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VII
OU MAGUELONNE PASSE A COTÉ DE SA DESTINÉE.

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Table des matières

Lorsque Raoul de Taverly pénétra dans la salle où l’attendait celle qu’Orlando, avec un profond respect, appelait–maîtresse,–le groupe étrange des oiseaux s’agita avec un grand bruit d’ailes, le chat noir se pelotonna sur lui-même avec un miaulement doux et la couleuvre s’enroula rapidement, surprise, mais non menaçante. L’un des corbeaux s’enleva et vint voleter autour de la tête du jeune homme, puis finit par se poser sur son épaule.–

–Tu as raison, Ràb, dit la maîtresse en se levant, c’est un ami.

Le corbeau poussa quelques petits cris joyeux et revint reprendre sa place sur la table.

–Raoul de Taverly, continua-t-elle, soyez le bienvenu dans cette sombre retraite.

Le jeune homme, surpris, impressionné par le regard de cette femme, par l’aspect étrange de ce qui l’entourait, s’inclina silencieusement.

Elle le conduisit vers le lit à grandes tentures qui s’élevait au fond de la salle, écarta les rideaux et aida Raoul à déposer Maguelonne sur cette couche un peu primitive dans sa rustique; propreté.

–C’est sans doute, demanda-t-elle en revenant prendre la lumière, quelque émotion très violente qui a causé l’évanouissement-prolongé de cette enfant?

–Voici, madame, répondit Raoul, ce que je sais: Nous passions plusieurs gentilshommes sur la route de Melun à Fontainebleau. Un incendie dévorait tout un massif de la forêt. Tout à coup nous entendons un cri de terreur au sein des flammes. Nous nous élançons. J’ai le bonheur d’apercevoir une femme au sommet d’une roche où elle s’était réfugiée. Le danger devenait terrible pour elle. Je parviens avec mon cheval au pied du rocher. Elle se lance avec une courageuse résolution «du haut de son refuge, je la reçois dans mes bras, et nous traversons les flammes de nouveau. Mais mon cheval s’effraye, s’emporte et nous entraîne dans la nuit vers cette partie sauvage de la forêt. C’est alors qu’un homme nous a fait pénétrer ici.

Pendant que Raoul racontait ce qui précède, l’habitante de ce sombre asile avait éclairé le visage de la jeune fille étendue sur le lit. Tout à coup une émotion violente fit vaciller le flambeau dans sa main. Elle se retourna vers le vicomte et lui saisissant le bras avec une énergie fébrile:

–Quelle est cette enfant? s’écria-t-elle, Oh! parlez, parlez vite, je vous en supplie!...

–Madame, répondit Raoul qui prenait le parti de ne plus s’étonner de rien, j’arrive de la Navarre aujourd’hui même, et c’est la première fois.

–Oh! tant mieux, interrompit-elle, vous ne la connaissez pas.

Puis, tout aussitôt:

–Orlando, des sels, de l’eau fraîche. Oh! fais vite. mon fidèle ami.

Et elle se multipliait autour de la jeune fille, dégrafait vivement son corsage, mouillait son front, ses lèvres, ses poignets, et lui faisait respirer le flacon apporté par Orlando.

–Oh! ce n’est rien, murmurait-elle avec une émotion terrible; le danger qu’elle a couru... Oui, c’est cela... déjà son visage se colore, sont cœur bat plus vite... ses yeux s’animent...

S’interrompant brusquement, elle ferma les rideaux du lit.

–Oh! non, dit-elle, il ne faut pas que son regard aperçoive d’abord la fatale étrangeté de ce qui l’entoure. La surprise, la frayeur... que sais-je, moi?... une jeune fille qui revient à elle... tout cela pourrait lui faire mal.

Elle revint chancelante tomber dans son fauteuil.

–Attendre... oh! je voudrais savoir. Mon Dieu! faites que cet espoir ne soit pas un rêve, une folie de mon imagination.

