Читать книгу Histoire abrégée de la liberté individuelle chez les principaux peuples anciens et modernes - Louis Nigon De Berty - Страница 13

DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE CHEZ LES ROMAINS.

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JAMAIS peuple ne se montra plus attaché à la liberté que les Romains ; ils en firent une divinité, et lui élevèrent un temple; elle fut la base de leurs Institutions, rame de leur gouvernement sous la république, le but et plus souvent le prétexte des insurrections populaires, la cause principale de leur grandeur, et dès qu’elle diminua, le signal de leur décadence.

Mais cette liberté, dont les Romains étaient si jaloux et si fiers, ne fut-elle pas plus politique qu’individuelle? l’esquisse de leur histoire sous les rois, sous les consuls, sous les empereurs servira peut-être à résoudre cette intéressante question!

Sous les rois.

Pour peupler la ville éternelle, Romulus y fonda un lieu d’asile et enleva les filles des Sabins. Les aventuriers, les esclaves, les voleurs s’y réfugièrent en foule; tous réclamèrent à l’envi des garanties pour leur indépendance d’autant plus précieuse à leur yeux que la plupart en avaient été privés. Romulus sut comprendre le vœu de ses concitoyens; il eut même l’habileté, en le satisfesant, d’assurer la force au pouvoir et de jeter les fondemens de cette aristocratie du sénat qui devait conquérir à ses descendans l’empire du monde. Les trois principaux élémens de sa constitution furent: un roi électif, un sénat composé des nobles ou patriciens, et les assemblées du peuple.

Le roi commandait les armées, proposait les lois et exerçait une grande partie du pouvoir exécutif Conseil du prince, le sénat statuait, sous sa présidence, sur les affaires publiques, civiles et criminelles. Le peuple élisait les rois, décidait la paix et la guerre, et jugeait certaines causes graves. Le roi, le sénat et le peuple participaient également à la puissance législative; mais au peuple seul appartenait le droit de sanctionner les lois .

Romulus divisa ses sujets en deux ordres principaux, les patriciens et les plébéiens. Le premier renferma les citoyens les plus recommandables par leur âge, leur capacité ou leur fortune; le second, le reste des hommes libres. Ce prince tira ensuite des plus riches familles de Rome des militaires, nommés celeres, destinés à faire partie de la cavalerie, qui formèrent plus tard une classe intermédiaire, connue sous le nom de chevaliers; il répartit les Romains en six tribus; dans la sixième se trouvaient les affranchis auxquels on refusait l’honneur de combattre dans les armées . Les plébéiens donnaient leurs suffrages dans les assemblées, et jouissaient de tous les droits de citoyen; cependant ils furent exclus des honneurs et des dignités.

On attribue à Romulus l’établissement du patronage ; désirant entretenir entre les diverses parties de la société cette harmonie si nécessaire à la tranquillité publique, il prescrivit à chaque plébéien de se choisir parmi les patriciens un patron. Dès ce moment, il s’établissait entr’eux deux des rapports de bienveillance et d’égards. Le patron devait veiller sur ses cliens comme un père sur ses enfans; et le client, vivant en quelque sorte sous sa dépendance, était tenu de lui prodiguer partout des marques de déférence et de respect; le tems vint étendre encore ces obligations réciproques; quiconque les violait, pouvait être tué comme sacrilège.

Dès les premières années de la fondation de Rome, le frère de Rémus accorda le droit de vie et de mort aux pères sur leurs enfans, aux maris sur leurs femmes, aux maîtres sur leurs esclaves; cette législation barbare substitua aux douces affections de la famille des sentimens de crainte et de méfiance; elle troubla le charme des relations les plus intimes, et accoutuma les enfans à voir dans leur père un tyran plutôt qu’un ami. Ne soyons plus surpris maintenant si les moeurs des Romains ont toujours conservé quelque chose de dur et de farouche qui rappelait la rudesse de leurs ancêtres.

La contrainte par corps fut aussi introduite à Rome dès l’origine; le créancier pouvait emmener et garotter son débiteur aussitôt que le roi le lui avait adjugé. Servius Tullius modifia une loi si contraire à la liberté individuelle; il n’accorda aux créanciers que la faculté de poursuivre sur les biens seuls le recouvrement de leurs dettes.

Rien ne prouve que l’administration de la justice ait été soumise à des règles déterminées; la volonté des rois tenait lieu de loi; ils se réservèrent d’abord le pouvoir de juger les crimes, puis le déléguèrent en grande partie à des magistrats nommés duumvirs capitaux; on pouvait appeler de leurs décisions au peuple. Horace, dans l’enivrement de la victoire, souille ses mains du sang de sa sœur; les duumvirs le condamnent à mort; mais il défère leur sentence à l’assemblée du peuple, et les lauriers, dont sa tête est couronnée, la sauvent du dernier supplice.

Les peines d’ailleurs, incertaines comme les autres parties du droit, étaient laissées à l’arbitrage des rois ou de leurs délégués. «Populus

» sine lege certâ (dit la loi 2 au digeste de

» origine juris), sine jure certo primùm agere

» instituit, omniaque manu à regibus

» gubernabantur.» On a remarqué la rigueur du petit nombre de lois pénales recueillies dans le code Papyrien .

