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2° Origines de la Zone d’annexion

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Table des matières

Dans l’aperçu historique de notre premier volume, nous nous sommes particulièrement étendu sur l’histoire de la réunion de la Savoie à la France en 1860. Nous prions donc le lecteur de se reporter à ces pages pour bien comprendre la façon dont Napoléon III fut amené, à cette époque, à créer une nouvelle zone franche de dimensions beaucoup plus grandes que celles de la petite zone sarde.

La paix de Villafranca, qui termina la guerre d’Italie, en 1859, n’avait, pas donné au Piémont la Vénerie dont la conquête avait été promise par Napoléon III à Cavour lors de l’entrevue de Plombières. Dès, lors l’Empereur avait virtuellement renoncé à revendiquer Nice et la Savoie.

Lorsque, peu de temps après, les populations de l’Italie centrale demandèrent leur annexion au royaume de Sardaigne, Napoléon III comprit que le jeune Etat voisin, à l’Unité duquel il avait largement contribué pouvait devenir redoutable. Il voulut donner à la France une frontière forte en face de ce royaume de Sardaigne qui devenait une grande nation. S’appuyant sur le fait que la division territoriale, telle qu’elle avait été organisée par le traité de Villafranca, n’était pas respectée, fort aussi des sentiments des populations, Napoléon III exigea de Victor-Emmanuel l’exécution de la promesse de Plombières: la cession de Nice et de la Savoie à laquelle il n’avait que momentanément renoncé.

Il avisa le cabinet sarde de son intention, en cas de refus de cession de la Savoie, de retirer les divisions françaises qui protégeaient le Piémont contre un retour offensif de l’Autriche. Cette menace impliquait la rupture éventuelle de l’alliance entre les deux pays. Cavour répondit que «Pour les peuples

«comme pour les individus, il y a des circonstances où la voix

«de l’honneur doit parler plus haut que celle de la prudence».

Au fond, ce n’était que de la littérature, car Cavour était disposé à céder et voulait seulement avoir l’air d’y être contraint.

L’émotion, en Piémont, fut profonde. L’alternative était cruelle: perdre l’antique berceau de la maison régnante ou reprendre la guerre avec l’Autriche, sans aide cette fois. Il fallait à tout prix accepter le sacrifice territorial pour conserver l’appui du protecteur puissant. Aussi, le roi de Sardaigne renonça-t-il à ses droits sur la Savoie et Nice. Mais soit qu’il voulût garantir son gouvernement contre une opposition parlementaire probable, soit que le principe des nationalités invoqué pour annexer la Toscane, Parme, etc., ne pût être dénié aux autres terres de son royaume, le roi ajouta que cette réunion à la France serait effectuée sans mille contrainte de la volonté des populations. Le traité de cession fut signé par Napoléon III et Victor-Emmanuel II le 24 mars 1800.

L’article 7 prévoyait que le traité ne deviendrait exécutoire pour la Sardaigne qu’après sanction du Parlement sarde, sanction ajournée jusqu’à ce que les populations aient été consultées.

En somme le roi seul s’était engagé ; il laissait au Parlement sarde la faculté d’agréer ou de rejeter le traité, de tenir compte ou non de la volonté exprimée par les populations. Nous avons vu que le débat eut lieu le 26 mai et qu’il fallut tout le talent d’un Cavour pour triompher de l’opposition fomentée par l’ancien ministre Rattazzi.

Cette procédure peut-elle soulever des discussions en droit international et restreindre plus ou moins la valeur du plébiscite qui intervint le 22 avril? Nous ne le croyons pas.

Contentons-nous pour l’instant d’examiner comment celui-ci fut préparé.

Nous avons vu, au chapitre de la Neutralité politique de la Savoie , qu’escomptant de la générosité de l’empereur la rétrocession du Chablais et du Faucigny, la Suisse avait recherché l’appui des Puissances pour faire pression au besoin sur Napoléon III. A cet effet, elle avait délégué à Londres, comme fondé de pouvoir extraordinaire, le professeur William de la Rive, cousin de Cavour, Genevois de grand talent, qui allait jusqu’à affirmer que c’en était fait de la neutralité suisse si la Savoie neutralisée était remise à la France.