Raoul regardait cette femme ainsi subitement émue, troublée, avec une curiosité ardente. Il la croyait folle.

Elle l’avait totalement oublié.

Soudain elle se rappela. D’un effort de volonté, elle ramena un peu de calme dans ses traits égarés, puis se tournant vers lui:

–Vous disiez, monsieur de Taverly, dit-elle d’une voix frémissante malgré tous ses efforts, que vous n’aviez jamais vu cette enfant... que c’est le hasard... cet incendie!... Elle n’a peut-être pas de famille... pas de mère...

» Il se pourrait même que ce fut une enfant volée. On voit des choses si horribles... Ah! si tout-à-coup, cette mère désespérée retrouvait sa fille, quelle joie, comme elle bénirait le ciel!... Oh! parlez M. de Taverly, je vous écoute ardemment...

Raoul sourit tristement.

Il commençait à entrevoir une partie du drame qui avait pesé si lourdement sur cette femme.

–Hélas! madame, dit-il d’une voix douce, je ne connais pas en effet cette jeune fille, mais quoiqu’il m’en coûte de détruire une espérance qui vous est chère, je dois vous dire ce que je sais encore. Cette enfant s’appelle Maguelonne, et c’est la fille de l’aubergiste Cocquenpot.

Elle s’était levée atterrée, le regard fixe; puis, tout à coup, secouant furieusement sa tête blanche, elle s’écria avec une farouche exaltation:

–Non, non, non! cela n’est pas! vous vous trompez.

–Madame!... fit sévèrement Raoul.

Puis se calmant aussitôt, il murmura avec une douce expression de tristesse:

–Pauvre femme!

Elle continuait avec une sourde énergie en marchant à grands pas:

–Maguelonne!... la fille d’un aubergiste!... Oh! les insensés!... C’est depuis quinze ans le premier rayon d’espoir qui pénètre dans ma nuit!... On ne vole pas ainsi l’espérance d’une malheureuse mère, comme on lui a volé sa fille, ajouta-t-elle plus bas. Mais non, ils ne savent pas, ils ne comprennent pas, ils ne sentent pas. Oh! s’ils mettaient leur main là, ils n’oseraient pas redire encore ces paroles menteuses

Et elle désignait d’un geste farouche et sublime sa poitrine qui bondissait sous sa robe.

Raoul s’était retiré silencieusement dans un coin de la grotte et la regardait avec une pitié profonde.

Pendant ce temps, Maguelonne était revenue à elle et sa tète pâle, étonnée, apparaissait entre l’ouverture des rideaux. Dans ses yeux grands ouverts, une curiosité ardente, mais nulle frayeur. Son regard s’était arrêté sur Raoul de Taverly avec une expression de reconnaissance, d’admiration passionnée, puis après avoir rapidement parcouru cette grotte sombre dans ses profondeurs, mais étincelante sous la lumière, il s’était fixé avec persistance sur cette femme blanche et pâle, fiévreuse, exaltée. Son regard exprimait une sympathie ardente, une sorte de respect grave et tendre.

Soudain leurs yeux se rencontrèrent.

–Oh! elle va me dire... elle se rappellera...

Et avec un cri de joie, la mère, qui depuis quinze années n’avait plus d’enfant, s’élança vers Maguelonne. Elle écarta violemment les rideaux, saisit l’enfant dans ses bras, la serra contre sa poitrine, et l’emportant avec une fiévreuse énergie, revint s’asseoir dans son grand fauteuil. Elle l’arrangea sur ses genoux comme une petite fille et prenant sa tête dans ses deux mains, elle la regarda avidement.

Maguelonne se laissait faire, étonnée, mais avec un sentiment de bonheur ineffable. Elle souriait doucement et laissait cette femme, qu’elle voyait pour la première fois, plonger son regard pénétrant jusqu’au plus profond de ses grands yeux noirs.

