Читать книгу Hygiène de la voix parlée ou chantée : suivie du formulaire pour le traitement de la voix - Louis Mandl - Страница 8
B. De la fatigue par le travail des poumons.
Оглавление1. Tous les professeurs de chant ou de déclamation s’accordent à exiger, comme élément indispensable, une respiration longue et facile, et qui, par conséquent, s’accomplit sans effort et sans fatigue.
L’expiration doit être longue, c’est-à-dire avoir une durée assez prolongée pour que la phrase, ou la portion de la phrase qui exprime la pensée, puisse être prononcée sans interruption des sons qui la composent.
Cependant pour formuler la pensée, en général plusieurs phrases sont nécessaires; elles doivent se succéder rapidement et sans interruption. Mais puisque chaque phrase ne peut se former que pendant l’expiration, une nouvelle inspiration est nécessaire pour amener l’air dans les poumons, lequel servira pour prononcer la phrase suivante. Cette inspiration s’opère dans l’intervalle qui sépare une phrase de l’autre; elle doit rester inaperçu de l’auditeur. A cet effet, le temps qui lui est consacré doit être aussi court que possible: d’autre part, l’air doit pénétrer dans la glotte sans aucune difficulté et sans bruit. Si la glotte n’est pas largement ouverte, l’inspiration occasionne une espèce de sifflement et constitue le hoquet dramatique.
L’expiration doit être aussi facile, c’est ce qui a lieu constamment, chez l’homme bien portant, d’une manière inconsciente pendant toute la vie, le jour et la nuit, sans fatigue; comment donc ce rôle peut-il fatiguer l’orateur ou le chanteur?
Pour répondre à cette question, rappelons-nous ce qui se passe dans l’acte respiratoire pendant l’émission des sons. Nous savons (p. 12.) qu’il s’établit alors une lutte entre les agents inspirateurs et les expirateurs, lutte que nous avons appelé lutte vocale. Or cette lutte devient fatigante par l’abus de la durée et de l’intensité, mais surtout par le mode de respiration; et la fatigue qui en résulte peut frapper un des trois organes producteurs de la voix.
2. La lutte vocale sera nulle ou presque nulle au thorax dans la respiration abdominale ou diaphragmatique.
Eu effet, un seul muscle, le diaphragme, fonctionne alors; les forces dépensées pour le mettre en mouvement sont minimes, car il ne s’agit que du déplacement de viscères mous et mobiles de-la cavité abdominale. Lorsque pour les besoins du chant ou de la parole une expiration prolongée est nécessaire, la lutte entre les muscles inspirateurs et expirateurs se passe tout entière sur ces mêmes viscères, et les parois thoraciques n’éprouvent aucune fatigue; nul effort n’a lieu.
Il en est de même pour le larynx et le pharynx; aucune contraction n’a été produite par les doubles actes de la respiration facile; toutes les parties se trouvent en repos.
Les organes de la voix se trouvent par conséquent, après l’inspiration, tout disposés, sans résister, par suite de contractions préalables, à exécuter les mouvements nécessaires pour l’émission de la voix.
L’inspiration se fait sans difficulté, par la glotte largement ouverte.
3. Il n’en est plus ainsi dans la respiration claviculaire.
Les côtes supérieures, la clavicule, l’omoplate, les vertèbres et quelquefois même le crâne sont déplacés par l’action de muscles nombreux, ce qui entraîne une dépense de forces très-considérable, car la résistance offerte par ces diverses parties fixes et peu flexibles est très-grande. En effet, toute la moitié supérieure de la cage osseuse et cartilagineuse, dans laquelle les poumons sont renfermés, doit se dilater pendant l’inspiration et acquérir des dimensions plus grandes. Ceci ne peut s’accomplir que par un effort plus ou moins considérable (p. 34). Lorsque survient ensuite l’expiration, la résistance offerte par les nombreux agents inspirateurs et par les parties osso-cartilagineuses rend la lutte vocale, très-fatigante dans les divers organes qui concourent à la production de la voix.
a. La fatigue se manifeste d’abord dans le thorax, par le nombre et la masse des muscles antagonistes intéressés dans la lutte.