En même temps, on envoyait des émissaires en Chablais et en Faucigny pour y susciter un mouvement séparatiste. A profusion, on répandait une brochure de ce même de la Rive , dans laquelle l’auteur insistait sur les relations entre ces provinces et Genève:

«Si, disait-il, de semblables relations se sont établies entre la Suisse et la Savoie séparées, combien ne se resserreraient-elles pas par l’union des deux pays? Les douanes supprimées, quelle barrière de moins! Le Faucigny et le Chablais trouveraient à Genève à la fois, le marché, les capitaux et le crédit dont un pays agricole a besoin pour prospérer. La terre, cultivée dans de meilleures conditions économiques, rapporterait plus. Ce qui sert à la cultiver ou à l’améliorer, les outils, le sel coûterait moins; comme aussi les denrées nécessaires à la nourriture, les étoffes et le tabac. Les impôts seraient simplifiés et allégés, ils seraient dépensés, en entier, dans le pays et pour le pays. Le plus lourd des impôts qui existent actuellement en Savoie, la conscription, ne pèse pas sur la Suisse. Je n’en dirai pas davantage; les Savoisiens qui liront ces pages n’ont pas besoin d’être renseignés sur un sujet qu’ils connaissent très bien. Ils savent tous à quel point la réunion du Chablais et du Faucigny à la Suisse serait favorable aux intérêts matériels de ces deux provinces...».

Les populations de ces provinces dont les sympathies allaient évidemment à la France avaient, en effet, leurs relations commerciales avec Genève. L’union à la Confédération, c’était la suppression des barrières de douanes qui séparaient producteurs et consommateurs, fournisseurs et clients. Placés entre leurs sentiments et leurs intérêts, nos bons Savoyards prêtèrent l’oreille, assez volontiers, à de telles suggestions. On multipliait les réunions publiques, des pétitions circulaient, on les publiait dans les journaux suisses, anglais, piémontais, afin d’impressionner l’opinion européenne par le nombre de leurs signataires. Mais de bons esprits, et parmi eux, au premier rang, les habitants de Saint-Julien dont les ancêtres avaient failli, pourtant, être helvétisés malgré eux, par convention internationale en 1815, ne semblaient pas autrement flattés de devenir Suisses.

Dans la Savoie du Sud comme dans celle du Nord, on s’agita. Les partis politiques, jusqu’alors assez divisés, se groupèrent: démocrates et conservateurs s’unirent pour écarter «l’infernal morcellement de notre petite patrie». L’ex-député démocrate, Jacquier-Chatrier, qui, au conseil divisionnaire d’Annecy et au Parlement de Turin, avait traité avec compétence les questions douanières et financières, par une campagne de presse fort active , développa l’idée d’un régime douanier analogue à celui du pays de Gex et imagina la formule «France et Zone» qui devait bientôt rallier tous les suffrages du Chablais et du Faucigny .

Napoléon III, tenu au courant de cette agitation, dut renoncer à son projet de détacher ces provinces en faveur de la Suisse à laquelle il était redevable de l’avoir accueilli pendant les années d’exil, et à laquelle il reprochait maintenant l’attitude de ses représentants à Londres et à Turin, ainsi que l’arrogance de son gouvernement. A Berne, en effet, le Conseil fédéral parlait de mobiliser l’armée et d’occuper militairement le Chablais et le Faucigny et l’aurait fait sans doute si l’Angleterre, d’abord franchement hostile à la France, ne s’était peu à peu désintéressée de la question .

Le 11 mars, un directeur de journal savoyard , accouru à Paris, put écrire à Jacquier-Chatrier:

«Je suis en position de vous rassurer contre le démembrement de la Savoie et de vous garantir en même temps que vous serez organisés comme Gex même; si l’on fait voter, ce que je ne crois pas, j’ai la parole de M. Thouvenel que l’on permettra pour vos provinces le vote pour la France avec zone suisse. Si j’ai nommé le ministre, c’est pour vous seulement, mais vous êtes autorisé à divulguer le surplus. Contre nous, la Suisse a été bien près de réussir dans ses convoitises. Il y avait presque des engagements et nous avons bien fait de nous remuer tous».