La première prison fut construite au centre de la ville par l’ordre d’Ancus Martius ; elle atteste que l’on commença sous ce prince à priver les criminels de leur liberté.

Les rois de Rome occupèrent le trône 244 ans; si l’on jugeait leur gouvernement par la haine profonde des Romains pour la royauté depuis son abolition, on serait tenté de maudire leur tyrannie; cependant le dernier Tarquin mérita seul cette réprobation; les autres souverains, quoiqu’investis d’une autorité illimitée sur plusieurs points, ne paraissent pas avoir opprimé leurs sujets ; après l’assassinat de Romulus, les sénateurs ne parvinrent à calmer la fureur du peuple qu’en dressant des autels à leur victime. Numa, Ancus Martius, Tarquin l’Ancien, Servius Tullius consacrèrent leurs règnes à fonder d’utiles établissemens, à perfectionner les lois. L’équilibre, que la constitution tendait à maintenir entre le roi le sénat et le peuple, subsistait encore à l’avénement de Tarquin le Superbe; ce prince voulut le détruire; il fut détrôné.

Si, durant cette première période, les Romains ne connurent pas le bonheur matériel, ce fut plutôt la faute des grands que celle des rois. Les patriciens abusèrent de l’influence que leur assurait leur fortune; et le peuple, accablé d’impôts, gémit en proie aux odieuses exactions des usuriers .

Des Romains sous les consuls.

La révolution, qui éleva deux consuls à la place d’un roi, ne changea pas la condition des plébéiens; elle ne fit que développer en eux le sentiment de leur force et proclamer le principe de la souveraineté du peuple. Les consuls héritèrent du pouvoir et de la plupart des honneurs de la royauté. Seize ans après l’expulsion de Tarquin, les plébéiens résolurent de s’opposer à l’ambition toujours croissante des patriciens; ils quittèrent en masse la ville, et se retirèrent sur une montagne désignée depuis sous le nom de Mont-Sacré. Le motif apparent de cette insurrection fut l’insatiable avidité des créanciers; le peuple demanda énergiquement la remise des dettes, et des magistrats préposés à la défense de ses droits. Tout lui fut concédé ; il rentra triomphant dans Rome, précédé de ses tribuns; de cette époque date véritablement la liberté politique dont les Romains jouirent sous la république.

Le sénat délibéra, le peuple décida, et les consuls exécutèrent. Les attributions des consuls, fort étendues en tems de paix, l’étaient plus encore durant la guerre; ils commandaient à la tête des armées comme des maîtres absolus. mais leurs fonctions électives restèrent toujours annuelles. En les quittant, ils rendaient compte de leurs actes au peuple et rencontraient souvent en lui un juge sévère.

Plusieurs magistrats furent successivement créés, ou parvinrent à relever l’importance de leurs charges, tels que les questeurs, les édiles, les préteurs, les censeurs. Institués d’abord pour faire le cens ou le dénombrement des citoyens, ces derniers s’arrogèrent peu à peu l’inspection des mœurs et de la conduite privée. A l’époque du cens, qui avait lieu tous les cinq ans, ils rayaient, à leur volonté, de la liste des sénateurs le patricien qui s’était rendu indigne de son rang, fesaient descendre dans une classe inférieure le citoyen signalé par quelque action répréhensible, et pouvaient infliger une note au dissipateur, au négligent administrateur de ses biens, au célibataire sans motif légitime, à tout homme enfin qui étalait un luxe immodéré : cette note n’avait rien d’infamant; c’était une simple censure; mais pour obtenir quelque dignité, il fallait mériter par une conduite plus régulière qu’elle eût été effacée par les censeurs qui leur succédaient.

Ces diverses magistratures se croisaient, se limitaient mutuellement; la surveillance, qu’elles exerçaient l’une sur l’autre, tournait en réalité au profit du citoyen. Bientôt les censeurs furent très redoutés; chargés de l’exécution des lois somptuaires, leurs regards scrutateurs pénétraient dans l’intérieur des familles; ils ont long-tems contribué à maintenir la pureté des moeurs; sous ce rapport, leur influence sur la prospérité de Rome est incontestable; en suspendant les ravages de la corruption, ils arrêtèrent l’impétuosité du torrent qui devait renverser leur patrie.

Les tribuns n’avaient reçu d’abord que la mission de défendre les intérêts du peuple. Peu à peu, on les vit présider ses assemblées, les convoquer à leur gré, citer devant elles presque tous les fonctionnaires, s’opposer aux décrets du sénat, les casser, publier des réglemens et des lois, quelquefois même faire emprisonner les consuls et condamner les dictateurs à l’amende.

Jamais les tribuns n’eurent le droit d’appeler un citoyen et de le forcer à comparaitre devant leur tribunal, ce qu’on appelait à Rome jus vocandi; mais, par une étrange bizarrerie, ils possédaient celui de le faire saisir et amener devant eux, ce qu’on nommait le jus prehendendi. Un agent, nommé viator, qui les précédait toujours en public, mettait leurs ordres à exécution. On avait déclaré leurs personnes sacrées, on leur donnait même le titre de sacro-sancti (religieusement saints), de sorte que la religion les couvrait encore de sa puissante égide.

