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I
LES ROMANS DE CHEVALERIE.
XVe SIÈCLE.
ОглавлениеLe règne de François Ier fut le dernier reflet de la chevalerie. L'influence des écrits sur les mœurs, est un des faits les plus considérables dans l'histoire: quand les livres ont une certaine tendance, les habitudes s'y conforment bientôt comme à une nécessité qui vient de l'esprit. Après les héroïques récits des chroniqueurs sur les paladins de Charlemagne, était survenu un temps de batailles et de croisades[2]. Après les légendes saintes, avait commencé la vie des tours isolées, de l'ermitage au désert, des légendes de la mort et de la pénitence; tel fut le caractère des XIe et XIIe siècles, au milieu des ténèbres que dissipaient par intervalles les récits des chroniques de Saint-Bertin, de Saint-Martin de Tours ou de Saint-Denis.
Au XVe siècle, s'était fait tout à coup, un réveil, au son des trompettes de la chevalerie; presque toutes les vieilles épopées du moyen-âge furent traduites et mises en prose, non point fidèlement, telles qu'elles étaient lues au temps de Philippe-Auguste et de saint Louis, mais avec des épisodes d'amour, de gracieuses aventures, des combats courtois ou à outrance[3]: indépendamment des grands romans d'Amadis de Gaule, de Lancelot du Lac, de Garin le Lorrain, les dames, les chevaliers, les varlets, dans les longues soirées d'hiver lisaient avec avidité les charmants épisodes de Gérard de Nevers, de Pierre de Provence et de la belle Maguelonne ou de Jehan de Saintré, les poésies d'Eustache Deschamps et le plus grand de tous, Froissard en ses chroniques, avec Monstrelet son continuateur. La chevalerie s'accoutumait aux plus hauts faits d'armes, aux aventures les plus fabuleuses; on étouffait dans le cercle des événements de la vie réelle; tout ce qui n'était pas extraordinaire ne comptait pas dans l'existence d'un chevalier: il lui fallait de grands coups de lances, des prodiges accomplis dans des expéditions fabuleuses. Passes d'armes, tournois, rencontres, tout était marqué d'un caractère de fantaisie, d'honneur et de loyauté. Quel noble enseignement d'amour et de respect pour les dames! quel mépris de la crainte, quel dédain du danger sur le champ de bataille; quelle école d'honneur et de soumission que celle des pages, des varlets, des écuyers, dans cette vie consacrée à un devoir, à un amour! Les belles miniatures de la chronique de Froissard reproduisent les scènes animées de la vie du paladin; on voit partout des épées et des lances croisées, en présence des vieux chevaliers experts aux faits des joutes. Les manuscrits si précieux des tournois du roi Réné[4], si bien enluminés, nous donnent la mesure du soin que l'on mettait à régler toutes les conditions de ces joutes; le digne et bon roi avait lui-même dessiné les festes et divertissements de la procession de la Fête-Dieu à Aix, où toutes les règles de la chevalerie étaient observées, même la passade qui précédait les tournois[5].
Jamais d'oisiveté dans cette vie; quand on n'était pas en guerre, aux tournois, on allait à la chasse; les cités étaient trop étroites, les châteaux trop enserrés de tourelles et de murs! Autour de ces châteaux, étaient d'immenses bois, des forêts séculaires, taillis épais, où s'abritaient le loup, le sanglier, le cerf; la chasse était devenue une science, sur laquelle plus d'un preux chevalier écrivait des livres. La meute, le courre, les toiles, tout était un sujet d'études pour le châtelain; l'art de venaison s'appelait le déduit de la chasse: «Comme il suit qu'il n'y ait en ce monde plus louable exercice que celui de la chasse, vénerie et faulconnerie, en faisant lequel exercice santé corporelle est corroborée, plaisirs vénériens oubliés[6].» «Bestes sauvages et oiseaux qui phaonent dans l'air, par le droit des gens sont à ceux qui peuvent les prendre»[7] (les lois rigoureuses contre les braconniers ne datent que de Henri IV). L'habituelle division des livres de chasse était entre la vénerie et la fauconnerie; l'une accomplie par les chiens, l'autre par les oiseaux, et parmi tous les nobles oiseaux, il faut compter le faucon: élevé avec grand soin dans les châteaux, il ne craignait la lutte avec aucun oiseau de proie, pas même avec l'aigle, le roi de l'air, qu'il attaquait avec intrépidité, image de l'audace des chevaliers, qui ne comptaient ni la force, ni le nombre des adversaires. Ceux qui veulent se faire une juste idée des grandeurs de la chasse sous le système féodal, peuvent lire le beau livre de Gaston de Foix: «Le miroir de Phœbus du déduit de la chasse des bestes sauvages et des oiseaux de proie.» Les dames chassaient souvent au faucon blanc, dont la renommée s'étendait de l'occident à l'orient, à ce point, que pour la rançon des barons de France à la croisade, on faisait entrer de six à douze faucons blancs[8]. Les Sarrasins nous enviaient ces faucons, ainsi que ces beaux chiens, race perdue, que Charlemagne envoyait au calife Aroun-al-Rechyd, pour lutter contre les lions du désert. L'art d'élever les meutes entrait dans la vie du chevalier.
Il est facile de comprendre sous quelles idées, d'après quelles impressions allait s'ouvrir l'époque de François Ier. La chevalerie était dans les livres, dans les mœurs, dans les habitudes; pour conduire cette société, il fallait un roi un peu romanesque dans ses idées, grand lecteur de ces chansons de geste, imitateur de Roland, d'Olivier le Danois, de Renaud de Montauban. Les siècles suivants ont pu trouver ce caractère ridicule, mais la, splendeur et les fautes de François Ier vinrent des lois de la chevalerie qui commandaient de ne jamais compter les périls et de courir les aventures; il prit pour modèle Amadis de Gaule, noble type de courage, de désintéressement, de haute loyauté, que les siècles égoistes sont trop portés à tourner en raillerie, et que l'on trouve encore dans nos camps!