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VI
PREMIÈRE CAMPAGNE DE FRANÇOIS Ier EN ITALIE. VICTOIRE DE MARIGNAN. 1515-1516.

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Table des matières

Il fallait occuper l'imagination et le bras de toute cette chevalerie, exaltée par la contemplation des siècles de Charlemagne. Dans les premiers temps d'un règne, au reste, il se réveille toujours une énergie, une puissance d'activité, un besoin d'aventures, qu'il faut seconder, si l'on ne veut que le torrent ne prenne une autre direction (souvent la guerre civile). Les batailles étaient trop dans le caractère de François Ier, pour qu'il s'opposât à l'esprit général de ses paladins. Le champ de bataille était d'ailleurs tout trouvé: l'Italie! Charles VIII et Louis XII y avaient laissé des droits d'héritage et des souvenirs de gloire; le nouveau Roi devait revendiquer les uns et les autres. Cette terre d'Italie réchauffait d'ardents désirs: la chevalerie avait vu les cités riches, splendides; elle avait foulé ces campagnes émaillées de fleurs sous un ciel rayonnant de soleil: quand les chevaliers se souvenaient que Charles VIII, avec dix mille lances seulement, avait parcouru toute l'Italie, depuis les Alpes jusqu'au golfe de Naples, ils souhaitaient les mêmes conquêtes, les mêmes aventures. Le nouveau Roi n'hésita pas à revendiquer les droits de ses prédécesseurs sur le Milanais et Gênes. Milan était au pouvoir d'un duc de race d'aventuriers, Ludovic Sforza[48], chef de grandes compagnies, fort aimé de Louis XI, mais qui aspirait à son indépendance et ne voulait pas céder ses droits populaires au roi de France[49] sur toute la Lombardie. Mais les véritables maîtres du Milanais, c'étaient les Suisses, soldats énergiques, têtus, et qui formaient la meilleure infanterie au XVIe siècle; ces rudes montagnards espéraient non-seulement dominer la Lombardie, mais encore envahir la Bourgogne[50], et qui sait même, dans leurs rêves, imposer tribut à la France; leurs guerres contre les anciens ducs de Bourgogne avaient grandi leur orgueil: ils voulaient se substituer à la domination allemande sur l'Italie, car c'était une fatalité de cette belle terre, d'être toujours sous une puissance étrangère, et de ne jamais être assez forte pour être libre; la république de Venise seule était assez considérable pour aspirer à la nationalité[51]. Le nom du César germanique exerçait toujours un indicible prestige, car le pape et l'Empereur étaient les grandes puissances du moyen-âge que Venise avait espéré un moment remplacer.

Ce fut donc pour combattre les Suisses et conquérir le Milanais, que François Ier résolut la guerre d'Italie, et convoqua sa chevalerie; quand le passage des Alpes fut décidé, il se fit une joie immense au milieu des paladins et gens d'armes de France. L'esprit des croisades vivait encore, et les romans, les chroniques disaient, comment de simples chevaliers normands s'étaient faits de grands États, à Naples, en Sicile, même en Grèce. Dans ce temps d'aventures extraordinaires, rien ne paraissait impossible; on espérait tout conquérir à coups de lances et d'épées, on croyait à toutes les merveilles des romans de chevalerie et les croyances préparent la victoire!

Cependant les bons compères les Suisses, avec leur ténacité habituelle, avaient envahi la Savoie, pour s'emparer de toutes les issues des Alpes, et principalement du Pas de Suze, où les routes alors tracées venaient aboutir. De cette manière, ils ne pouvaient être attaqués de front. Les ducs de Savoie n'avaient jamais eu une opinion fixe et des affections arrêtées; placés au pied des Alpes, tantôt alliés des empereurs d'Allemagne auxquels ils faisaient hommage et auxquels ils devaient leur fortune, tantôt prêtant la main aux rois de France pour les délaisser ensuite, ils ne visaient qu'à une seule chose, leur agrandissement, et ce résultat était pour eux d'autant plus difficile à réaliser, que les ducs de Savoie n'étaient pas considérés comme membres de la nationalité italienne[52]. La duchesse de Savoie régente de France, avait assuré l'alliance des ducs à François Ier qui néanmoins connaissait leur foi incertaine et leur politique mobile.

La direction de l'armée fut confiée au connétable de Bourbon, l'esprit de grande tactique du XVIe siècle, le seul qui put être comparé au duc d'Albe; le connétable avait du sang italien dans les veines, car sa mère était Claire de Gonzague, une des filles du marquis de Mantoue[53]. D'un seul coup d'œil, le connétable traça son plan de campagne: un corps d'arbalétriers, sous Aymar de Prie, leur grand-maître, dut s'embarquer à Marseille pour s'emparer de Gênes, et, de là, se portant sur le Pô, ce corps devait prendre les Suisses en flanc, au Pas de Suze. Une avant-garde des plus hardis chevaliers, sous Lautrec et la Palisse, devait marcher jusques aux Basses-Alpes, s'y frayer un passage nouveau à travers les rochers et les torrents, vers les sources de la Durance. Un berger piémontais avait indiqué une route possible[54]. Ce corps de hardis chevaliers se fit précéder de trois mille pionniers qui jetaient des ponts, coupaient les rochers, comme autrefois avaient fait Annibal et Charlemagne. Ce travail fut si hardiment accompli, que bientôt le sommet des Alpes fut couronné d'artillerie portée à bras et à dos de mulet, sans que les Suisses en eussent la moindre connaissance, car, par une ruse de guerre, un corps de bataille de lances françaises, pour masquer la véritable attaque par les Basses-Alpes du midi, se dirigeait par les routes ordinaires du Mont-Cenis, et du Mont-Genèvre, sur le Pas de Suze, comme s'il voulait attaquer les Suisses de front.

