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AVANT-PROPOS

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Il y a fort longtemps déjà que j’ai accusé la sélection exclusive par le trot de coursé d’amener dans le modèle du cheval normand des modifications telles qu’elles constituaient une véritable déformation.

La théorie que j’émettais était toute d’intuition, je le reconnais. Elle n’était basée ni sur des constatations certaines ni sur des observations scientifiques.

M. Barrier, actuellement directeur de l’école d’Alfort, avait donc beau jeu pour la réfuter, ce qu’il crut devoir faire dans le Bulletin de médecine vétérinaire, du 15 mars 1898; il combattait un adversaire sans armes.

Combien je me félicite aujourd’hui de l’intervention de M. Barrier! En me réfutant, le célèbre professeur m’a forcé à travailler, à étudier; j’ai pu ainsi découvrir certains faits que je ne soupçonnais pas, préciser des points fort intéressants, qui, sans le choc de la discussion, seraient restés dans l’ombre.

En effet, pénétré de l’exactitude des accusations que j’avais produites, j’ai eu à cœur de les vérifier expérimentalement, et, une fois pour toutes, de bien mettre les choses au point.

Pour arriver à ce résultat, j’ai tout d’abord consciencieusement étudié les ouvrages de MM. Jacoulet et Chomél, Le Hello, Goubbaux et Barrier, Alasonière, Vallon, Samson, Le Noble du Teil, capitaine Dumas, Nicard, etc., etc.

Lorsque j’ai pensé que le léger bagage scientifique que j’avais acquis était suffisant pour chercher et déterminer la vérité, j’ai fait construire un arthrogoniomètre et je me suis mis en campagne. J’avais le projet de mensurer plus de trois cents chevaux appartenant à six types différents, afin de pouvoir les comparer les uns aux autres, et livrer ensuite mes mensurations au public.

Je commençai par une vingtaine de pur sang pour passer ensuite aux trotteurs.

Dès maintenant, je veux adresser un remerciement aux éleveurs normands, qui, de la meilleure grâce, ont mis leurs sujets d’élite à ma disposition. La franche amabilité dont j’ai été l’objet dénote chez eux un esprit ouvert, large, ami du progrès et de la vérité.

Après avoir mensuré Réséda, Senlis, Ergoline, Hémine, Avize et Moonlighter, je comparai les mensurations obtenues avec celles que j’avais relevées sur les chevaux de pur sang. Les variations n’étaient vraiment sensibles que pour un seul rayon: mais là, la différence était constante et très importante. Je pensai avoir trouvé la déformation cherchée.

Je ne me trompais pas.

Dans plusieurs écuries dont j’examinai les élèves, j’ai pu pronostiquer d’une façon exacte la carrière future de quelques poulains que je mensurai accidentellement, car je cherchais surtout à étudier des chevaux dont le record était connu.

Ainsi, les mensurations faites aux Rouges-Terres m’ont désigné comme grands trotteurs, Tosca (Harley et Hémine), qui, malade, n’a pas couru; Travailleur, qui a un record de 1’34”, et le fameux Trinqueur. En revanche, j’ai pu déclarer que Taverny, par Fuschia et la mère de Nabucho, ne serait pas un grand trotteur: il n’a trotté qu’en 1’43”.

Chez James, j’ai signalé Tivoli aux bons soins de cet entraîneur. Chez Juhellet, j’ai destiné un fils de Levraut, sur lequel son propriétaire comptait, à ne pas faire mieux que le kilomètre en 2’ : il n’a jamais dépassé cette vitesse. Quant à Ténébreuse, j’augurai alors fort mal de sa carrière: une connaissance plus approfondie des lois de la locomotion me révéla plus tard l’artifice qui lui permit d’être un des meilleurs performers de sa génération.

Un sympathique anonyme me présentait un jour un poulain de la plus illustre origine et me disait qu’il le considérait comme devant être le crack de son année: «Ne vous emballez pas sur votre cheval, lui répondis-je, il fera de l’1’40”, pas beaucoup mieux, et son voisin de box, que vous n’estimez pas, est votre meilleur poulain.» Le futur crack a couru tout juste en 1’40”, comme je l’avais dit, et le voisin de box a fait de l’1’37” pour débuter, comme je l’avais dit également.

Chez M. Thibault, je ne mensurai que deux pouliches de deux ans: Urgence, la sœur de Toscane, à laquelle je prédis une obscure carrière, et je ne pense pas qu’elle ait été brillante, et Ukraine, que je considérai comme une trotteuse de très grand ordre: elle a débuté en 1’37”, je crois.

