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DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE CHEZ LES ÉGYPTIENS.

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LES Egyptiens sont à la fois l’un des peuples les plus célèbres de l’antiquité et l’un des premiers qui aient reçu un gouvernement et des lois; à ce double titre, ils méritent la première place dans cet ouvrage. Leur histoire, dont les commencemens sont demeurés fort obscurs, peut se diviser en deux parties: l’Egypte ancienne et l’Egypte moderne.

De l’Egypte ancienne.

L’Egypte ancienne avait un gouvernement absolu, tempéré par la théocratie; aucune loi ne limitait l’autorité du monarque. Entouré d’une garde nombreuse et de tout l’appareil du despotisme, il se fesait appeler le roi des rois, pouvait rendre lui-même la justice, et disposait à son gré des biens et de la liberté de ses sujets; mais ce pouvoir si étendu, si arbitraire, trouvait un contre-poids dans celui des prêtres. Le privilège d’élever la jeunesse, l’honneur d’instruire les enfans des rois et de composer leur conseil, le monopole de la science, d’immenses richesses, la multiplicité de leurs fonctions, leur profession héréditaire dans leurs familles, tout concourait à perpétuer l’ascendant des ministres de la religion; chaque jour, les souverains allaient dans les temples entendre leurs discours, quelquefois même leurs remontrances sur l’accomplissement des devoirs de la royauté, et la crainte du sacerdoce modérait ainsi la puissance des rois.

Les Egyptiens étaient partagés en trois castes qui représentaient l’intelligence, la force, et la matière, c’est-à-dire, les prêtres, les guerriers, et le peuple. La caste sacerdotale, qui occupait, après le monarque, le premier rang dans l’état, domina la caste des guerriers, et conquit une si haute influence par ses lumières qu’elle tint plusieurs rois sous sa dépendance; elle renversa l’Ethiopien Sabacon qui s’était rendu maître de l’Egypte, et le prêtre Séthon monta sur le trône. Le peuple, éloigné dans tous les tems des honneurs et des emplois, n’eut jamais aucun droit politique, aucune part directe ni indirecte au gouvernement; il ne possédait même pas de propriétés immobilières; les laboureurs, réduits à l’état de fermiers des terres, qui appartenaient aux rois, aux prêtres et aux soldats, étalent rangés, comme les artisans, parmi les mercenaires. Si cependant les prêtres avaient usé de leur prépondérance dans l’intérêt général, le peuple aurait connu peut-être la liberté ; mais tel ne fut, à aucune époque, le but de leur infatigable ambition.

Jamais nation, dit Rollin , n’a été plus crédule ni plus superstitieuse que les Egyptiens. Des hommes, qui se prosternaient devant un chat, et adoraient des légumes, pouvaient-ils être libres!.....

Il existait dans ce pays diverses espèces de servitudes; parmi les esclaves, dont la plupart étaient des étrangers achetés ou faits prisonniers, les uns servaient dans les maisons, les autres étaient employés aux travaux extérieurs; dans aucun cas, la loi ne permettait à leurs maîtres de disposer de leur vie.

L’histoire ne nous a transmis que des renseignemens très succints sur la procédure criminelle des Egyptiens; Hérodote ne cite qu’un seul fait qui puisse nous en donner une idée; encore est-il relatif à un étranger. Pâris, ravisseur de la belle Hélène, est jeté par la tempête sur les rivages de l’Egypte; ses esclaves dénoncent son crime aux prêtres; il se réfugie dans un temple. Le roi Protée, instruit de cette accusation, envoie aussitôt un ordre ainsi conçu: «Arrêtez l’étranger, quel qu’il

» soit; qu’on me l’amène, et que j’entende ce

» qu’il peut alléguer pour sa défense.» Le fils de Priam, conduit à Memphis, est interrogé par le prince lui-même; il veut trahir la vérité ; ses dénonciateurs l’interrompent, et rapportent les détails de son adultère qui devait être si fatal à sa patrie. Le roi déclare par un jugement qu’il garde la femme et l’or de Ménélas pour les lui remettre, et ordonne que Pâris sortira dans trois jours de ses Etats. Ainsi les souverains d’Egypte réunissaient le triple et dangereux pouvoir de faire les lois, de les appliquer et de les exécuter.