Dans sa circulaire du 13 mars 1860 aux représentants de la France près des puissances signataires des traités de Vienne, le ministre français des affaires étrangères, Thouvenel écrivait:

«La cession.... demeurera donc exempte de toute violence comme de toute contrainte: notre ferme intention, en outre est de la combiner, pour ce qui concerne les territoires de la Savoie soumis à une neutralisation éventuelle, de manière à ne léser aucun droit acquis, à ne porter atteinte à aucun intérêt légitime».

La délégation savoyarde, comprenant quarante et un notables de toute la Savoie, reçue par l’Empereur le 20 mars, remit à celui-ci les adresses des conseils municipaux et du barreau de Chambéry, ainsi qu’un mémoire demandant: 1° annexion de la Savoie à la France, exécutée immédiatement; 2° point de démembrement, la Savoie entière; 3° le régime douanier du pays de Gex pour le Faucigny, le Chablais et la partie du Genevois au nord des Usses.

Les délégués, à l’unanimité, affirmaient que l’assurance de la zone douanière garantirait à la France la presque généralité des suffrages, malgré les menées genevoises .

D’autre part, le préfet de l’Ain avait envoyé au gouvernement français un rapport dans lequel il disait:

«Les provinces septentrionales qui rentrent dans le bassin suisse du Léman ont leurs intérêts économiques à Genève, qui est leur marché naturel, leur capitale commerciale; elles redoutent, dans l’hypothèse de l’annexion, que la douane française, plus sévère et plus prohibitive que la douane sarde, ne vienne rompre ou contrarier des relations anciennes jugées indispensables à la prospérité mutuelle des deux pays.

Mais il serait facile à la France de donner satisfaction aux intérêts matériels de cette partie de la Savoie et de faire tomber ainsi toute objection, toute résistance à l’annexion. Le régime économique du pays de Gex est un moyen qui se présente naturellement à l’esprit, ce pays se trouvant dans des conditions géographiques identiques à celles du Chablais et du Faucigny. Rien de plus facile, par conséquent, que de concilier les intérêts économiques et les sentiments nationaux de cette partie de la Savoie. Cette idée fait son chemin, et déjà beaucoup d’habitants du nord de la Savoie déclarent qu’ils suivraient très volontiers leurs compatriotes du Midi dans l’annexion projetée, pourvu qu’on maintint la liberté de leurs relations avec Genève en leur accordant le régime adopté pour le pays de Gex».

Napoléon III était partisan convaincu du libre échange en matière de relations internationales de commerce.

Dès lors, il lui en coûtait peu d’accorder la franchise demandée en supprimant les douanes dans la Savoie du Nord puisqu’il croyait fermement que bientôt il n’existerait plus de douanes nulle part, sur le territoire français. Le 5 avril, le ministre des Affaires étrangères, Thouvenel, déclara officiellement que les franchises dont jouissait déjà le pays de Gex seraient assurées au Chablais et au Faucigny.

Le 6 avril, le député de Saint-Julien, H. Pissard, écrivait au gouvernement:

«La promesse de cette zone a suffi à rallier tous les cœurs à la France, malgré l’or et les émissaires de Genève. C’est ce qu’ont prouvé d’une manière éclatante les élections récentes des députés d’Evian, de Thonon, Saint-Jeoire, Bonneville, Saint-Julien, tous partisans de France et zone.

La zone est tracée par la nature et les prétentions suisses; elle va jusqu’aux Usses, par le col de la Seigne, la crête des montagnes entre le Faucigny et la Haute-Savoie et le Genevois jusqu’au plateau des Bornes au-dessus de la Roche; de là, elle rejoint les Usses et va au Rhône par Cruseilles et Frangy, pour aboutir au-dessus de Sesseyl. Les populations ont reçu cette espérance de M. Thouvenel, par leurs députés à Paris. Elles en attendent la réalisation. Cruseilles s’était rangé du côté de la Suisse. J’ai écrit qu’on aurait la zone jusqu’aux Usses; aussitôt tous les chefs de famille ont signé une pétition en faveur de France et zone».