L’infatigable ambition des tribuns troubla souvent la sécurité de la république romaine; Tiberius et Caius Gracchus, les plus illustres d’entr’eux, périrent l’un et l’autre assassinés dans une émeute . Le sénat, de son côté, exploita habilement leurs fautes pour consolider son aristocratie. Victime de ces luttes perpétuelles entre le sénat et les tribuns, le peuple se croyait libre parce qu’il choisissait ses protecteurs, qu’il prenait part au jugement des affaires capitales, ainsi qu’à l’élection des consuls et des principaux magistrats.

Sans doute ce droit de voter dans les assemblées pouvait entretenir ses illusions de liberté ; toutefois la nouvelle division des Romains en six classes, établie par Servius Tullius, avait fortement diminué dans les élections l’influence des plébéiens. Depuis ce roi, la quotité de la fortune marquait la place de chaque citoyen; la première classe contenait 98 centuries, tandis que les cinq autres n’en renfermaient que 95; de là dans les assemblées où l’on opinait par centurie, la prépondérance se trouvait par le fait assurée à la première classe composée des patriciens et des Romains les plus riches.

Sous la république, la liberté politique des Romains ne fut suspendue qu’à de courts intervalles, lorsque des circonstances graves nécessitèrent la nomination d’un dictateur, ou seulement la promulgation du décret caveant consules . Le dictateur n’était point élu suivant les formes ordinaires; un des deux consuls le désignait en vertu de l’autorisation du sénat; dès que son choix était proclamé, le dictateur exerçait sans limite le droit effrayant de vie et de mort sur tous les citoyens; mais son despotisme légal ne durait jamais plus de six mois; il était d’ailleurs obligé de rendre compte de l’usage de ce pouvoir extraordinaire.

Les plébéiens continuèrent long-tems encore à être éloignés des dignités et des emplois supérieurs. 150 ans après l’établissement du consulat, à force de séditions et d’audace, ils obtinrent enfin la faveur de voir prendre dans leurs rangs les consuls et les censeurs; mais ces élections n’étaient qu’exceptionnelles. Les patriciens accaparèrent presque constamment le monopole des honneurs; la domination du sénat fut arbitraire, comme celle de tout pouvoir oligarchique. Surveillés d’un côté par les censeurs, de l’autre assujettis à l’orgueil fastueux de leurs patrons, les plébéiens végétaient dans une position précaire dont leurs fréquentes insurrections trahissaient la pénible incertitude.

Pendant long-tems, ils ne purent même se marier suivant les trois modes admis à Rome; il ne leur était permis de légitimer leurs unions que par une cohabitation prolongée durant plus d’une année; espèce de demi-mariages, appelés per usum, les seuls que les esclaves aient jamais pu contracter. Dans le cinquième siècle après la fondation de Rome, une loi fut nécessaire pour interdire l’application au peuple de coups de verges, jusque alors infligés dans certains cas.

Loin de modifier l’autorité illimitée que Romulus avait abandonnée aux pères, aux maris, aux maîtres, la loi des douze Tables la confirma; elle permit au père de vendre son fils comme esclave; si le jeune homme parvenait à racheter sa liberté, l’auteur de ses jours pouvait jusqu’à trois fois le reduire en servitude . L’arbitraire régnait ainsi dans toutes les familles patriciennes et plébéiennes. Les femmes vivaient dans une dépendance perpétuelle . Lorsqu’elles n’étaient pas soumises, comme épouses, à la puissance conjugale, on les plaçait sous la tutelle fort gênante du plus proche de leurs parens mâles . Chaque citoyen d’ailleurs n’avait pas la permission de donner à son fils l’éducation la mieux appropriée à son caractère; il était contraint, quelles que fussent ses opinions, de se conformer aux lois sur l’enseignement public, et, malgré les répugnances de sa conscience, de suivre aveuglément la religion de l’Etat.

Ainsi les Romains ne possédaient réellement pas cette indépendance personnelle, cette faculté de disposer de soi, de ses actions, qui constitue chez les modernes la liberté individuelle.

Comment peindre sous ses véritables couleurs le triste sort des esclaves? Cette classe, si considérable à Rome, renfermait les hommes pris à la guerre, les enfans nés de pères et mères dans la servitude, ou seulement de mères, ceux qu’on achetait dans les marchés, enfin les citoyens libres qui se vendaient à leurs créanciers. Les Romains aimaient à s’entourer d’un grand nombre d’esclaves; quelques - uns en comptaient plus de mille à leur suite, c’était pour eux un objet de luxe et d’ostentation. Chaque esclave avait un emploi particulier soit dans la maison du maître, soit à la campagne; dès que sa tâche était terminée, il pouvait travailler pour son compte. Les profits de son industrie, réunis aux cinq deniers et aux quatre boisseaux de blé qu’on lui remettait par chaque mois pour sa nourriture, formaient son pécule; mais il ne pouvait en disposer que de son vivant; faire un testament était le privilège du citoyen.