–Oui, c’est cela, murmurait la mère, c’est bien sa petite bouche rose, ses cheveux si noirs, ses yeux si grands! Tout en moi, me crie c’est elle!... Oui, c’est elle!... N’est-ce pas, ma chérie, que cet homme ment. que tu n’es pas Maguelonne, la fille d’un aubergiste!... Ah! bien oui!un aubergiste, avoir une petite fille aussi belle!... Tu te souviens, mignonne, de ce beau pays resplendissant sous son soleil, avec ses hautes montagnes, ses rochers et ses fleurs. Et puis un grand château, une femme heureuse, belle, toujours souriante quand elle te regardait dormir dans ton berceau; comme elle était fière de toi, comme elle t’aimait! Oh! souviens toi, enfant, je t’en supplie!...

Et sa voix était douce, caressante, et elle la berçait sur ses genoux, penchée sur elle. On voyait dans ses yeux briller le désir ardent de couvrir son visage de baisers, mais elle n’osait pas encore, attendant un cri de Maguelonne.

La jeune fille cherchait péniblement dans son souvenir; son front se plissait sous l’effort de sa pensée, mais bientôt découragée:

–Je ne me rappelle rien, madame.

–Madame!... fit douloureusement la malheureuse mère en fermant les yeux.

–Non, continuait la jeune fille en jetant un rapide regard sur Raoul de Taverly, non, il n’a pas menti. Un si brave gentilhomme ne ment pas. Je m’appelle bien Maguelonne, et je suis la fille de l’aubergiste Cocquenpot. Oh! si vous saviez comme il m’aime bien. Il fait tous mes caprices, et jamais il ne m’a grondée, Et puis, ma mère Mathurine est très douce et très bonne. Je suis heureuse. très heureuse. Mais vous, comme vous êtes belle! Je suis tout émue en vous regardant, et puis, je sens là que je vous aimerais de tout mon cœur. On dit pourtant que je suis très farouche. Vous pleurez? Pourquoi pleurez-vous?

En effet, deux grosses larmes descendaient lentement sur les joues pâlies de cette malheureuse mère.

Maguelonne essuya vivement ces deux larmes et mit un baiser sur chacun des yeux.

–Oh! ne pleurez plus, par pitié! dit-elle de sa voix angélique. Laissez moi vous consoler, sécher vos larmes, endormir votre douleur par mes tendres paroles. Je suis très gaie, très rieuse. Si vous vouliez, je dissiperais cette sombre atmosphère qui vous entoure par mon rire et mes folles chansons. Je reviendrais vous voir souvent; dites, le voulez-vous?

–Si je le veux, enfant? murmura-t-elle faiblement.

La souffrance qu’elle avait ressentie au cœur à l’écroulement de cette espérance si vite éveillée, avait brisé son énergie et elle sentait son âme défaillir.

–C’est étrange ici, continua la jeune fille, en regardant autour d’elle. Pourquoi demeurez-vous dans cette sombre grotte? C’est cela qui vous rend pâle et triste. Mais, si vous me le permettez, j’apporterai des fleurs pour égayer un peu toute cette ombre. Ah! vous me direz aussi votre nom pour le répéter souvent tout bas en pensant à vous.

–Mon nom!... fit-elle en tressaillant. Autrefois j’avais un nom joyeux, qu’une voix aimée prononçait avec amour et que les malheureux bénissaient; mais depuis quinze ans je m’appelle Fosca.

–Fosca! fit Maguelonne avec sa petite moue. Ce nom me fait peur; il est terrible, plein de menaces!

–Oui, c’est un nom de haine et de vengeance. Mais, ajouta-t-elle tout bas, appelle-moi Ginevra; que ton cœur seul dise ce nom, sans que tes lèvres le prononcent.

–Ginevra!... reprit tout aussi bas la jeune fille; oui, j’aime mieux Ginevra!...

Puis elle répéta, comme si ce nom éveillait cri elle un souvenir lointain et confus:

–Ginevra!...

L’espoir sembla un instant renaître dans les yeux de la mère. Mais Maguelonne releva silencieusement ses yeux sur elle.

Ginevra prit une résolution.

