécontent, que l’on me fait semblable remarque.

–Calmez-vous, reprit Orlando, je ne veux pas vous blesser, mais c’est peut-être aussi la première fois que vous vous trouvez en présence de circonstances aussi graves. Suivez-moi sans crainte, la route est étroite, mais sèche et sans danger.

–Personne n’a jamais tremblé dans ma famille, déclara nettement Raoul, impatienté de tous ces préambules.

Orlando ne répondit pas et pénétra sous la voûte étroite.

Derrière lui, le jeune homme, chargé de son précieux fardeau, s’avança dans les ténèbres.

Orlando marchait lentement et silencieusement.

Ils suivaient une sorte de long couloir étroit qui descendait en pente douce. Le sol était formé de sable frais et sec qui criait sous les pieds.

Il tirent ainsi cinquante pas dans une obscurité profonde, puis Orlando se retourna et dit à voix basse:

–Prenez garde, monsieur le vicomte, le passage fait ici un coude brusque à gauche.

Taverly ralentit encore sa marche déjà très lente et, sa main gauche appuyée au mur, il tourna l’angle avec une foule de précautions pour ne pas heurter la jeune fille à quelque saillie du rocher.

Ils s’avancèrent encore une vingtaine de pas dans la nouvelle direction, puis Orlando démasqua une ouverture qui donnait accès dans une sorte de grotte éclairée par une torche fixée au mur. C’était une salle naturelle de huit ou neuf pieds de hauteur, avec autant de largeur et le double de longueur.

Dans un coin, un lit de feuilles recouvert d’une couverture de laine, au-dessus duquel pendait une panoplie d’armes: deux arquebuses, plusieurs paires de pistolets, des épées, des poignards et de longs épieux.

Après que Raoul eut pénétré dans cette grotte, Orlando qui attendait son arrivée lui dit:

–Veuillez demeurer ici un instant, il faut que je prévienne la maîtresse.

Et sans attendre la réponse du jeune homme, il souleva une tapisserie brune qui masquait une ouverture au fond de la salle et disparut.

Raoul était muet d’étonnement, tout ce qui lui arrivait en cette soirée tenait du fantastique.

Il y avait donc une femme dans ce réduit étrange?

Comment cet homme connaissait-il son nom?

De quelle circonstance grave avait-il voulu parler?

Pourquoi lui seul pouvait-il sur sa parole pénétrer un coin de ce mystère?

Un regard qu’il jeta sur Maguelonne fit taire toutes ces questions qui surgissaient dans son esprit.

Il alla déposer la jeune fille sur le lit de feuilles sèches, et contempla son visage à la lueur de la torche. Il lui sembla que il ses lèvres étaient moins pâles et que ses narines frémissaient doucement. La petite main qu’il prit dans les siennes lui sembla plus chaude, et il crut apercevoir son corsage, ce corsage virginal qu’il n’avait pas osé entr’ouvrir, onduler légèrement comme sous l’effort d’une respiration qui s’éveille.

Pendant ce temps, Orlando avait pénétré dans une seconde salle beaucoup plus haute et plus spacieuse que la première, Des bougies de cire, qui brillaient dans un candélabre à six branches, éclairaient cette salle et faisaient resplendir çà et là, sar les parois des murailles de grès qui n’étaient pas recouvertes de tentures, les facettes cristallines des incrustations de quartz pur.

Un épais tapis couvrait le sol.

Un lit à grands rideaux était au fond.

C’était, avec une grande table massive, tout l’ameublement de cette pièce. Les bois grossièrement équarris à la hache avaient dû être montés dans la salle même.

Devant la table, dans un fauteuil à haut dossier, une femme était assise.

Une femme à l’aspect étrange.

La tête d’une pâleur de marbre était couronnée d’une épaisse chevelure blanche comme la neige. Il avait dû passer sur ses traits rigides et calmes quelque souffle effrayant de fatalité. Seuls, les yeux avaient conservé leur vivacité et toute leur jeunesse; d’une grandeur étonnante, noirs, brillant sous la blancheur des sourcils, ils illuminaient d’éclairs passionnés le visage immobile et froid.

Cette femme était d’une beauté sculpturale. Elle semblait une blanche statue qui conservait la vie lorsque le cœur était mort, une ombre retenue à la terre pour l’accomplissement de quelque tâche terrible. Parfois sont regard, tout ce qui vivait en elle, en se levant vers Dieu disait: espoir! et parfois en s’abaissant sur la terre avec un flamboiement terrible, signifiait: vengeance!

Sur la table, devant elle, étaient étalés des parchemins qu’elle lisait attentivement. Puis de l’autre côté rangés sur la même ligne et la regardant attentivement, un singulier assemblage d’animaux: un chat noir, une chauve– souris, un hibou et deux corbeaux. Plus près, sa tête plate sur le parchemin qu’elle lisait, une grande couleuvre, ses anneaux déroulés, fixait sur elle ses yeux ronds et immobiles.

Au bruit que fit Orlando en soulevant la tapisserie, cette femme tourna lentement la tête. Nul des animaux ne bougea.

–Eh bien! Orlando, demanda-t-elle avec un puissant intérêt, est-il venu?

–Oui, tout va bien, maîtresse. Mais ce n’est pas de lui que je veux vous parler maintenant,

–Et de qui donc? interrogea-t-elle surprise.

–Du vicomte Raoul de Taverly.

–Le fils du comte Hugues?

–Oui, madame.

–Ce doit être un brave et beau jeune homme. dit-elle lentement; puis avec vivacité: Où est-il? que veut-il?

–Il est ici même, répondit Orlando, et il désire l’aide d’une femme pour secourir une jeune fille qu’il a sauvée de l’incendie qui brûle au Mont-Germain. Tout à l’heure dans le sentier, les chiens de Roland allaient se jeter sur lui lorsqu’il s’est nommé et à demandé notre secours. Il était seul, égaré dans la forêt qu’il ne connaît pas, avec cette enfant dans les bras. J’ai pensé que nous pouvions confier à sa loyauté le secret de notre asile que, d’ailleurs, nous abandonnerons bientôt, et je l’ai amené. Ai-je bien fait, maîtresse?

–Oui. bien fait. Orlando. dit-elle d’une voix lente et grave. Sa présence ravivera bien des souvenirs cruels, mais ma haine y gagnera.

Orlando, conduis bien vite le jeune Raoul ici-même. Si cette jeune fille est en danger, il lui faut un prompt secours,»

–Orlando sortit vivement pour exécuter l’ordre de sa maîtresse.

La belle hôtesse

Подняться наверх