L’effort considérable fait que l’enflement du cou, le gonflement des veines (jugulaires) du cou, le renversement de la tête, forment le cortège habituel de ce mode de respiration. Il survient à la longue des fourmillements, des tiraillements, des points douloureux dans les muscles thoraciques. L’inspiration difficile occasionne de légères atteintes d’oppression; l’expiration devient précipitée, insuffisante pour l’achèvement de la phrase: l’artiste ou l’orateur ont l’haleine courte.
b. La fatigue se manifeste aussi dans le larynx.
L’effort que l’on fait, pendant la lutte exagérée entre les muscles inspirateurs et expirateurs, amène une contraction à l’intérieur du larynx (p. 34), d’où résulte d’une part une inspiration bruyante, connue sous le nom de hoquet dramatique, et d’autre part l’impureté des sons qui se transforment souvent en cris; les tissus eux-mêmes finissent par s’altérer et la voix perd toutes ses qualités naturelles; elle devient voilée, faible, criarde, inégale, baisse considérablement et acquiert surtout de bonne heure le caractère fatigant du chevrotement.
c. Pendant l’effort qui accompagne la respiration claviculaire, il arrive presque constamment que la langue se rétracte et que le larynx se trouve abaissé, par conséquent (p. 31). Il en résulte une diminution dans les dimensions des cavités résonnantes du pharynx dont la configuration n’est plus capable maintenant de s’adapter à toutes les exigences des divers timbres, à cause de la position forcée de la langue. On comprend par conséquent aisément l’influence fâcheuse qu’exerce la respiration claviculaire sur le timbre.
Cependant l’artiste, sentant le besoin de corriger les défauts du timbre, veut y suppléer par des contractions des couches musculaires du pharynx; celles-ci se congestionnent alors, se gonflent, et nous voyons ainsi apparaître des affections diverses, telles que des granulations pharyngées, des irritations chroniques de la muqueuse, des amygdales gonflées, l’allongement de la luette, tout comme si une inflammation mal soignée avait ravagé ces tissus.
Au plus haut degré , ces efforts répétés peuvent déterminer l’emphysème pulmonaire et des maladies du cœur.
4. Dans la respiration latérale un plus grand nombre des muscles entrent en fonction et des parties moins mobiles et moins flexibles sont déplacées que dans la respiration abdominale. La respiration latérale amène donc plus facilement la fatigue que ce dernier type respiratoire, par la durée et par l’intensité de la lutte vocale.
Mais, comparée au type claviculaire, la respiration latérale déplace un nombre bien moins considérable d’os et de cartilages et s’accomplit à l’aide d’agents bien moins nombreux. Elle est par conséquent bien moins fatigante.
5. Il est donc évident que la respiration claviculaire amènera la fatigue, motivée par un surcroît de dépenses de forces par suite d’obstacles créés par les agents actifs dans l’inspiration et qui n’existent pas dans la respiration diaphragmatique. Qu’il me soit permis de citer ici un exemple donné par la nature et qui vient à l’appui des idées émises. Les oiseaux chanteurs peuvent, pendant des heures entières, moduler des sons sans éprouver de fatigue. Mais, chez eux, les parois ahdominales seules se dilatent pendant l’inspiration, tandis que le thorax reste immobile dans toute sa partie supérieure, parce que leur construction rend impossible la respiration claviculaire.
L’expérience a confirmé notre manière de voir. Les voix se sont mieux et bien plus longtemps conservées dans l’ancienne école italienne, dirigée par les Rubini, les Porpora, etc., que dans nos écoles modernes, qui enseignent ou du moins qui permettent la respiration claviculaire. Au surplus, ceux des professeurs qui adoptent le type abdominal en obtiennent aussi les meilleurs résultats.
