Читать книгу Hygiène de la voix parlée ou chantée : suivie du formulaire pour le traitement de la voix - Louis Mandl - Страница 3
INTRODUCTION
ОглавлениеOccupé depuis plus de vingt ans de recherches concernant les fonctions des poumons et du larynx, j’ai, dès le commencement de ces études, fixé l’attention sur l’hygiène de l’appareil producteur de la voix, en publiant, en 1855, un mémoire sur la fatigue de la voix. Depuis, j’ai écrit divers articles de journaux consacrés à l’hygiène de ces organes, et j’ai eu occasion de présenter leur ensemble dans le cours d’Hygiène de la Voix, que j’ai l’honneur de professer au Conservatoire de musique.
La voix justifie la préférence que nous avons donnée à ces investigations par son importance dans nos relations sociales; elle est l’interprète de nos sentiments, de nos impressions, de nos besoins; c’est elle qui forme la parole et le chant.
D’une structure délicate, l’organe de la voix peut facilement contracter des affections qui troublent sa fonction régulière. Quelle est la personne qui n’a jamais été enrouée? Quel est l’avocat ou prédicateur qui n’a été forcé, à un moment donné, de s’imposer du repos parce que sa voix était mauvaise? Pourvu qu’on ait un peu l’habitude de fréquenter les théâtres ou les concerts, on a vu assez souvent quelque artiste empêché de paraître, en donnant pour excuse un mal de gorge survenu inopinément.
Ce ne sont là que des accidents passagers. Mais d’autres fois on a pu constater, surtout chez les artistes, que la voix perdait peu à peu ses belles qualités, qu’elle devenait faible, couverte, criarde, tremblante, en un mot, qu’elle était fatiguée.
Nous avons alors sous les yeux le triste spectacle de la perte de la voix chez des artistes qui, pendant un espace de temps trop court, ont fait la gloire de nos scènes lyriques. Ils les quittent au bout de quelques années, les théâtres de leurs triomphes, au moment où l’expérience les a aguerris et que le public les a adoptés. Ils les quittent parce que leurs moyens les quittent, parce que la voix fait défaut. Ne voyons-nous pas, hélas! trop souvent, même des jeunes gens, perdre leur voix au bout d’un ou deux ans d’étude?
D’où vient-elle, cette fatigue; quelles sont les causes qui la font naître et se développer? Quels sont les moyens qui peuvent enrayer ses progrès lents, mais incessants?
Quelques-uns veulent trouver la cause de cette dépréciation rapide dans les dimensions de la salle; d’autres dans la puissance de l’orchestre moderne; souvent, très-souvent, dans la musique même, dans les prodiges exigés par la voix. «Pour composer le chant, m’a dit l’illustre auteur du Barbier, il faut savoir chanter; quand on ne connaît pas par expérience ce dont le larynx est capable, il est impossible de lui tracer sur le papier des évolutions qu’il ne saurait exécuter à moins de s’épuiser. Aussi cette musique de barricades, qui chante toujours à l’assaut, est certes la ruine des voix les plus puissantes.»
On ne saurait, avec plus de justesse, signaler une des pauses de la fatigue des voix adonnées à l’exécution d’une certaine musique moderne. Mais il le faut remarquer, nous voyons la même déperdition de la voix s’opérer, non-seulement sur les scènes lyriques ou dramatiques les plus modestes, mais même chez les avocats, les prédicateurs, en un mot chez tous ceux qui font un usage professionnel de la voix.
Il doit donc y avoir d’autres causes, des causes nombreuses qui peuvent faire perdre à la voix ses bonnes qualités. On conçoit tout l’intérêt qui s’attache à la recherche de ces causes et des moyens propres à prévenir et à combattre leur fâcheuse-influence. Or, l’étude de ces recherches s’appelle HYGIÈNE; son but évident est la conservation et l’amélioration de la voix.