Le 10 avril, Thouvenel fit connaître que la ligne de la zone comprendrait aussi la partie du Genevois qui constitue le bassin de Saint-Julien. Enfin, le 18 avril, il donna satisfaction au vœu exprimé par H. Pissard en lui faisant savoir que le bassin de Saint-Julien s’étendrait jusqu’aux Usses .

Les Intendants sardes et le Gouverneur de la province d’Annecy firent connaître aux populations que la franchise douanière était officiellement garantie et que «les votes oui et zone seraient déclarés valables et considérés comme affirmatifs ».

Un sénateur, allié de l’empereur, M. Laity, accompagné d’une suite imposante d’ingénieurs et de journalistes envoyés en Savoie tout exprès, parcourut plus particulièrement la région qui devait bénéficier de la franchise, en prenant l’engagement au nom de l’empereur que celle-ci serait accordée. On l’offrit même à l’arrondissement d’Annecy qui déclina cette faveur.

Le vote eut lieu les 22 et 23 avril 1860 .

Ce fut une grandiose et unanime manifestation en faveur de la France.

Nous avons vu que le traité du 24 mars fut ratifié au Parlement italien le 29 mai. Victor-Emmanuel donna sa sanction le 12 juin. Le même jour, le Sénat français ratifia ce traité à l’unanimité. Le sénatus-consulte consacrant officiellement la réunion de la Savoie à la France fut proclamé dans chaque commune. Il stipulait, à l’art. 3, que des décrets impériaux, ayant force de loi, régleraient les diverses mesures relatives à l’assiette des lignes de douanes. Conformément à cet article, Napoléon rendit le jour même le décret créant la nouvelle zone franche de la Haute-Savoie que l’on a appelée communément «la zone d’annexion» .

Ce décret n’était, en résumé, que la consécration du travail préparatoire d’organisation auquel il avait été procédé dès le mois de mars 1860, c’est-à-dire dès la signature du traité de cession et avant le plébiscite. Cela apparaît dans un rapport adressé, par le Directeur des douanes sardes de l’époque, au Directeur général des douanes à Paris.

On ne comprendrait pas, en effet, que la ligne des douanes indiquée au tableau A pût être si rapidement établie, s’il n’y avait pas eu des études préliminaires. Des agents de l’Administration française des douanes l’avaient tracée dans tout son développement en tenant compte des difficultés de surveillance et de la configuration du terrain . Cela est hors de doute, car le 12 juin, jour même où l’on consacrait la réunion de la Savoie à la France, une circulaire de l’Administration des Douanes informait le Service local que «la ligne des douanes devra être placée le 14 au matin sur les nouvelles frontières». Ces frontières étaient déjà connues par conséquent. Mais le tableau A du décret du 12 juin 1860 ne citait que les installations douanières. De là naquit une certaine incertitude sur le mode d’exécution du service douanier. L’Administration locale des douanes interprétant à sa façon le décret du 12 juin considéra comme appartenant au territoire douanier les parties agglomérées des localités reprises au tableau A et fixa par. conséquent en avant de ces localités la ligne conventionnelle destinée à tenir lieu de démarcation. Toutefois, pour faciliter le logement de ses préposés l’Administration des Douanes dût considérer la commune de Menthonnex-en-Borne comme faisant partie intégrante de la Zone franche alors que cette commune ne devait pas profiter de l’immunité douanière . C’était en fait une extension illégale de la Zone puisque, sur ce point, on la faisait plus étendue que ne l’avait voulu le législateur. Par contre, à l’origine, Bassy et Frangy furent considérées comme dépendant du rayon douanier bien que situées sur la rive droite des Usses. Les protestations des deux communes n’aboutirent qu’en 1888, époque où l’Administration des douanes reconnut elle-même l’incohérence qui lui avait fait établir tantôt au delà tantôt en deçà de la rivière des Usses sa ligne de démarcation arbitraire. Cette ligne devait d’ailleurs donner lieu à des controverses judiciaires, ainsi que nous allons le voir.

Genève, Gex & Savoie

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