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II
CHARLES VIII ET LOUIS XII EN ITALIE.
1480-1514.
ОглавлениеAprès le règne politique et sombre de Louis XI, il s'était fait une réaction de jeunesse, de joie et de liberté, à l'avènement de Charles VIII; il était impossible de tenir longtemps les têtes ardentes des gentilshommes sous la calotte de plomb de Notre-Dame, ou d'abriter leur coursier dans les tourelles du Plessis; on voulait respirer l'air au loin et reprendre un peu la vie ardente et joyeuse des croisades. La régence de la dame de Beaujeu fut signalée par une prise d'armes de la chevalerie: la guerre de Bretagne suivit la mort de Louis XI, expédition remplie d'épisodes et presque de féeries dans ce pays de périlleuses aventures. Les romans de la table ronde étaient d'origine bretonne: la fée Morgane, le roi Arthur, Tristan le Léonais, la belle Iseult appartenaient à la Bretagne[9].
Ce qui marqua plus encore le caractère jeune et aventureux du nouveau règne, ce fut le désir, la volonté d'une expédition en Italie, que Charles VIII accomplit à 21 ans. Le cauteleux Louis XI avait été plus d'une fois appelé, en vertu du droit héréditaire de la maison d'Anjou, à prendre possession du royaume de Naples, du duché de Milan; les Génois eux-mêmes s'étaient offerts à Louis XI et à sa suzeraineté. Le vieux roi qui connaissait le caractère des Italiens, l'inconstance de leur soumission, les avait donnés à Sforza, ou, comme il le disait, au diable[10]. Louis XI avait bien d'autres choses à faire qu'à conquérir des royaumes lointains; il assurait son autorité en France dans sa lutte patiente contre les ducs de Bourgogne; il n'avait emprunté à l'Italie qu'un corps d'hommes d'armes Lombards, que Ludovic Sforza, son bon ami, lui envoyait, avec le conseil d'enfermer ses ennemis dans de petites cages de fer au château de Loches, précaution italienne; c'était la mort sans le sang versé, une manière d'étouffer les victimes sans les faire crier.
Charles VIII recueillit avec enthousiasme les droits héréditaires de la maison d'Anjou sur l'Italie. Cette conquête sous un beau ciel allait à ses goûts, à son caractère; il y ajouta un projet plus grandiose dans les idées de ce siècle d'aventures. Après la dynastie éphémère des empereurs francs et latins[11], l'empire byzantin était revenu aux Paléologues, cette famille de princes aux couleurs pâles, aux bras efféminés couverts de chapes de pourpre, semblables aux figures de saints sur fond d'or, qui, les yeux larges et fixes, vous regardent du haut du chœur de l'église de Saint-Marc à Venise. Bientôt les Turcs, race forte et tartare, avaient brisé les dernières barrières qui défendaient Constantinople; la cité des empereurs était foulée aux pieds par ces cavaliers intrépides qui menaçaient la Grèce et l'Italie, portant pour étendard la queue de leurs chevaux.
Nul événement ne produisit une plus profonde impression sur la chrétienté. Toute la chevalerie s'en émut, et Charles VIII se plaçant à la tête de cette nouvelle croisade, se fit céder par un diplôme tous les droits de la famille Paléologue au trône de Constantinople[12]. Le roi de France n'avait que dix mille lances; son passage en Italie fut prodigieux, nul obstacle ne s'opposa à la consécration de ses droits, et le pape Clément VII put dire: «les Français semblent être venus en Italie la craie à la main pour marquer leur logement.»
Ces chevaliers en effet conquirent le Milanais, la Toscane, Rome, sans bataille; et, arrivé à Naples, Charles VIII fit cette fastueuse entrée, dont il est tant parlé dans les chroniques, couvert du manteau impérial, tandis que les héros d'armes proclamaient la grandeur et la magnificence du nouvel Auguste, Charles VIII eut achevé son entreprise, si les Anglais et les Espagnols n'avaient simultanément attaqué le royaume de France durant l'absence du Roi. Rappelé par le péril de sa monarchie, Charles VIII traversa de nouveau l'Italie, en refoulant la coalition des États italiens qui s'était formée contre lui; la chevalerie de France dispersa l'armée des confédérés: vénitiens, romains, toscan, milanais, réunis pour lui fermer le passage près le lac de Trasimène, si célèbre sous la vieille Rome. Ce fut merveille de voir ce que pouvait le courage et la force des chevaliers de France contre ces Italiens groupés, plutôt que réunis, dans une ligue sans unité, avec du courage individuel sans âme de nation.
Après la mort de Charles VIII, Louis XII reprit l'œuvre de la conquête de l'Italie; jeune alors, il n'avait pas encore cet esprit de paix et de repos qui domina la fin de son règne; le roi de France suivit l'impulsion de sa brave chevalerie, de ses chefs de gens-d'armes, dont la plus belle expression se trouve dans la Palisse et Bayard. Louis XII fit son entrée à Milan revêtu des habits du duc[13], et confia le gouvernement du Milanais au maréchal de Trivulce, d'une grande famille italienne: A son aide, Sforza appela les Suisses, qui, depuis Louis XI, commençaient à jouer un rôle politique dans l'histoire. Ces rudes montagnards rétablirent Sforza dans la souveraineté de Milan; jamais il n'y eût tant d'inconstance dans les populations lombardes, tant de bravoure dans la chevalerie française: trois fois le Milanais fut conquis, abandonné, puis repris. Sforza et les Suisses étaient préférés à la noblesse de France par ces peuples versatiles qui n'osaient pas se gouverner eux-mêmes. Qu'étaient les Sforza? des aventuriers qui avaient usurpé le pouvoir: sous leur robe ducale, on voyait encore la grossière armure des condottieri[14]! Les peuples supportent plutôt le despotisme que la raillerie; ils aiment mieux l'oppression que le ridicule.