–Écoute, enfant, dit-elle, réponds, je t’en supplie, à ma question. Un intérêt puissant, le plus sacré de tous, me détermine à te demander ces choses.

–Je répondrai le mieux que je pourrai.

–Dis-moi tout ce que tu sais sur ta naissance, sur ta jeunesse.

–Oh! c’est si simple, si peu de chose que j’aurai bientôt fait de vous satisfaire. Je suis née à Paris dans un grand hôtel à M. de Mayenne. Mon père était cuisinier là. De toute ma jeunesse, je me rappelle ceci: la grande cuisine où j’allais voir mon père travailler, la petite chambre que nous habitions tout en haut de la maison, puis le grand parc où je jouais, quand on nous le permettait, avec une petite amie, Nicette, la fille d’un jardinier. Voilà tout, jusqu’à huit ans. C’est alors que mon père quitta le service de M. le duc de Mayenne et vint prendre l’auberge dans la forêt. Depuis je ne l’ai pas quittée.

–Mais, insista Ginevra, tu ne te rappelles rien sur tes deux premières années? quand tu étais toute petite?...

Maguelonne resta songeuse.

Il–Non, rien, répondit-elle.

Ginevra courba la tête avec désespoir. Mais soudain elle eut une inspiration:

–Te souviens-tu, dit-elle, d’une grande chambre toute tendue de rouge, un combat affreux, des cris, des épées!...

–Des épées? s’écria Maguelonne. J’aime à voir reluire et se choquer les épées. Je ressens au cœur une impression de terreur, toujours la même.

–Et puis, continua Ginevra, un grand château qui brûle?...

–Oui, le feu! Je vois souvent un incendie dans l’ombre quand je ferme les yeux. une grande tour crénelée.

–C’est cela. la tour de Puycerdac!

–Mon père prétend que cette vision persistante me vient de l’incendie d’un château au duc de Mayenne, en Normandie, qui prit feu pendant un court séjour que nous fimes à la suite de M. le duc.

–Oh! murmura Ginevra avec accablement, ils ont pris soin d’égarer ses souvenirs!...

Elle demeura quelques instants plongée dans des réflexions profondes. Un combat terrible se livrait en elle-même.

–Non, je ne puis pas, je ne veux pas l’associer à cette lutte hideuse, disait-elle dans le fond de sa pensée. Il faut la convaincre, trouver des preuves, et puis tout lui dire. Oh! je remuerai ciel et terre. Maintenant je ne puis plus attendre et je l’arracherai d’entre les griffes du Monpelas.

–Écoute, enfant, dit-elle à Maguelonne, fais-moi la promesse de ne parler à personne, même à ceux qui t’ont élevée, de ton entrée ici, ni des paroles que j’ai prononcées devant toi. Manquer à cette promesse entraînerait des malheurs effrayants.

–Oh! je vous le jure, madame.

–Maintenant, permets-moi de t’embrasser.

Maguelonne sans répondre lui jeta ses deux bras autour du cou. Ginevra eut un instant de joie suprême. Elle tenait la jeune fille serrée contre sa poitrine, ne pouvant rassasier de baisers ses lèvres et son cœur.

–Oh! murmura-t-elle, promets-moi, mon enfant, de revenir bientôt.

–Demain, répondit-elle.

–Oui, demain. Mon Dieu! si je n’allais plus te revoir. Oh! je donnerais ce qui me reste à vivre pour que tu ne me quittes pas ce soir. J’ai peur de demain.

Et elle était toute tremblante, ses larmes de nouveau prêtes à jaillir.

–Pourquoi craindre? dit Maguelonne étonnée. Je ne suis qu’une humble fille. Quel danger pourrait me menacer?

–Pauvre enfant! fit Ginevra en la regardant de tous ses yeux, tu ne soupçonnes pas le mal. Que le ciel écarte de toi la haine des misérables!