Dans l’analyse des diverses causes nuisibles laissons-nous guider par l’observation journalière. On s’excuse de ne pouvoir parler au public parce qu’on est enrhumé ; la cause est ici un refroidissement et réside dans les rapports qui existent entre les organes de la voix et le monde externe. A ce même ordre d’influences appartiendront l’humidité, les poussières, etc.
Une autre fois nous avons vu l’artiste accuser une défaillance subite survenue par une indisposition passagère, un mal d’estomac, un état nerveux, etc. C’est l’influence exercée sur les organes de la voix par une fonction quelconque de l’organisme qui est alors la source des troubles et constitue ainsi une autre série de causes nuisibles.
Enfin, nous pouvons constater chez certains artistes que leur voix se fatigue, qu’elle a des faiblesses, qu’elle chevrote, que son timbre est altéré, que la pureté des sons laisse à désirer, ou bien que la respiration est haletante, la voix mal posée, etc. Ici nous chercherons la cause des défectuosités dans le mécanisme, dans le mode de production et d’émission de la voix.
Ainsi, l’observation des faits nous enseigne trois sources de causes qui influencent les qualités de la voix, causes nuisibles ou favorables, suivant leur mode d’action: ce sont le mécanisme de la production de la voix, les rapports avec le monde externe et puis ceux avec les fonctions diverses de l’organisme. L’hygiène doit donc étudier ces trois sources principales, je dirai même uniques, des influences exercées sur les organes de la voix.
En nous occupant de l’étude de ces influences, il s’agira pour nous d’avoir tout d’abord une notion exacte de chaque cause: ainsi, pour le mécanisme, nous commencerons par chercher la manière dont s’accomplit normalement cette fonction; pour le monde externe, nous dirons quelles sont les qualités de l’air, de l’eau, du sol, etc., qui peuvent intéresser la voix; pour l’organisme, nous décrirons en quelques mots la fonction.
Les causes ainsi connues, nous nous attacherons à analyser leur rapport avec la voix: comment le mécanisme défectueux détermine la fatigue; comment le monde externe cause les refroidissements, les irritations, etc.; comment les fonctions diverses de l’organisme peuvent troubler l’émission de la voix.
Un dernier point, ce seront les conseils hygiéniques qu’il nous sera permis de donner: les premiers secours à porter dans les affections de la gorge, les moyens différents propres à corriger les défauts du mécanisme; les règles hygiéniques concernant telle ou telle fonction.
Tel est le sujet et le plan général dans l’exposition de cette étude.
Il est, je pense, presque inutile d’ajouter que tout ce qui concerne l’art proprement dit du chant ou de la déclamation reste étranger à nos études. Notre but est nettement indiqué : étudier les influences physiques, organiques ou anorganiques que subit la voix, prévenir leur action nuisible, remédier au mal qu’elles ont fait. Connaître la cause du mal est, dans un grand nombre de cas, déjà la moitié de la guérison, et celle-ci peut souvent être achevée par l’observation des préceptes élémentaires de l’hygiène.
Les études que nous venons d’indiquer forment le sujet de notre cours d’hygiène de la voix au Conservatoire de musique. Elles comprennent nécessairement quelques connaissances anatomiques indispensables pour faire comprendre le mécanisme de la production de la voix, ce mécanisme qui exerce une si haute influence sur la conservation de la voix.
Je croirais manquer au bon sens en m’excusant de donner ces détails ou en réfutant ceux qui pensent que la connaissance de la structure de l’organe de la voix n’est qu’un innocent amusement. Tout instrumentiste connaît le nom de chaque partie de l’instrument qu’il manie; l’ignorance doit-elle marquer la supériorité de l’orateur ou du chanteur?
D’ailleurs, quelle est la méthode de chant ou de déclamation qui ne parle de la respiration et de la prononciation? Or; pour comprendre ces fonctions, il est nécessaire de connaître les organes qui les accomplissent, et il n’est nullement glorieux de faire de l’anatomie, comme M. Jourdain, sans le savoir.