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2° Origines de la zone franche du pays de Gex

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Table des matières

Lors de leur annexion à la France en 1601, les Gessiens, estimant trop lourdes les charges qu’ils avaient à supporter, demandèrent la suppression de certaines taxes. Henri IV, en leur accordant satisfaction trois ans plus tard, créa pour eux une véritable situation d’exception. Leur privilège, supprimé par Louis XIII, rétabli en 1724 par Louis XV, fut à nouveau supprimé par Louis XVI dès son avènement au trône, en 1774. Mais en raison de la situation de ce pays, enclavé dans les terres de Genève, de la Suisse et de la Savoie, la perception des droits d’entrée et de sortie ainsi que des impôts indirects était rendue difficile. Louis XVI ne tarda pas à s’en apercevoir et faisant droit à un message des habitants du pays de Gex (31 mars 1775), leur donna un semblant de satisfaction par un édit dans lequel il réputa cette contrée pays étranger. Il supprima les bureaux de traite [douane] situés à l’intérieur du pays de Gex et sur les frontières limitrophes des terres de Genève, Suisse et Savoie, pour les reporter sur la frontière limitrophe aux autres provinces du royaume de France.

Ces franchises étaient plus apparentes que réelles. En ce qui concernait les relations du pays de Gex avec l’étranger, tous droits de traite [douane] étaient supprimés de même que le privilège de la vente du sel et du tabac, mais moyennant une contribution forfaitaire fixe et annuelle de 30.000 livres et une autre contribution spéciale pour l’entretien des routes. C’était moins une suppression de taxes qu’une modification dans le mode de leur perception. En outre, des droits d’entrée et de sortie étaient fixés pour toutes transactions avec la France.

Quinze ans plus tard, la Constituante incorporait à nouveau le pays de Gex dans le territoire assujetti en reportant les frontières douanières aux frontières politiques de la France (loi du 5 novembre 1790).

Les Gessiens n’étaient pas seuls à regretter la perte de leur privilège douanier. Genève, plus encore, souffrait de cette suppression. Capitale orographique et économique de la région qui l’entoure à l’ouest et au sud, centre industriel et commercial de ces régions dont elle tire les produits agricoles qui lui font défaut, Genève était naturellement amenée à s’opposer à toutes entraves mises entre elle et ses producteurs agricoles ou ses clients commerciaux.

Cela suffit à faire comprendre l’âpreté mise par les émissaires de Genève, lors des Congrès de 1814 et 1815, dans leur revendication des territoires qui l’avoisinaient. Devant le peu de cas que les ambassadeurs des Puissances firent de leurs prétendus droits de possession, les Genevois, obligés de rabattre de leurs prétentions, durent se contenter de réclamer énergiquement l’établissement d’une zone franche économique.

Nous avons vu l’habile Pictet de Rochemont échouer piteusement au Congrès de Paris de 1814. Genève n’obtenait, par le traité du 30 mai, que le droit d’emprunter la route de Versoix dans ses relations avec la Suisse dont elle allait bientôt faire partie, droit qui n’empêchait pas les douaniers français d’y assurer leur service, ce dont ils profitèrent pour visiter les bagages des troupes qui, le 1er juin 1814. se rendirent de Suisse à Genève. Cette curiosité, intempestive et vexante eût été pour tout autre que Pictet un stimulant suffisant pour combattre la Douane française. Lui n’en avait pas besoin. Diplomate de valeur, sachant se plier aux circonstances et saisir au vol celles qui lui étaient propices, il avait assez de volonté pour poursuivre son but, quels que fussent les obstacles et les difficultés. Ce beau caractère n’avait pas besoin d’être stimulé pour servir son pays.