Les maîtres avaient sur leurs esclaves les droits les plus étendus; il leur était permis de les châtier, de les maltraiter, de les tuer même selon leur caprice; un esclave de Védius Pollion brisait-il un vase par accident? ce barbare Romain le faisait jeter dans un vivier, et son corps allait engraisser les murènes favorites . Cicéron rapporte qu’un esclave fut mis à mort pour avoir percé un sanglier avec une arme dont il ne devait pas se servir . Le châtiment ordinaire était le fouet; des lanières de cuir, sans cesse suspendues à la porte de l’escalier de chaque habitation semblaient une menace perpétuelle qui rappelait à l’esclave et son malheur et ses devoirs. Considéré comme une propriété vivante, il était plus ou moins bien traité selon sa valeur intrinsèque; s’il tombait malade ou infirme, souvent on ne lui donnait aucun soin, et l’infortuné mendiait dans les rues quelque soulagement à ses souffrances. Plusieurs Romains se contentaient d’envoyer leurs esclaves dans une île du Tibre, nommée l’île d’Esculape, et de les y abandonner, sans ressources, sous la stérile protection du Dieu de la médecine; c’est ainsi que Caton d’Utique, dont la vertu est tant vantée, soignait les siens.

Si le maître périssait victime d’un assassinat, les esclaves alors à son service, les affranchis mêmes qui habitaient sa maison au moment du crime, tous étaient condamnés à mort. Si un maître avait été tué dans un voyage, on égorgeait ceux qui étaient restés avec lui et ceux qui avaient pris la fuite. Lorsque les esclaves appartenaient par indivis à plusieurs propriétaires, le meurtre de chacun des maîtres entrainait la peine capitale de tous les esclaves. Il semble difficile de pousser plus loin la rigueur; cependant on alla jusqu’à prescrire cette horrible boucherie, en cas d’homicide des enfans du maître, de son gendre, de son père, de sa femme, et même de son fils adoptif ; obliger les esclaves à veiller tous à la sureté de leurs maîtres, tel était le but de ces lois sanguinaires. Comme s’il n’existait pas encore assez de causes de mort pour les esclaves, on inventa les combats de gladiateurs. Ces malheureux hommes s’y massacraient entr’eux pour distraire le peuple .

Quelle effroyable condition que celle des esclaves romains! Il leur restait du moins l’espérance de recouvrer un jour la liberté. Sous la république, l’affranchi montait au rang de citoyen, il usait de ses principaux droits; mais maintenu par l’opinion publique dans une position inférieure, il né pouvait servir dans les légions, ni parvenir aux hautes dignités, et reprenait ses chaînes s’il manquait aux obligations de dépendance et de respect qui le liaient encore à ses anciens maîtres.

Les esclaves goûtaient aussi quelques instans de repos pendant les Saturnales. Ces fêtes, instituées en mémoire de l’égalité qui avait régné, disait-on, parmi les hommes du tems de Saturne, se célébraient chaque année le 17 décembre. Durant trois jours, la puissance des maîtres restait suspendue; les esclaves pouvaient dire et faire impunément tout ce qui leur plaisait . Tous mangeaient ensemble; quelquefois même les maîtres les servaient, et changeaient avec eux de vêtemens. Peut-être ces trois jours de liberté n’avaient-ils d’autre résultat que de faire sentir plus vivement encore aux esclaves toute l’horreur de leur position!

L’organisation judiciaire varia plusieurs fois à Rome. Souvent éloignés de cette ville par la guerre, les consuls déléguèrent aux préteurs le soin de juger les crimes. A chaque affaire un peu importante, ces derniers magistrats composaient le tribunal qui statuait sur le point de fait, puis ils prononçaient soit par eux mêmes, soit par un magistrat, nommé judex quæstionis, sur l’application de la peine.

Les préteurs choisirent d’abord les juges seulement parmi les sénateurs; ensuite, d’après la loi Sempronia rendue en 630, parmi les chevaliers; sous Pompée, parmi les gardes du trésor ( tribunii ærarii); sous César, parmi les centurions; enfin, sous Antoine, parmi les simples soldats. Cette magistrature mobile, qui se recrutait dans toutes les classes, ne montra point cette indépendance justement regardée comme la plus ferme garantie des droits des citoyens. Les gardes du trésor ont prouvé que les hommes fiscaux sont trop faciles à séduire pour tenir la balance de la justice. Du moins le droit d’agréer leurs juges et de les récuser jusqu’à un certain nombre, même dans les affaires pécuniaires les moins sérieuses, devenait pour les Romains un puissant rempart contre les dangers de la corruption .

On divisait les crimes en publics et privés. Chaque citoyen était libre de poursuivre les premiers. Quant aux crimes privés, la partie lésée pouvait seule en demander aux préteurs la répression.