–Je ne sais quel charme m’attire près de vous, reprit la jeune fille; j’aime à vous regarder, à vous entendre parler, et si je n’étais obligée de courir rassurer mon père, ma mère, qui se désolent et me croient perdue, je resterais encore avec vous.

–Chère enfant!

–Mais, hélas! il faut que je parte bien vite,

–Dans la nuit!... dans la forêt!... s’il t’arrivait malheur.

Le regard de Maguelonne se tourna avec confiance vers Saoul de Taverly qui attendait en silence la fin de cet entretien, les yeux toujours fixés sur la jeune fille.

–Il m’a sauvé des flammes, murmura-t-elle en rougissant; évanouie dans ses bras, il m’a protégée, conduite vers vous; vivante, je n’ai rien à craindre avec lui.

–Oui, c’est un brave et loyal gentilhomme!

–Vous le connaissez donc?

Elle eut un triste sourire.

–Curieuse! Viens demain. Je t’apprendrai des choses qui e feront plaisir et qui te rendront bien fière,

Les deux femmes échangèrent encore un baiser, puis Maguelonne glissa à terre.

Raoul de Taverly voyant que leur entretien était terminé savança vers elles.

–Monsieur de Taverly, lui dit Ginevra, l’enfant veut repartir e suite. Elle se place de nouveau sous votre bonne et loyale protection. Orlando vous accompagnera pour vous montrer la coute.

–Mademoiselle Maguelonne peut disposer de mon épée et 3ma vie, déclara avec chaleur le vicomte Raoul.

Les yeux de la jeune fille brillèrent de joie.

Ginevra se pencha vers Raoul et lui dit rapidement à voix asse:

–Au nom de votre père, le comte Hugues, et de votre ère, la comtesse Jeanne, voiliez sur elle!

Le jeune homme tressaillit. Il allait interroger, mais un doigt sur ses lèvres, avec un regard suppliant Ginevra lui recommanda le silence. Il se tut, surpris, désorienté, continuant à ne rien comprendre à toutes ces choses étranges.

Ginevra accompagna Maguelonne en la tenant par la main jusqu’au passage étroit qui conduisait au dehors.

Orlando se tenait prêt à passer le premier.

Ginevra se pencha vers Maguelonne, effleura son front d’un baiser et s’enfuit.

–Au revoir, mon enfant! murmura-t-elle en étouffant un sanglot.

–Oui, au revoir, à demain! répondit Maguelonne émue.

Elle demeura un instant immobile, silencieuse, pensive. Un voix lui disait de ne pas partir, de rester près de cette femme qu’elle venait de voir pour la première fois, croyait-elle, e qui pourtant avait profondément troublé son cœur.

Ce fut Raoul qui mit fin à son hésitation instinctive en lu disant:

–Mademoiselle, venez-vous? La jeune fille s’avança.

–La route est fort obscure, continua-t-il, faites-moi Il grâce de me donner votre main, je vous conduirai.

Maguelonne avança sa main. Raoul la prit dans les sienne avec une joie qu’il ne put dissimuler.

Ils suivirent Orlando qui déjà disparaissait dans le sombre passage.

Raoul eût marché toute la nuit, tenant, dans la sienne, cet. petite main tendrement pressée. Et puis il se penchait vers elle pour lui donner, à voix basse, quelques indications sur route qu’ils suivaient et, plusieurs fois, il eut le bonheur de sentir la brune chevelure de Maguelonne lui frôler le visage.

Quand, enfin, ils furent sortis, ils retrouvèrent Biscotte qui les attendait patiemment.

–Le sentier sera rude, mademoiselle Maguelonne, ditdes petits pieds pourraient fort souffrir, dans l’ombre, sur la pierre glissante et raboteuse. D’un autre côté, Biscotte est une douce bête, je crois donc que vous feriez bien.

–Oh! fit-elle vivement, je ne suis pas du tout écuyère, et eut-être ririez-vous de la façon dont je me tiendrais sur une elle faite pour un cavalier.

–N’ayez crainte, je n’ai pas la réputation d’être un moueur impitoyable.

