Читать книгу Histoire abrégée de la liberté individuelle chez les principaux peuples anciens et modernes - Louis Nigon De Berty - Страница 14
ОглавлениеDU DROIT D’ASILE CHEZ LES ANCIENS ET LES MODERNES.
DÈS les premiers siècles du paganisme, un homme, esclave ou libre, au moment d’être arrêté pour une cause quelconque, pouvait se réfugier dans des édifices privilégiés, et se mettre ainsi à l’abri des poursuites judiciaires et des fureurs du peuple. L’arracher de ces espèces de forteresses, inaccessibles à la justice humaine, eût été un exécrable sacrilège; on laissait aux Dieux le soin de punir ceux qui avaient imploré leur miséricorde; tels étaient les principaux effets du droit d’asile.
Ce droit, si puissamment protecteur de la liberté individuelle, fut d’abord fondé sur des motifs d’humanité ; dans ces âges de fer où la force physique était la principale loi, il parut équitable d’ouvrir aux accusés des ports de salut, de donner ainsi à l’innocence les moyens de se justifier, et au criminel le tems de se repentir.
Le droit d’asile, dont l’origine est presque aussi ancienne que le monde , s’appliqua dans le principe aux homicides involontaires; il avait pour but de soustraire à la vengeance des héritiers de la victime des hommes plus malheureux que coupables; mais bientôt on en abusa. Les assassins se précipitèrent, les mains encore ensanglantées, dans les lieux de refuge, et fièrement appuyés sur les autels des Dieux qu’ils venaient d’outrager, ils bravèrent la sévérité des lois; ainsi, par l’erreur d’une religion mal entendue, le droit d’asile plaça le crime sous la protection du ciel .
Ce droit fut établi en Egypte ; Moïse le consacra dans la Judée, mais il en réserva sagement l’usage à l’homicide par imprudence . L’infortuné, qui l’avait commis, se retirait incontinent dans une des six villes d’asile; dès qu’il avait prouvé devant les magistrats la pureté de ses intentions, il demeurait en sureté dans là cité qu’il avait choisie loin des regards des parens du défunt, et trouvait la consolation de son exil dans le bonheur d’habiter une ville nationale. S’il ne justifiait pas sa conduite, il ne jouissait point du bénéfice de la loi. Quant à l’auteur d’un crime, il ne lui était permis, dans aucun cas, de l’invoquer; vainement se serait-il caché dans le tabernacle? malgré la sainteté du lieu, la loi ordonnait de l’en expulser . Le prêtre coupable pouvait être également arrêté dans le temple. Joab, le meurtrier d’Abner, d’Absalon et d’Amasa, croit, en se sauvant dans le sanctuaire, se dérober à la justice de Salomon; il reçoit la peine de ses forfaits sur les marches mêmes de l’autel de Jéhovah .
Le droit d’asile fut importé de la Judée dans la Phénicie, la Crète et la Grèce, mais sans les utiles tempéramens qu’avait prescrits le génie de Moïse; à Lacédémone, on vit des brigands, des concussionnaires, des condamnés à mort ravir leurs têtes au bourreau en se jetant dans le temple de Pallas .
A Athènes, la cupidité des prêtres, qui prélevaient à leur profit une sorte d’impôt, attribua ce droit aux tombeaux des héros, aux statues d’Harmodius et d’Aristogiton, et même aux bois sacrés qui entouraient les temples . Les autels, élevés dans chaque maison aux dieux pénates, devinrent aussi un asile pour les crimes consommés dans l’enceinte domestique.
Les lieux de refuge, quoique très nombreux sous le paganisme où tout était Dieu, furent néanmoins toujours inviolables; personne n’aurait osé attenter à la liberté de l’homme le plus méprisé qui s’y serait renfermé ; mais souvent on eut recours à l’artifice pour l’en éloigner. Tantôt un grand feu était allumé sur l’autel qu’il tenait embrassé, tantôt on murait les portes du temple où Pausanias avait cherché un dernier appui contre les éphores .
On a déjà remarqué plus haut que Rome dut au droit d’asile une grande partie de sa population; Romulus et Remus, ses fondateurs, y créèrent un lieu de refuge qui s’appela le temple du dieu Asilæus. Dans la suite, les asiles se multiplièrent tellement en Italie que les magistrats purent difficilement exercer la police; le sénat, sous Tibère, fut obligé d’en réduire le nombre.