Dès qu’on dénonçait un délit, l’inculpé était appelé devant le magistrat sans qu’aucune contrainte pût précéder ce premier avertissement. Un licteur osait-il l’arrêter? il paralysait son bras en prononçant ces trois mots: Je suis citoyen! Si le prévenu refuse de comparaître, dit la loi des douze Tables, qu’on prenne des témoins et qu’on l’arrête: eum capito. S’il veut fuir, portez la main sur sa personne: manum in eum injicito; s’il offre caution, laissez-le aller libre: eum dimittito; mais si l’on ose traduire un citoyen en jugement contre la disposition des lois, qu’il ne marche pas, et qu’il ne soit pas entraîné par violence: neque sequatur, neque ducatur; si cependant on veut l’y contraindre, il lui est permis de repousser la force par la force: vim vi repellere licet.

Honneur à la loi des douze Tables! c’est elle qui la première a textuellement consacré le principe de la liberté individuelle.

Lorsque l’accusé comparaissait, l’accusation intentée, soit par un citoyen, soit par un magistrat, était publique et répétée trois fois à un jour d’intervalle; puis on entendait les témoins , on produisait les pièces à conviction. Un acte, nommé rogatio, contenant l’exposé des faits et la nature de la peine, demeurait affiché pendant dix-huit jours sur la place publique. Au jour fixé pour le jugement, l’accusé se présentait devant le peuple dans l’état le plus propre à exciter sa pitié ; on lisait d’abord l’acte d’accusation fortifié de toutes les preuves de l’instruction faite précédemment; ensuite l’accusateur, ou son avocat, développait la plainte, et le défenseur de l’accusé épuisait en sa faveur toutes les ressources de l’éloquence. Après un court résumé des charges et des moyens de la défense fait par le préteur, l’assemblée délibérait. Chaque juge exprimait son opinion en jetant dans une urne un bulletin marqué, soit d’un A pour absoudre, soit d’un C pour condamner, soit des lettres N L pour annoncer que l’affaire n’était pas suffisamment éclaircie; le plus âgé des officiers préposés au dépouillement du scrutin, nommés custodes, en publiait le résultat. Le préteur, se levant alors, prononçait à haute voix la sentence en ces termes: «Le peuple romain

» assemblé selon les formes prescrites par les

» lois et avec le consentement des Dieux, condamne

» l’accusé N à telle peine.» Puis se tournant vers ses licteurs: «Allez, leur disait-il,

» que le coupable soit conduit en

» prison, et qu’il subisse ce que la loi a ordonné.»

L’accusé, qui n’obtempérait pas à la première sommation du magistrat, ou qui même avait offert caution, pouvait prendre la fuite; mais alors on le condamnait à l’exil . La loi lui permettait même, quel que fût son crime, de s’exiler volontairement avant d’être jugé. Aux yeux des Romains, le bannissement de la patrie était un châtiment aussi redoutable que la mort même.

Egards pour l’accusé, respect pour la défense, publicité des débats, délais nécessaires pour parvenir à la découverte de la vérité, surveillance des gardes placés près de l’accusateur pour l’empêcher de corrompre les juges et les témoins, tache infamante résultant d’une plainte injuste, tout ce que peut, en un mot, désirer l’innocence calomniée, se trouvait réuni dans cette procédure criminelle.

La procédure civile fut loin de se montrer aussi favorable à la liberté individuelle; les droits les plus chers à l’homme étaient sacrifiés à l’intérêt du créancier. Suivant la loi des douze Tables, le débiteur était plus durement traité que le criminel; le sort de ce dernier était confié du moins à ses juges, tandis que le premier se voyait livré seul à l’impitoyable cupidité de son adversaire .

Si une personne citée devant le magistrat ne comparaissait pas, celui qui l’ajournait pouvait la retenir en chartre privée dans son domicile, et l’empêcher d’aller où bon lui semblait. Cherchait-elle à s’évader ou à retarder la décision? le demandeur avait le droit de mettre la main sur elle, et de la conduire de force devant le magistrat. Dès qu’une condamnation était prononcée, la quatrième loi des douze Tables autorisait le créancier à emmener chez lui le débiteur qui ne présentait aucune caution, à le charger de fers dont le poids ne pouvait s’élever à plus de quinze livres, à le réduire en esclavage après soixante jours de captivité, à le vendre, à en user enfin comme de sa propriété. S’il y avait plusieurs créanciers, ils pouvaient, suivant quelques interprètes, mettre en pièces leur débiteur, et se partager les lambeaux de son cadavre. Les commentateurs ont frémi à la pensée des conséquences de cette dernière interprétation; la plupart ont cru que le texte avait été altéré .

Rien de plus sévère, en matière pénale, que la loi des douze Tables; la peine capitale, qu’on y voyait prodiguée, était infligée même au vol de nuit; les condamnés périssaient au milieu d’horribles supplices. Après le renversement de la tyrannie passagère des décemvirs, presque toutes les lois pénales, qu’ils avaient portées, se trouvèrent suspendues par la loi Porcia ; elle ne les abrogea pas expressément; mais en défendant de faire mourir un citoyen romain, elle ne leur laissa plus d’application.

Des Romains sous les empereurs.