Nous avons vu comment, le traité du 30 mai 1814 ne donnant pas à Genève le pays de Gex, il avait habilement tourné ses batteries pour en supprimer tout au moins les douanes. Le 2 juin, il sollicitait une entrevue de Talleyrand pour l’entretenir de ce projet, mais faute de réponse du Ministre français l’entrevue n’eut point lieu . Obligé, comme le renard de la Fable, de chercher une excuse à sa déconvenue, il écrit à Turrettini:

«Je suis sans réponse de M. de Talleyrand. Comme ses attributions sont sans rapports avec les douanes, et que celles-ci étaient le principal objet de la conférence que je lui demandais, je compte partir après-demain lundi si je ne reçois pas de message de lui et qu’il ne survienne rien de nouveau».

Dès son arrivée à Vienne en octobre, rendu plus prudent, mais non découragé, il reprend ses intrigues afin d’obtenir ce pays de Gex si convoité . Nous avons vu comment échoua l’habile manœuvre qu’il avait imaginée de concert avec son collègue d’Ivernois.

Toutefois, à force de souplesse et de tenacité, ils obtenaient, en même temps que la libre communication entre la ville de Genève et le mandement de Peney, la mise hors douane française de la route de Versoix de manière à assurer, sans visite et sans payement de droits, la liberté des communications commerciales et militaires de Genève avec la Suisse .

Genève ayant été admis au rang de Canton suisse le 19 mai 1815, c’est comme délégué officiel de la confédération que Pictet fut envoyé, en août, au second Congrès de Paris.

Pour la troisième fois, il allait avoir à réclamer le pays de Gex. D’après son mémoire du 16 juillet 1815 sur le désenclavement du Canton de Genève, il voyait «dans cette acquisition (!)

«des avantages déterminants. On peut compter parmi ces

«avantages, écrivait-il, celui d’assurer nos subsistances quelles

«que soient les chances de l’avenir; celui d’augmenter «[nos ressources financières]..; l’avantage d’éloigner de nous la

«première ligne de douanes...» et bien d’autres avantages.

A cette acquisition — à la mode genevoise — du pays de Gex, s’ajoutaient d’autres postulations suisses dont nous n’avons pas à nous occuper ici.

Pictet ne tardait pas à s’apercevoir qu’il lui faudrait réduire ses prétentions sur le pays de Gex.

Comprenant qu’à vouloir trop il risquait de tout perdre, il s’attacha à démontrer la nécessité d opérer la contiguïté entre les cantons suisses de Genève et de Vaud par l’attribution à Genève d’une langue de terre de largeur suffisante le long du lac Léman. C’est ainsi qu’il obtint de faire insérer au protocole du 2 octobre la cession à Genève de Versoix et des communes avoisinantes, avec établissement de la ligne de douanes de la manière la plus convenable au système d’administration des deux pays .

La disgrâce de Talleyrand, son remplacement par le duc de Richelieu (25 septembre) n’avaient pas été étrangers à cet amoindrissement du sacrifice consenti par la France . Le nouveau Ministre des Affaires Etrangères était aussi sympathique aux Plénipotentiaires des Puissances que l’était peu son prédécesseur. Ce fait suffisait à lui seul pour que, dans le pillage organisé de la France, on apportât dès lors quelque tempérament.

Pictet n’aimait guère Talleyrand, mais il se rendait compte que son maintien au pouvoir aurait servi Genève. Aussi ne se louait-il qu’à demi de J’arrivée de Richelieu qu’il estimait cependant. Dans une longue entrevue (le 8 octobre), il mit le nouveau Ministre au courant du régime de l’abonnement existant dans le pays de Gex avant 1789, lui fit observer qu’il y aurait un avantage réciproque pour les communes frontières à le rétablir, que cela faciliterait les échanges et le commerce des denrées. «En dehors du Jura et le long du Doubs, vous auriez une excellente ligne [de douanes] que vous n’avez pas plus près de la Suisse, lui dit-il».

Fort de cet entretien, deux jours après, il rédigeait un Projet de cession d’une portion du pays de Gex et constitution d’une zone douanière entre Genève et Bâle . On y lit: «Il est convenu que les douanes françaises seront établies à l’occident du Jura, le long du Doubs...». Le 18, il écrivait à Wyss, Président de la Diète suisse:

«Hier, Castlereagh qui m’avait appointé à onze heures, m’écouta fort bien sur la grande importance qu’il y avait pour la Suisse d’écarter les douanes sur toutes ses frontières. J’invoquai les principes libéraux, je fis valoir la disparité des positions: point de douanes d’un côté , et les douanes les plus vexatoires de l’autre, je dis que cela établissait une petite guerre sourde et continue, que c’était une source intarissable de querelles et d’incidents, et de soupçons, et de reproches et d’inimitiés.