Lorsque j’ai exposé pour la première fois ces idées (Gazette médicale, 1855), elles ont été vivement combattues dans les journaux de musique. Je crois inutile de réfuter aujourd’hui les objections qui me furent faites alors, d’autant plus que je vois actuellement un grand nombre de professeurs de chant d’accord avec moi. Je ne crois pas qu’il existe encore beaucoup de partisans autorisés du précepte suivant, donné par la Méthode de chant du Conservatoire de musique: «Quand on respire pour parler ou pour renouveler simplement l’air des poumons, le premier mouvement est celui de l’aspiration, alors le ventre, se gonfle et sa partie postérieure s’avance un peu... Au contraire, dans l’action de respirer pour chanter, en aspirant il faut aplatir le ventre et le faire remonter avec promptitude, en gonflant et avançant la poitrine.»
C’est assurément le conseil le plus antihygiénique que l’on puisse donner. On défend à l’élève de respirer naturellement, suivant le mode adopté par la nature dans l’émission habituelle de la parole et dans l’accomplissement normal de la respiration, et on le place volontairement, de propos délibéré , dans les conditions les plus funestes. On veut que la production et le développement de la voix se fassent par des moyens factices, diamétralement opposés à ceux indiqués par la nature. Que l’on ne s’étonne donc plus de voir un grand nombre de voix tomber victimes de pareilles doctrines fatales.
6. L’expiration doit avoir une certaine intensité pour que la voix puisse se faire entendre à une distance voulue. Tous les bons professeurs de chant s’accordent à dire qu’il ne faut pas faire les exercices en fredonnant, mais à pleine voix.
7. On est disposé à forcer la voix lorsqu’on sent qu’elle ne porte pas assez loin, ou que les auditeurs se plaignent de sa faiblesse, ou que des bruits accessoires ou l’orchestre l’étouffent, etc. Alors, par une fausse intelligence des forces naturelles, on se met à crier. Or voilà où réside l’erreur: la force du son est produite par l’intensité de l’ébranlement déterminé par l’expiration et par l’amplitude consécutive des vibrations des cordes vocales. L’intensité de l’expiration dépend entièrement de la volonté, tandis qu’il n’en est pas ainsi des vibrations. Or les gens dont la voix est faible, au lieu de concentrer toute leur attention sur les moyens propres à augmenter la puissance de l’expiration et par conséquent la force de l’ébranlement initial, ne sont préoccupés que des cordes vocales; ils opèrent des contractions dans le larynx, étranglent la gorge et se mettent à crier ou du moins à pousser des sons d’une force disproportionnée.
Cette exagération de l’intensité amène toutes les conséquences de la fatigue précédemment décrites (p. 16), et qui envahissent peu à peu toutes les parties des organes qui produisent la voix. Des congestions passagères d’abord, permanentes plus tard, se manifestent dans les muqueuses; les fibres musculaires perdent leur contractibilité et ne sont plus capables de remplir leurs fonctions dans les conditions normales. Alors les artistes ne peuvent pas filer un son, ni chanter à mezza-voce; ils cherchent leurs succès dans des oppositions brusques du fortissimo au pianissimo; leur voix cassée ne se fait entendre que par éclats étourdissants ou avec le souffle du moribond; elle a perdu la force de la virilité et le charme de la douceur et finit par se perdre complètement. On dirait que l’art se venge des injures faites au bon goût.
On évitera le rire à gorge déployée, les vociférations, les hurlements, etc., ou, si c’est avec l’un ou l’autre de ces moyens expressifs, il faut les simuler avec le moindre effort possible.
8. De même que l’exagération, la faiblesse de l’intensité peut faire tort à la voix, par l’absence de l’exercice des muscles des organes pharyngo-laryngés. «Rien n’est plus nuisible et ne retarde le progrès dit Lablache (méthode, p. 89), comme l’habitude de chanter dans les dents ou de s’exercer en fredonnant. » Le son ne sera jamais plein, la voix ne sera pas assise, la parole est privée d’autorité, l’intonation et le timbre sont hésitants. Cependant, on le voit, ces conséquences sont moins fâcheuses que celles que nous venons d’énumérer et qui forment le cortège de l’abus de la force.