Durant les dernières années de la république, le luxe et la corruption dépouillèrent les Romains de leur première énergie; Marius et Sylla, Pompée et César s’achetèrent des partisans au poids de l’or, et déchirèrent le sein de leur patrie par leurs funestes rivalités. A peine sortis de l’anarchie des guerres civiles, les Romains tombèrent sous le despotisme de l’empire; ils subirent ainsi en peu de tems ces deux fléaux qui châtient d’ordinaire les excès des peuples.

Le gouvernement des empereurs ne fut, dans le principe, qu’une perfide hypocrisie; on conserva les formes de la république, les couleurs de la justice, le respect extérieur des lois; à l’aide de ces trompeuses apparences, la politique rusée d’Auguste enracina dans le pays de la liberté le plus despotique des gouvernemens. Les empereurs réunirent à la couronne les fonctions de tribuns, et s’emparèrent de tout le pouvoir du peuple. Tibère lui enleva l’élection des magistrats, sa dernière garantie, sous le prétexte qu’il était trop nombreux. Elle fut transmise au sénat; cette compagnie si célèbre retint ses honneurs, mais perdit son influence et sa position indépendante; le souverain concentra toute l’autorité dans ses mains; du fond de son palais, il commanda au monde entier, leva des tributs, promulgua les lois, choisit seul les fonctionnaires, acquitta ou condamna les accusés; en un mot, la seule loi de l’empire romain fut la volonté de son empereur. «Tout m’est permis, et contre tous,» disait Caligula . Vainement après la mort de ce tyran, le sénat voulut ressaisir ses anciennes prérogatives; les soldats l’emportèrent, et les prétoriens, devenus maîtres de la destinée des souverains, disposèrent à leur gré de la couronne. On vit alors ce que l’expérience des siècles a confirmé, c’est que, partout où le sabre domine, le despotisme s’organise. Pour les hommes de guerre, la loi, c’est la force; le gouvernement, c’est l’arbitraire; les moyens de répression, ce sont la prison et l’échafaud.

Les Romains, si avides de liberté pour eux, si impérieux envers les peuples vaincus, ressentirent à leur tour, sous les Césars, tous les maux de la servitude politique; ces citoyens superbes, qui se plaçaient dans leur orgueil au-dessus de toutes les nations, bornèrent alors leur ambition à demander d’une voix suppliante... du pain et des spectacles . Leur déplorable condition s’aggrava encore sous ce fantôme d’empire d’occident qui n’était qu’une sanglante anarchie. Dès lors, plus de force dans le pouvoir, plus d’ordre public, et par suite plus de sureté personnelle. L’empire tomba pièce à pièce jusqu’au jour où les Barbares voulurent bien se le partager.

Comme s’il était dans la destinée des Romains d’éprouver successivement les avantages et les inconvéniens de leurs institutions, celles, qui naguère devaient les protéger, servirent à les persécuter. Ainsi le droit d’accusation, dont chaque citoyen avait été investi dans l’intérêt de la liberté générale, se changea sous les empereurs en l’infâme métier de délateur. Les grands, les pauvres, les riches, tous l’exerçèrent à l’envi. On reçut sans distinction les accusations publiques et les délations secrètes. Un mot hasardé dans le forum ou dans un repas devint un crime, et, dans la crainte sans doute que les haines privées ne fussent pas encore assez actives, la loi Papia Pompea encouragea les délateurs par la promesse d’une récompense .

Qui pourrait dire tous les attentats à la liberté individuelle dont les dénonciations furent la cause! Cremutius Cordus , Helvidius, Thraséas en périrent victimes. De nouveaux délits, de nouveaux supplices furent découverts; l’accusation du crime de lèse – majesté se multiplia à l’infini; c’était, dit Pline, le crime de ceux auxquels on n’en pouvait reprocher d’autre; attendu la gravité de cette imputation, on appliquait la question même aux citoyens qu’un privilège légal exemptait de ce châtiment provisoire . Plusieurs princes essayèrent de réprimer le scandale des dénonciations; mais elles s’étaient tellement naturalisées dans les mœurs romaines, que les lois de Galba, de Titus, de Nerva, de Trajan, d’Antonin et de Constantin purent à peine en diminuer le nombre.

La législation romaine, maintenant encore répandue dans tout l’univers et surnommée la raison écrite, demeura stationnaire jusqu’au règne d’Adrien. A cette époque, des hommes distingués se consacrèrent à l’étude du droit; leurs ouvrages obtinrent l’honneur d’être considérés à l’égal des rescrits impériaux; mais quelques - uns de ces jurisconsultes se sont à jamais déshonorés par le honteux emploi de leur science. Ils enseignaient publiquement que l’empereur était supérieur aux lois, que son autorité s’étendait sur la vie et sur la fortune des citoyens, et qu’il pouvait disposer de l’état comme de son patrimoine.

Ces maximes despotiques furent également mises en pratique par les empereurs chrétiens, car le climat de Constantinople n’a jamais été favorable à la liberté ; toutefois la législation civile et criminelle éprouva quelques heureuses améliorations . Une des plus importantes, c’est la modification de la loi des douze Tables si cruelle sur l’exécution de la contrainte par corps.