Dès qu’une plainte était formée, on arrêtait ordinairement le prévenu; mais le mode d’arrestation n’était soumis à aucune règle; la liberté individuelle des Egyptiens restait, sans aucune garantie, à la discrétion du monarque et de ses principaux officiers; Pharaon fait descendre de leurs places brillantes dans une prison son grand échanson et son grand pannetier parce qu’ils ont encouru sa disgrâce ; quelque tems après, le premier reprend sa charge, et le second est mis à mort sans jugement. Faussement accusé d’avoir voulu séduire la femme de son maître, Joseph est déposé dans une prison publique sur l’ordre seul de Putiphar; après deux années de captivité, il en sort le premier ministre de l’Egypte le roi, en l’élevant à cette dignité, lui adressa ces paroles rapportées dans la Genèse: Ad tui oris imperium cunctus populus obediet, absque tuo imperio, non movebit quisque manum aut pedem in omni terrâ Egypti , Joseph usa de cette autorité si arbitraire dans une circonstance mémorable: lorsque ses dix frères viennent en Egypte implorer des secours contre la famine qui désole leur patrie, il feint de les prendre pour des espions, et les fait emprisonner durant trois jours; puis il leur rend la liberté ; mais il retient captif Siméon, l’un d’eux, pendant que les autres vont chercher Benjamin dans la maison paternelle .

Une loi d’Amasis astreignait chaque Egyptien à déclarer au gouverneur de la province qu’il habitait, son nom, son état, la nature de ses biens et les profits de son industrie; celui qui fesait une déclaration infidèle était puni de mort. Cette loi, destinée à réprimer le vagabondage et la mendicité, autorisait par le fait l’inquisition dans la vie privée; mais elle ne compromettait pas la sûreté publique comme celle-ci relatée par Delamarre en son Traité de police : une compagnie de voleurs était organisée en Egypte; celui qui voulait y entrer, se fesait inscrire chez le chef des voleurs , apud furum principem; une fois admis, il lui rendait compte de tous ses vols qui étaient soigneusement analysés sur un registre. Les plaignans pouvaient s’adresser au chef; s’ils reconnaissaient en sa possession les objets qui leur avaient été dérobés, on les leur restituait en en retenant toutefois un quart pour récompense. Sparte oublia aussi le respect dû à la propriété ; mais du moins son législateur se proposait un but utile.

Selon plusieurs auteurs, la torture fut mise pour la première fois en pratique chez les Egyptiens. Les hommes, qui y étaient exposés, dit Elien , mouraient au milieu des tourmens plutôt que de confesser leur crime. Avant rétablissement des Israélites en Egypte, il existait déjà plusieurs prisons; l’historien Josephe remarque que des travaux habituels, assez pénibles même, étaient imposés aux détenus. Antiphile éprouva les plus horribles traitemens; mais le crime de sacrilège, dont il était accusé, si grave chez un peuple religieux, peut expliquer cette barbarie inusitée envers les autres prisonniers.

La législation pénale était généralement sévère; les châtimens souvent atroces, tels que la mutilation, n’étaient point proportionnés aux délits; ainsi on punissait de mort le parjure, le mensonge en certains cas, le meurtre volontaire d’un animal. Quelquefois même si c’était un animal sacré, le peuple n’attendait point que la condamnation fût prononcée; dans son fanatisme, il devenait juge et bourreau de l’accusé.

L’humanité présidait à l’exécution des condamnés; on les enivrait avant de les mener au supplice; la femme enceinte ne pouvait point y être conduite: Loi sage et sublime, dit M de Pastoret , dont tous les peuples éclairés ont assez fait l’éloge en l’adoptant.

Trente juges, choisis parmi les hommes les plus recommandables du royaume, distribuaient la justice et statuaient également sur les affaires civiles et criminelles. Tout s’y traitait par écrit; l’accusateur et l’accusé présentaient tour à tour leurs moyens respectifs, et la mûre délibération, qui précédait les jugemens, attestait aux deux parties que leur cause avait été scrupuleusement examinée.