–Ce n’est pas comme moi, n’est-ce pas? demanda-t-elle avec un sourire.

Elle s’efforçait d’éloigner de son esprit l’impression de la cène qui venait de se passer dans la grotte et qui l’avait si profondément troublée, attendant plus de calme et plus de solitude pour analyser ses pensées et essayer de découvrir le mystère qu’elle pressentait déjà

–Je vois, ajouta-t-elle, que vos nouveaux amis ont médit ur mon compte.

–Oh! je vous assure.

–Non, n’assurez pas. Je les connais. Mais pour vous prouer que je ne crains pas un sourire railleur, même de vous, ferai suivant votre désir.

Et elle s’approcha de Biscotte.

Raoul voulut l’enlever dans ses bras, mais elle lui échappa avec une sauvage précipitation, et grimpant sur un quartier de che, elle s’assit prestement sur la selle.

–Je suis prête, maintenant, dit-elle, en saisissant la bride, avec un petit rire mutin.

Raoul, resté les bras tendus, prit le parti de rire également.

–Pardieu! mademoiselle, dit-il, toute mon admiration nus est acquise. Vous êtes plus vive et plus légère qu’un seau,

[Puis ils se mirent en marche dans le sentier étroit.

–Combien de temps nous faudra-t-il pour regagner la grande route? demanda Raoul à Orlando.

–Une demi-heure, répondit laconiquement celui ci.

Ce furent toutes les paroles que le vicomte de Taverly put en tirer. Aux quelques questions qu’il lui adressa encore, il ne répondit que par monosyllabes.

Alors, renonçant à rien obtenir de lui, Raoul le laissa marcher devant eux et, se plaçant à côté de Biscotte, il commença une douce conversation avec Maguelonne.

Il lui raconta tout ce qui s’était passé depuis le moment où elle s’était jetée dans ses bras du haut de la roche, leur passage à travers le feu, la fuite échevelée de Biscotte, son embarras au fond du ravin, la rencontre d’Orlando sur le sentier, et leur entrée dans la grotte.

La jeune fille avait avidement écouté Raoul, les joues empourprées, la respiration haletante, ses grands yeux noirs fixés avec admiration et reconnaissance sur son sauveur.

Comme Raoul finissait sont récit, ils atteignirent la grande route.

–Maintenant, dit le jeune homme à Orlando, nous ne risquons plus de nous égarer.

–Si ma présence est inutile, dit brusquement Orlando, je vous laisse. Elle est fort nécessaire ailleurs.

Puis, saluant rapidement, il s’éloignait sans plus de cérémonie, lorsque Maguelonne lui cria: «

–Je vous attendrai demain pour que vous me rameniez vers elle.

–Je n’aurai garde d’y manquer, la maîtresse le veut!

Et il disparut dans le sentier.

–Voilà un serviteur précieux, dit Raoul, ce n’est certe pas lui qui livrera les secrets de sa maîtresse. Et pourtant ils doivent être fort curieux à connaître, car jamais je n’ai vu femme plus étrange.

–Oui, bien étrange! fit Maguelonne un instant songeuse.

Mais, immédiatement, elle changea de pensée, ne voulant laisser rien paraître de son émotion.

–Monsieur le vicomte, dit-elle avec vivacité, vous ne pouvez vraiment pas aller plus longtemps à pied pour une petite fille comme moi, vous, un si noble seigneur.

–Vous êtes méchante, Maguelonne, dit Raoul.

–Oh! non, fit-elle avec conviction. Mais nous allons fort lentement, l’auberge est très loin encore, et comme ils doivent se désoler là-bas!...

–Il y a un moyen d’aller plus vite, répondit Raoul timidement, c’est de me permettre de prendre place près de vous; dites, le voulez-vous bien?...

–Oui, certes!...

Raoul arrêta Biscotte et se mit légèrement en selle. Maguelonne se plaça un peu en arrière, assise sur la croupe du cheval et se retenant des deux mains au cavalier.