Déjà il n’était plus permis d’arracher violemment un débiteur de son domicile pour le conduire devant le magistrat . Un officier, nommé appariteur, lui notifiait un libelle ou assignation pour comparaître devant le tribunal. Déjà les débiteurs avaient la faculté d’assurer la liberté de leurs personnes en fesant aux créanciers la cession de leurs biens , lorsque Constantin défendit expressément de les emprisonner. Suivant ce prince, une prison est le séjour des coupables et non celui d’un homme déjà assez malheureux de ne pouvoir acquitter ses dettes . Les biens seuls pouvaient être vendus, même pour les créances privilégiées du fisc. Dans tous les cas, il fut interdit d’enlever pour dettes les femmes de l’intérieur de leurs maisons; le juge, qui se serait permis d’ordonner une semblable arrestation, aurait été sévèrement puni.

Sous la république, les accusés pouvaient, en toutes circonstances, présenter des cautions et éviter ainsi les angoisses de la détention préalable. Sous les empereurs, il appartenait au proconsul de décider s’ils devaient demeurer libres, ou être mis en prison, ou placés sous la surveillance d’un soldat, ou confiés à leurs cautions . Accorder une telle latitude à ce haut fonctionnaire, c’était remettre à sa discrétion la liberté des citoyens. Antonin restreignit ce droit si arbitraire; il défendit par un rescrit de retenir en prison l’accusé qui offrait des cautions ou répondans, à moins qu’on ne lui imputât un grave attentat contre la société ; s’il avouait son crime, il était privé du bénéfice de la caution et incarcéré ; loi impolitique qui punissait l’aveu, signe ordinaire du repentir!

Du reste, les autres lois criminelles sont généralement empreintes d’un caractère touchant de bienveillance pour les accusés; partout il est recommandé d’abréger, autant que possible, le tems si pénible de la détention provisoire. Constantin prescrivit les plus sages mesures pour entretenir la salubrité des prisons. Les inculpés, avant leur jugement, conservaient dans les lieux, où l’on les déposait, la vue du soleil et la jouissance d’un air pur . Etait - il nécessaire de leur mettre des chaînes? elles devaient être attachées de manière à ne leur causer aucune souffrance. Enfin, et ce fut là le moyen le plus efficace de protéger leurs personnes, un sevère châtiment menaçait le geolier qui les aurait maltraités.

Constantin voulut dignement célébrer le retour de l’impératrice Hélène sa mère, et de Crispus son fils; au milieu de la fête brillante qu’il donna dans ce but, il fit ouvrir les prisons . Jaloux de suivre un si noble exemple, Théodose ordonna de rendre chaque année, au jour de Pâques, la liberté à tous les détenus, excepté à ceux que d’odieux forfaits signaleraient comme indignes de cette faveur.

Suivant la novelle 134, les femmes, prévenues d’un grand crime, n’étaient point exposées aux dangers d’une prison; on les renfermait dans un monastère, ou bien on les confiait à la garde d’autres femmes.

Aucun accusé ne pouvait être condamné après un premier interrogatoire; on craignait que les juges ne se laissassent quelquefois entraîner à un premier mouvement d’indignation; il fallait l’interroger une seconde fois pour donner au magistrat le tems de se calmer, et à l’accusé les moyens de se défendre. Dès que le jugement avait été prononcé, les condamnés exécutaient leur peine sans se voir jamais chargés de fers, car l’emprisonnement, d’après la loi romaine , a lieu pour contenir les hommes et non pour les punir.

Quant aux lois pénales, loin d’être mitigées, leur rigueur fut remarquable, même sous les empereurs chrétiens; ainsi Constantin décerna la peine de mort contre l’adultère et le rapt. Qui pourrait se rappeler sans indignation l’atroce cruauté des supplices inventés par les princes payens pour faire couler le sang si fécond des martyrs!

Durant cette troisième période de l’histoire romaine, l’état des personnes s’améliora; il ne fut plus permis aux pères d’ôter à leurs enfans la vie qu’ils leur avaient donnée ; seulement sur la plainte des pères, les magistrats infligèrent la peine que ceux-ci indiquaient. Les femmes sortirent peu à peu de cette position dépendante où les lois jusqu’alors les avaient maintenues. Les enfans portèrent à leurs mères le respect qui leur est dû à tant de titres. Ici rendons au christianisme un hommage de reconnaissance! En enseignant le premier l’égalité parmi les hommes, il contribua puissamment à adoucir le sort des esclaves. Le maître, qui les tuait, était lui-même puni de mort; s’il se livrait sur eux à de mauvais traitemens, il pouvait être obligé de les vendre à un prix raisonnable; toutefois les esclaves restèrent soumis aux tortures de la question. Constantin rendit la liberté à ceux qui en avaient été induement privés, facilita aux autres les moyens de la recouvrer, et autorisa l’affranchissement dans les églises, sur la simple attestation d’un évêque.