Sous les premiers rois de l’Egypte, le débiteur, qui ne pouvait remplir ses engagemens, expiait dans les prisons son insolvabilité. Sésostris, à son avénement à la couronne, paya les dettes d’un grand nombre de détenus; mais ce fut le roi Bocchoris qui abrogea la contrainte par corps; les biens restèrent seuls garans du débiteur, sa personne fut mise à l’abri des violences des créanciers . Plus tard, le roi Asychis défendit d’emprunter de l’argent à moins qu’on ne donnât en gage le corps de son père; c’était à la fois une infamie et une impiété de ne pas le retirer promptement; celui qui mourait, sans s’être acquitté de ce devoir, ne recevait pas les honneurs funèbres; ici l’on reconnait la sagesse peut-être trop vantée des Egyptiens; cette loi conservait tout ensemble aux créanciers leurs droits, aux débiteurs leur liberté, et à leur pays des citoyens utiles.

Ainsi l’absolutisme des rois, une superstition presque invraisemblable, une procédure criminelle sans règles déterminées, des peines sévères et souvent barbares, s’opposaient en Egypte à l’exercice de la liberté individuelle; mais ce qui devait l’entraver plus fréquemment encore, c’était la minutieuse prévoyance de la loi; elle réglait les occupations de chaque citoyen, ses devoirs, et même ses plaisirs; le poursuivant en quelque sorte dans les moindres détails de la vie, elle pénétrait jusque dans l’intérieur de la chambre nuptiale. Les Egyptiens n’avaient donc pas la libre disposition de leurs personnes ni de leurs actions.

Il serait injuste néanmoins de confondre le gouvernement de ce royaume avec ceux des autres états despotiques. L’autorité du souverain, il est vrai, fut illimitée; mais, comme l’observe Bossuet , il était obligé plus que tous ses sujets à vivre selon les lois, qui fixaient aussi l’emploi de son tems à chaque instant du jour , et désignaient jusqu’aux heures de ses repas et de son sommeil. Soumis durant sa vie à la censure des prêtres, il était jugé publiquement après sa mort selon ses œuvres; on a vu quelques princes privés de la sépulture par décision du peuple; la crainte de ces sentences solennelles, qui formaient ainsi pour les rois une postérité anticipée, pouvait quelquefois paralyser leur main au moment de signer un acte contraire à la justice.

Le climat brûlant de l’Egypte, sa température uniforme exercèrent sur l’esprit, de ses habitans une constante influence. D’un naturel peu belliqueux, ils aimaient la vie tranquille et sédentaire; leurs mœurs douces, leur goût pour les sciences, la longue paix dont ils jouirent, le caractère de leurs monarques, qui, à l’exception de Sésostris, furent généralement pacifiques, contribuèrent à leur assurer un gouvernement modéré .

L’Egypte subsista ainsi durant seize siècles; après être devenue la proie de Cambyse, elle passa successivement sous la domination des Perses, des Macédoniens et des Romains; elle garda long - tems ses coutumes et ses lois; mais par l’effet du mélange des nations grecques et asiatiques, ses premières mœurs s’effacèrent peu à peu Lorsque l’empereur Auguste renversa le trône des Lagides, il ne trouva plus de gouvernement organisé ; contraint de renoncer à la sage politique des Romains qui laissaient aux peuples vaincus leurs institutions, il confia l’administration de cette province, insciam legum, ignaram magistratuum, dit Tacite , à un préfet revêtu d’une autorité sans bornes.

De l’Egypte moderne.

Vers l’année 640, les Arabes, sous la conduite d’Amrou, lieutenant du trop fameux Omar, firent la conquête de l’Egypte; c’est a cette époque que commence l’histoire de l’Egypte moderne, déplorable série de crimes et de révoltes. Les vainqueurs lui imposèrent la religion mahométane et un gouvernement despotique qui en est la funeste conséquence. Ses chefs furent successivement les califes Fatimites, les sultans Ayoubites et les Mamlouks.