Je rappelai l’exemple du pays de Gex qui a été trente ans sous le régime de l’abonnement libre que jé voulais étendre à toute la zone, et [que] les gens dudit pays de Gex regrettent encore. Je dis que ce bienfait vaudrait mieux que le don d’une province et que j’espérais le voir étendre à la frontière sarde. Il ne me fit pas une seule objection, il parut goûter l’idée et l’avoir déjà ruminée d’après ma rédaction. Il dit seulement qu’il faudrait voir ce que les Français diraient. Je lui observai que Richelieu y paraissait disposé ».

Dans une lettre à Turrettini, le lendemain, il confirmait en ces termes son entretien avec lord Castlereagh:

«Celui-ci m’écouta avec attention sur la grande convenance qu’il y avait pour la Suisse à écarter les douanes comme dans mon projet de rédaction que Wessemberg avait adopté et présenté aux quatre ministres. Si Richelieu devait y faire des objections, je lui faisais remarquer que la partie n’était pas égale entre la Suisse et la France, que la première n’avait pas de douanes et que la seconde en avait de très vexatoires (ainsi que le Piémont, dont j’eus soin de caractériser fortement la législation commerciale). Je représentai que c’était une source intarissable de querelles, d’incidents, de reproches, de soupçons et d’inimitiés, que cela empoisonnait une zone de la population dans les deux pays».

Pictet rappelait opportunément le protocole du 2 octobre:

«Enfin, écrit-il le 1er novembre, je me suis servi avec tous (Capo d’Istria compris) des termes que j’ai fait insérer dans les bases, relativement aux douanes... «la plus convenable au système d’administration des deux pays». J’ai argumenté de l’exemple des quinze années pendant lesquelles le pays de Gex avait été abonné, de l’opinion des experts consignée dans divers mémoires des fermiers généraux, et qui démontraient que c’était même l’avantage du fisc, des regrets que ce régime avait laissés dans le pays de Gex qu’il avait fait prospérer, etc.».

Mais si les Plénipotentiaires des Alliés se laissaient volontiers convaincre, il n’en était pas de même des Ministres français:

«Comme qu’on fasse et où qu’on se recule, disait Richelieu, la

«ligne des douanes sera quelque part, et là se renouvelleront

«tous les inconvénients dont vous parlez». Le Ministre des finances était encore plus revêche, si l’on en juge par ces mots de Pictet: «Toujours des accrocs et des inquiétudes. Il paraît

«que le Ministre des finances a houspillé Richelieu sur le recu-

«lement des douanes et l’a accusé d’abandonner les intérêts

«des finances de la France ».

Un député français, le baron Girod de l’Ain qui, «désolé de n’être pas Suisse... accablait alors Pictet de lettres et de visites.... » , lui procura un mémoire daté de 1758, relatif au pays de Gex, lequel mémoire démontrait qu’il y avait avantage pour le Trésor, pour les habitants, pour les voisins, et par conséquent pour la bonne harmonie, dans ce reculement des douanes.

Pictet songea à utiliser au mieux le concours du baron Girod. Tandis que le baron s’employait à triompher de l’opposition du Ministre des finances français, Capo d’Istria, en relations intimes avec Richelieu, travaillait de son côté le Ministre des affaires étrangères. Ces démarches aboutissaient bientôt à une demi satisfaction. Ce n’était pas l’éloignement des douanes sur toute l’étendue des frontières suisses, ainsi que le désirait la Confédération, mais du moins tout le pays de Gex était mis hors douane française par le report de la ligne à l’ouest du Jura. La zone Franche du pays de Gex était créée.

Le traité du 20 novembre 1815 constitue la base juridique de ses franchises actuelles.

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