A Rome, les criminels avaient encore une autre chance d’éviter leur châtiment. Lorsqu’on les menait au supplice, rencontraient-ils, par un pur effet du hasard, une vestale? ils pouvaient recourir à sa pitié et la supplier d’user à leur égard du droit de grâce, qui lui avait été accordé comme une prérogative de sa vertu .
Plusieurs lieux d’asile étaient communs aux hommes libres et aux esclaves; mais il en existait quelques-uns particuliers à ces derniers, tels que le mausolée qui contenait à Athènes les restes de Thésée. Ici l’on s’étonne de voir les anciens, généralement si durs, si inhumains envers leurs esclaves, étendre jusqu’à eux les avantages de cette institution. Il n’est pas de preuve plus éclatante de leur respect pour les Dieux.
Dans les premiers tems, le droit d’asile émanait de l’esprit de tolérance introduit par la religion dans la justice criminelle ; il dégénéra, sous le paganisme, en une source permanente de désordres. Le christianisme le trouva trop fortement enraciné dans les habitudes des peuples pour chercher à le détruire; bientôt la superstition parvint à en aggraver encore les abus. Les églises, les couvens, les cimetières, les maisons des évêques furent autant de lieux sacrés d’où de vils malfaiteurs, au nom de la religion la plus austère, insultèrent avec audace au glaive de la justice. Il était défendu de les arracher des églises et de leurs dépendances, sous peine de la vie. Le gouverneur de la province ne pouvait les faire enlever des monastères, ou des maisons épiscopales, sans y avoir été autorisé par les abbés et les évêques; si, après trois réquisitions, les criminels ne lui étaient pas livrés, il pouvait seulement alors violer l’immunité pourvu qu’il parût en personne; hors ce dernier cas, le gouverneur, qui osait pénétrer dans ces monumens, se rendait passible d’une amende de six cents sous d’or; il ne lui en eut pas coûté davantage s’il eut tué un comte. Les privilèges de ces nombreux asiles furent confirmés l’an 425 par une loi de l’empereur Honorius, consacrés en 511 par un concile d’Orléans, et sanctionnés par Clovis.
Dès cette époque, chaque ville de France eut ses lieux d’asile; les scélérats possédaient à leur porte leur brevet d’impunité, et pouvaient se dire paisiblement l’un à l’autre:
«Volons, assassinons, qui nous retiendrait?
» Les magistrats ne sont plus à redouter, ne
» voyons-nous pas d’ici le clocher de l’église
» et le palais du prince?» Ainsi raisonnait sans doute celui qui voulut plonger son poignard dans le cœur de Gontran, roi de Bourgogne, au moment où ce monarque se disposait à communier; saisi à tems, il avoua l’horrible dessein qu’il n’avait pu exécuter; mais il ne fut point puni parce qu’il avait été arrêté dans une église; on craignit d’enfreindre le droit d’asile envers un homme qui ne craignait pas de profaner la demeure de Dieu par le plus détestable attentat.
Les effets désastreux de ce privilège, institué dans l’intérêt du crime, frappèrent Charlemagne; ce grand roi, convaincu que l’ordre public ne peut se maintenir sans l’exacte répression des délits, n’osa pas, il est vrai, complètement l’anéantir; mais il lui porta une profonde atteinte en défendant, sous les peines les plus rigoureuses, d’apporter des alimens aux personnes réfugiées dans les églises .
La faim et la crainte de retomber au pouvoir des magistrats rendirent souvent les lieux d’asile non moins pénibles qu’une prison; une fois le pied dans l’asile, le coupable était sacré ; mais fesait-il un pas hors de l’endroit réservé ? on dirigeait contre lui des poursuites d’autant plus actives qu’il avait essayé de les fuir. Quelquefois des condamnés ont passé des années entières dans un cloître, sur l’escalier d’un palais, dans le jardin d’une abbaye. Au Parlement seul appartenait le droit d’ordonner par un arrêt que le condamné, retiré dans un lieu de refuge, serait restitué à l’exécuteur. En 1358, le maréchal Robert de Clermont fit emporter de l’église St-Jacques-la-Boucherie Perrin Macé, garçon changeur, qui venait d’égorger un trésorier des finances; il s’était fidèlement conformé aux ordres de Charles V; cependant Meulant, évêque de Paris, déclara le maréchal coupable d’impiété, et lui refusa, après sa mort, la sépulture ecclésiastique .