Dans les premiers tems de la république, un esclave, pour s’élever à la dignité de citoyen, devait être affranchi par un mode solennel, c’est-à-dire, obtenir le consentements imultané de la cité et de son maître à son indépendance; cependant, en fait, et dans l’usage, les maîtres les affranchissaient souvent par des actes privés en les fesant asseoir à leur table, en déclarant devant des amis leur intention (per convivia et inter amicos). Alors, sans être entièrement libres, ces esclaves vivaient néanmoins en liberté ( in libertate morabantur). Si le maître, se repentant de son bienfait, demandait plus tard la nullité de l’affranchissement auquel la cité n’avait pas consenti, le préteur s’y opposait, et l’esclave devait à son utile médiation de ne point retomber dans les liens de la servitude.

En 772, sous le règne de Tibère, cette classe particulière d’affranchis fut régulièrement organisée par la loi Julia norbana; ils portèrent le nom de Latini Juliani. Complètement libres relativement au maître qui leur avait restitué leur indépendance, ils n’étaient pas cependant considérés comme citoyens, parce que l’Etat n’avait point sanctionné leur affranchissement; ils ne possédaient que les droits des Latins, c’est-à-dire, des peuples du Latium auxquels on n’avait point accordé tous les privilèges du citoyen romain. Cette distinction entre les affranchis citoyens et les affranchis latins fut définitivement supprimée sous Justinien.

Peu d’années avant le règne de Constantin, il s’établit une classe intermédiaire entre les esclaves et les affranchis, celle des agricoles ou colons; on les divisait en deux sections différentes: les uns s’appelaient censiti adscriptii, ou tributarii. les autres se nommaient inquilini, coloni liberi, ou quelquefois simplement coloni; tous étaient également attachés à perpétuelle demeure aux terres qu’ils cultivaient, et quand la terre était vendue, ils la suivaient nécessairement dans les mains de l’acquéreur. Les censiti, ou tributarii, ainsi désignés parce qu’ils payaient un tribut de tant par tête, se rapprochaient plus des esclaves; ils ne possédaient rien par eux-mêmes; leur pécule appartenait à leurs maîtres , et les enfans partageaient la destinée de leurs mères.

Les coloni liberi s’éloignaient moins des citoyens; exempts de tout impôt personnel, ils ne payaient qu’une redevance annuelle en denrées ou quelquefois en argent. Avaient-ils à se plaindre de leurs maîtres? la voie criminelle leur était ouverte; ils pouvaient acquérir des immeubles, mais défense leur était faite de les vendre, d’accepter aucune fonction et de servir comme soldats.

La condition des coloni liberi ressemblait à peu près à celle des serfs attachés à la glèbe sous le régime féodal; le servage ne fut en effet que la transition de l’esclavage à la domesticité.

L’organisation municipale reçut aussi, sous les empereurs, un nouveau développement. Dans chaque ville romaine, la Curie ( espèce de conseil municipal dont les membres, appelés décurions, furent d’abord choisis par le gouverneur de la province et ensuite élus par le peuple) était chargée des affaires particulières de la cité, et nommait aux fonctions publiques. Deux magistrats annuels, nommés duumvirs, la présidaient; ils portaient la robe prétexte et avaient presque la même autorité que les consuls à Rome . Les officiers de l’empire ne s’occupaient que d’assurer le maintien de l’ordre public et la perception des impôts; du reste, l’administration et la police intérieure des cités demeuraient tout entières entre les mains des décurions. Malheureusement ces fonctionnaires, investis de cette autorité locale qui exerce une influence de tous les instans sur le bien-être des particuliers, en abusèrent pour les opprimer .

On vit s’élever, sous les empereurs chrétiens, une autre magistrature municipale, celle des défenseurs des cités ( defensores civitatum). Protéger les intérêts de la classe inférieure du peuple, partout si dédaigneusement négligée, fut leur plus belle attribution: «Montrez-vous les pères des plébéiens,

» leur disaient Valentinien et Théodose, soutenez

» le pauvre habitant des campagnes et

» des villes contre les injustices des chefs; ne

» souffrez pas qu’on les surcharge ni qu’on les

» dépouille; vous devez les défendre comme

» vos enfans .» Plus tard, cette magistrature paternelle tomba dans le mépris ; elle subsistait cependant encore après l’invasion des Barbares.

Ainsi, durant cette troisième période, la position des Romains, affligeante sous plusieurs rapports, ne fut pas cependant sans compensation. Si, d’un côté, ils gémirent écrasés sous le despotisme, si leurs fortunes et leurs vies ne furent que trop souvent abandonnées aux caprices d’un tyran, ou aux brutales passions d’une soldatesque effrénée; de l’autre, l’humanité pénétra dans les lois civiles et criminelles, les esclaves sentirent le poids de leurs chaînes s’alléger; à la voix du christianisme, les ames s’épurèrent et s’agrandirent, les affections de famille furent mieux-comprises, les droits de la faiblesse et de l’innocence plus respectés; on commença enfin à s’apercevoir que la liberté du foyer domestique contribue plus au bonheur de l’homme que la liberté de la place publique.

Histoire abrégée de la liberté individuelle chez les principaux peuples anciens et modernes

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