–Êtes-vous prête?... interrogea Raoul.

–Oui, fit-elle gaiement.

Biscotte, légèrement excitée de l’éperon, partit d’un petit galop doux et mesuré. La folle enfant était heureuse de marcher aussi vite et dans cette position un peu embarrassante.

Quant à Raoul, il était radieux.

Il sentait les petites mains de Maguelonne s’accrocher à son ) ceinturon et le souffle de sa respiration frémissait dans ses cheveux. Ils ne disaient rien, mais leurs pensées galopaient côte à côte et les emportaient ensemble vers ces régions bémies où resplendit l’aurore des pures amours.

Comme ils approchaient de l’auberge, Raoul arrêta Biscotte et la laissa marcher au pas.

Tournant brusquement son visage vers la jeune fille, il lui dit sans transition:

–Si je vous aimais, Maguelonne!...

Elle tressaillit et devint toute rouge. Puis surmontant son émotion:

–M’aimer comme votre nouvel ami, le vicomte de Yalbreuse? demanda-t-elle avec malice.

–Non, répondit Raoul, grave et tout ému, mais loyalement, franchement!...

Maguelonne resta un instant sans répondre.

–Vous n’avez pas assez réfléchi, monsieur le vicomte, dit-elle enfin. Je suis la fille d’un aubergiste, et vous le fils du comte de Taverly. Entre nous, la distance rend l’amour impossible.

–Mais. voulut reprendre Raoul.

Elle l’interrompit en secouant résolument sa tête mutine; pourtant, son cœur battait bien fort et elle avait grand’peur que Raoul ne trouvât ses raisons sans réplique.

Mais elle fût vite rassurée, car le jeune homme s’écria avec feu:

–Ah! si je vous aimais Maguelonne, rien au monde ne serait capable de me séparer de vous. Je vous le jure, je briserais tous les obstacles.

–Je vous dois la vie, monsieur le vicomte, ma reconnaissance, mon dévouement sont à vous, mais...

–Ah! si cette reconnaissance, que je mérite à peine car, à moins d’être un lâche, tout autre eût tenté ce que j’ai fait ce soir, pouvait un jour se changer en un sentiment plus tendre, je l’accepterais de grand cœur.

Maguelonne ne répondit pas tout d’abord, puis elle reprit doucement:

–Qui sait si je vous verrai demain?...

–Demain! tous les jours! Je vous en donne ma parole de gentilhomme!... s’écria-t-il. Oh! je viendrais!... Vous avez soudain pris trop de place en moi-même, pour que je puisse vivre sans vous voir. Je viendrai, et vous ne me refuserez pas un sourire, une parole, du bonheur pour tout un jour!...

Maguelonne avait penché la tête et, l’éclat de ses yeux voilé par ses longs cils, elle s’abandonnait à la douce volupté que faisait naître en elle la parole de Raoul. Oh! si elle eût été l’égale du vicomte de Taverly, comme elle eut laissé échapper les paroles qui montaient à ses lèvres.

Tout à coup elle s’arracha à cette sensation enivrante. Ils arrivaient presque en face de l’auberge.

–Je vous en prie, dit-elle vivement, n’allez pas plus loin. Laissez-moi rentrer seule. Vous savez que je dois garder le secret. Je l’ai promis.

Raoul arrêta Biscotte.

Aussitôt Maguelonne se laissa glisser à terre.

–A bientôt!... à demain!... dit-elle avec un regard que le jeune homme vit resplendir dans la nuit.

Et elle s’enfuit en courant.

Raoul de Taverly resta quelques minutes, immobile, surpris de ce brusque départ, fasciné par le rayonnement des grands yeux noirs de Maguelonne, ravi par la douce promesse que contenaient ces mots: à demain!

Il entendit les voix joyeuses, les exclamations de bonheur qui accueillaient l’arrivée inespérée de la jeune fille, puis, quand tout bruit se fut éteint, il reprit, pensif, le chemin de Fontainebleau.

La belle hôtesse

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