Les rois de France continuèrent tour à tour l’accomplissement des projets de Charlemagne ; ce ne fut néanmoins que durant le règne de Louis XII, et par l’adroite politique du cardinal d’Amboise, que le droit d’asile fut entièrement aboli.
Au moyen âge, dans les autres contrées de l’Europe, chaque ville avait également son lieu d’asile; le plus célèbre de l’Angleterre était à Beverley; on y remarquait cette inscription: Hœc sedes lapidea FREEDSTOOL dicitur, id est, pacis cathedra ad quam reus, fugiendo perveniens omnimodùm habet securitatem .
Le droit d’asile perdit de son empire dans chaque pays à mesure que la religion chrétienne s’y dégagea de ces pratiques superstitieuses que l’ignorance confondit si souvent avec elle; aussi, c’est en Espagne et en Italie qu’il s’est conservé le plus long-tems . A Rome, on rangeait parmi les lieux d’asile, plus ordinairement appelés lieux de franchise, un espace de terrain situé autour du palais des ambassadeurs et plus ou moins considérable selon leur volonté ; le pape Innocent XI diminua un peu cet abus en restreignant le privilège à l’enceinte même du palais de ces ambassadeurs.
Détruit par Napoléon, le droit d’asile a été rétabli en 1814 dans la plupart des villes de l’Italie, mais avec d’importantes modifications; il ne s’exerce plus que dans les églises; et pour arrêter l’accusé, qui parvient à y entrer, il suffit d’en demander la permission à l’autorité ecclésiastique qui ne la dénie jamais.
Quoi de plus noble que le droit d’asile chez les Arabes? Un étranger, un ennemi même a-t-il touché la tente du Bédouin? Sa personne devient, pour ainsi dire, inviolable. Dès que le Bédouin a consenti à manger le pain et le sel avec le réfugié, le sultan lui-même n’aurait pas la puissance, dit Volney , de le forcer à méconnaitre les lois de l’hospitalité.
En France, un prévenu peut, pendant le jour, être arrêté partout; cependant la législation sur la contrainte par corps contient une disposition qui a pour le débiteur l’effet momentané du droit d’asile. Suivant l’article 781 du code de procédure, sa personne ne peut être appréhendée ni dans les édifices consacrés au culte pendant la célébration des cérémonies religieuses, ni dans les salles des séances des autorités constituées, tant qu’elles remplissent leurs fonctions.
Enfin, il existe dans presque tous les pays civilisés une autre espèce d’asile qui dérive du droit des gens. Lorsqu’un homme accusé ou condamné, a le bonheur, en s’évadant, d’aborder une terre étrangère, dès ce moment il est censé se soumettre à la juridiction du souverain dont il vient chercher la protection; d’après ce principe, nul ne peut plus, sans l’assentiment de ce monarque, intenter, ni même continuer contre lui des poursuites criminelles; sa liberté demeure inattaquable. Grâce à cette coutume hospitalière, le coupable se couvre du bouclier destiné au malheur; mais qui oserait en demander l’abrogation depuis que, dans les tempêtes révolutionnaires, elle a sauvé les jours de tant d’illustres proscrits! Toutefois les gouvernemens peuvent, en s’accordant réciproquement le droit d’extradition, suspendre la jouissance de cet asile sur leurs territoires respectifs ; dans les Etats même où aucun traité diplomatique de ce genre n’a été conclu, les réfugiés n’ont que trop fréquemment à subir les mesures plus ou moins arbitraires qui sont prises à leur égard .
Quelque funestes qu’aient été chez les anciens et au moyen âge les conséquences du droit d’asile, il faut pourtant reconnaitre que, dans ces siècles de barbarie où les lois languissaient impuissantes, il a dû souvent protéger la liberté individuelle. Si le crime a quelquefois échappé à la vindicte publique, du moins la vertu, injustement persécutée, pouvait avec succès revendiquer l’appui de la Divinité. Ce droit devait céder devant les lumières et les bienfaits de la civilisation; sous le régime de l’ordre légal, l’impunité devient une cause de perturbation publique; dès que le citoyen paisible rencontre dans la justice une efficace et constante garantie, le droit d’asile n’est plus que la sauvegarde du crime.