En 1516, Sélim Ier, empereur des Turcs, arracha l’Egypte à la valeur des Mamlouks, et maintint habilement dans leurs droits les vingt-quatre sangiaks ou beys, gouverneurs de provinces, qui partageaient l’autorité avec le délégué du sultan. Dans un traité publié l’an 887 de l’égire (1517 de notre ère) il accorda à l’Egypte une république moyennant un tribut annuel de 560,000 assanis ; dès lors, le gouvernement devint en réalité aristocratique; car la puissance du pacha était trop faible, trop incertaine pour résister à l’ambition des sangiaks, d’ailleurs investis du droit de le suspendre de ses fonctions; bientôt resserré et gardé à vue dans le château du Caire, il ne fut plus qu’un vain fantôme qu’on déposait à volonté ; les beys, à la tête des provinces et des armées, s’emparèrent de tout le pouvoir, et l’Egypte eut à subir vingt-quatre tyrans de plus. Dans le traité de Sélim, il n’était pas même question des intérêts du peuple; «Ne croirait-on pas voir, dit Savary , un » marchand vendant trois ou quatre millions » d’esclaves à vingt-quatre étrangers?» L’agriculture détruite, des impôts exorbitans levés avec violence, les gens de bien dépouillés ou massacrés, des séditions perpétuelles, tels furent les résultats de la république égyptienne.

Plus tard, les pachas reprirent leur empire sur l’Egypte épuisée; quelques-uns même portèrent plus loin leur audace; en 1766, Aly-Bey conçut et réalisa le projet de secouer le joug de la Porte-Ottomane; Mohammed-Aly, pacha actuel, est parvenu à se rendre presqu’entièrement indépendant.

Depuis la conquête des Arabes jusqu’au 19e siècle, la liberté individuelle a été indignement foulée aux pieds en Egypte ; quand un délit était commis, l’aga, ou le chef militaire, avait le droit d’arrêter le coupable, de le juger, et d’exécuter lui-même son jugement dans les vingt-quatre heures. Il serait difficile de retracer ici combien fut malheureuse la condition des indigènes; tour à tour victimes de leurs ennemis, de leurs chefs, de la guerre et de la peste, ces hommes dégénérés ne savaient que changer de tyrans. Terrible exemple des vicissitudes humaines! L’Egypte, qui fut la mère de la civilisation, le berceau des arts, dont les plus beaux génies vinrent étudier les lois, dont les pyramides semblent encore porter jusqu’au ciel les glorieux souvenirs, qui a vu combattre sur ses bords les plus grands conquérans, Alexandre, César, Tamerlan, Napoléon, demeura, durant douze siècles, la terre classique de l’ignorance et de l’esclavage.

Aujourd’hui l’aurore d’un nouvel avenir parait luire sur cette célèbre contrée. Mohammed-Aly a profité de sa puissance pour préparer la régénération de ses sujets; il a ouvert des écoles, encouragé l’agriculture, favorisé l’industrie, fondé un journal, envoyé à Paris plusieurs jeunes gens puiser à la source de toutes les sciences; enfin il a réuni en 1829 une assemblée composée des principaux fonctionnaires et de 93 cheyks-beled ou chefs des villages, en qualité de députés des départemens, et soumis à sa décision les affaires de l’Etat; mais ce qu’il y a de plus remarquable dans un pays despotique, c’est là publication d’un code pénal rédigé dans un esprit d’humanité : il abolit la peine de mort pour tous les crimes autres que les délits politiques, et lui substitue les travaux forcés, dont la durée doit être proportionnée à la gravité des faits. Lorsqu’une plainte est rendue, si l’accusateur ne prouve pas la culpabilité dans l’espace de quinze jours, l’accusé est mis en liberté en présentant des cautions; mais si, après quelque tems, ce même homme est encore traduit devant les magistrats pour le même crime, et qu’il soit reconnu coupable, les cautions subissent une punition d’un an de galères; dans tous les cas, l’inculpé a le droit de se défendre. De semblables dispositions législatives annoncent évidemment l’intention de protéger la liberté individuelle.

Sans doute ces changemens, commencés en 1826 , et d’ailleurs exécutés à l’aide de mesures oppressives, n’ont pas encore réellement amélioré le sort du peuple. Le mahométisme, la grossière ignorance et l’indolence des Egyptiens seront d’immenses obstacles au succès des généreux efforts du vieux pacha; mais si ces innovations se consolident, Mohammed-Aly aura acquis la plus utile des gloires, celle d’assurer, malgré eux, le bonheur de ses sujets.

Histoire abrégée de la liberté individuelle chez les principaux peuples anciens et modernes

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