Pendant ce temps, l'armée italienne confédérée, conduite par Prosper Colonnia[55], de grande race romaine, un des habiles généraux du temps, marchait pour appuyer les Suisses et défendre le Milanais. Les confédérés italiens paraissaient si assurés de la victoire, qu'ils disaient tout haut qu'ils allaient prendre les Français dans les défilés des Alpes come gli pipioni nella gabbia (comme des oiseaux en cage). Les Italiens virent qu'ils n'avaient pas affaire à des papillons, mais à des diables, comme dit Brantôme; car, tout à coup surpris par les deux corps français partis de Gênes et de Briançon, ils furent dispersés, et Prosper Colonnia tomba lui-même au pouvoir du maréchal de Chabanne[56]. Les fuyards seuls apprirent aux Suisses que les Français entrés en Italie tournaient leur position. Alors, avec leur grande habitude de guerre, les Suisses piroitèrent sur leur flanc pour se porter sur le Pô, menacé par les corps du maréchal de La Palisse et de Lautrec.

Ce mouvement des Suisses, le connétable de Bourbon l'avait pressenti, en réunissant une armée de réserve à Lyon, destinée à franchir le centre des Alpes. Ce corps principal aborda de front le mont Cenis, tandis que les ailes attaquaient les flancs. La forte chevalerie, sous la conduite du Roi en personne, prit la route du Piémont; François Ier devait recevoir à Turin les hommages du duc de Savoie, toujours un peu incertain dans son alliance et qu'il fallait raffermir. Le Roi s'empara de Novare et vint camper à Marignan, où il fut joint par les lansquenets des bandes noires, braves aventuriers des bords du Rhin[57], pleins de bravoure et d'indiscipline: toujours vêtus de noir, sévères dans leur visage, ce fut parmi les lansquenets, qu'Albert Durer prit son type du chevalier de la mort, que les oiseaux de la tombe couvrent de leurs ailes fantastiques. Il y avait dans ces corps d'aventuriers une bravoure, une intrépidité incomparables; ils ne craignaient ni les couleuvrines des Italiens, ni les piques des Suisses.

L'armée se formait à peine à Marignan, que partout on signala les corps pressés des Suisses, qui s'avançaient en colonnes très-drues et silencieuses comme des moines. Ils voulaient surprendre les Français; mais la poussière que leurs pieds soulevaient jusqu'aux cieux annonçait une attaque soudaine, et le connétable de Bourbon se prépara à les recevoir. Les Suisses s'avançaient par carrés hérissés de piques et de lances, précédés de leurs arquebusiers[58]; leur but était de s'emparer de l'artillerie des Français pour la tourner ensuite contre la chevalerie et l'abîmer sous son feu.

Le connétable de Bourbon confia l'artillerie à la garde des lansquenets, qui la défendirent avec acharnement, tandis que, par une manœuvre habile, les gens d'armes du Roi, leurs capitaines en tête, enveloppaient les Suisses par leurs deux ailes[59] comme dans des tenailles d'acier.

L'attaque, comme la résistance, fut héroïque; la bataille de Marignan dura deux jours et deux nuits; les Suisses tombaient par groupes au milieu des carrés qu'ils avaient formés, sans abandonner leur rang: quinze mille de ces montagnards mordirent la poussière; six mille Français furent tués dans la mêlée. Il s'y fit d'héroïques exploits que les chroniques ont racontés, en y mêlant les noms de François Ier, de Bayard, de La Trémouille, du sire de Genouillac[60], qui dirigea l'artillerie. Le véritable vainqueur de Marignan, ce fut le connétable de Bourbon, qui ne s'épargnait pas plus qu'un sanglier échauffé[61]. L'infanterie suisse y perdit la renommée d'invincible qu'elle avait gardée jusqu'alors; les montagnards en pleurèrent de douleur, en jurant de se venger. Dans le récit que fait François Ier de la bataille de Marignan (dans une lettre écrite à sa mère, régente), il parle de ce combat de géants qui laissa une longue traînée de gloire, au milieu des grands deuils de la chevalerie: «Ma mère, vous vous moquerez un peu de MM. de Lautrec et de Lescun, qui ne se sont point trouvés à la bataille et se sont amusés à l'appointement des Suisses qui se sont moqués d'eux[62].»

La victoire de Marignan donna le Milanais à la France; le Roi et ses chevaliers firent leur entrée solennelle dans la cité capitale, accablés sous les fleurs. Milan, si fière de son antiquité, devint un peu la Capoue des gentilshommes français; les belles patriciennes de Gênes avaient déjà retenu dans leurs liens François Ier. Les gentilshommes, enlacés de roses, emportèrent de l'Italie de funestes présents, et, si l'on en croit Brantôme, surtout ce mal de Naples, qui donna tant de soucis et de labeurs au jeune chirurgien Ambroise Paré, la lumière de la science.

Diane de Poitiers

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