M. Corbière me présenta trois jeunes pouliches dans son haras de Nonant-le-Pin, L’Ure, L’Us-Marines et Dugazon, je déclarai Dugazon mauvaise, Us-Marines bonne, l’Ure de premier ordre. Là encore, les événements ont justifié mes prévisions.

C’est incontestablement chez M. Cavey que l’exactitude de mes expériences a reçu la confirmation la plus éclatante. L’aimable éleveur de Nonant-le-Pin me présentait une pouliche mainden en me demandant de pronostiquer sa carrière future. Je n’hésitai pas et je répondis à son propriétaire que, d’après les mensurations que j’avais déjà enregistrées, cette pouliche devait être le premier ou le deuxième sujet de sa génération et qu’elle gagnerait cent mille francs. M. Cavey et les autres spectateurs me parurent surpris j’eus la raison de leur étonnement, lorsque je sus que cette pouliche qu’on me disait «maiden» n’était autre que la fameuse Sarah elle-même. En moins d’une minute, mon arthrogoniomètre m’avait dévoilé ses aptitudes merveilleuses de trotteur.

Je n’ai mensuré qu’un lot de poulains au sevrage, celui de M. Cavey: grâce à mon instrument, j’ai pu désigner Wagram comme devant être un sujet de premier ordre. J’ajoutai même, en plaisantant, qu’il gagnerait, deux années plus tard, le prix du président de la République, épreuve qu’il vient en effet de remporter.

Ces différentes constatations, l’étude de l’anatomie du cheval, de nombreuses photographies instantanées, m’ont permis de faire la théorie du trot de course et d’établir un parallèle très précis entre ce genre de locomotion et le galop.

Mes mensurations ne m’ont pas seulement révélé la déformation: elles m’ont encore indiqué les modifications profondes que la sélection exclusive par les courses au trot a produites dans le modèle du cheval normand; ces modifications sont antant d’adaptations au trot de course, et c’est ainsi qu’elles amèneront insensiblement le normand à n’être plus qu’un trotteur d’hippodrome avec une diminution constante de ses aptitudes au service du carrosse et surtout de la selle: car toute race est l’expression exacte du critérium auquel on la soumet. Si c’est là le but que se sont assigné les personnalités qui dirigent l’élevage, elles l’atteindront sûrement.

J’ai été conduit ainsi à une étude approfondie des rouages qui constituent le modèle, ou pour employer une expression scientifique, l’adaptation.

Les performances du turf, sur lesquelles se concentre aujourd’hui toute l’attention des hommes de sport, ont fait reléguer au second plan la construction de l’individu, et on confond trop volontiers de nos jours le bon cheval de course avec le bon cheval de service.

Parler du modèle vient donc à son heure.

Mes prétentions sont modestes: à part quelques considérations personnelles sur la déformation et sur la locomotion artificielle du trotteur, je ne m’inspirerai que de l’esprit des maîtres que j’ai lus: je m’assignerai surtout comme tâche de dégager et de mettre en relief les conséquences pratiques de leurs théories scientifiques. Je chercherai ainsi à déterminer quel devrait être l’outillage le plus favorable pour le meilleur fonctionnement de ce moteur, de cet automobile animé qu’est le cheval.

La précision de ces recherches sera d’autant plus intéressante que j’ai la conviction de parfaitement expliquer le peu de faveur dont sont malheureusement l’objet les chevaux normands auprès des amateurs riches. On voit couramment payer chez Barlett, Mme Hentsman ou autres marchands, des américains, des anglais et surtout des irlandais, de 3 à 7.000 fr., tandis que les normands, leurs égaux certainement en qualité, ne trouvent pas acheteurs pour 1.500 ou 2.000 francs et restent pour compte à l’élévage.

Quelle est la cause de cette crise dont souffre terriblement l’élevage normand? C’est que les normands sont très inférieurs au point de vue de la conformation et que certains types de cette race sont déformés.

J’aurai donc à chercher et à indiquer les moyens les plus efficaces pour relever le prestige de notre demi-sang dans l’opinion publique, où il devrait occuper la première place. La concurrence étrangère nous enlève presque tous les débouchés rémunérateurs par la perfection de ses produits: il faut que la supériorité des nôtres la supprime.

En étudiant les réformes qui semblent s’imposer, je serai tout naturellement amené à analyser la direction qui a été donnée à l’élevage par l’Administration des Haras. Je devrai m’assurer si cette direction a été vraiment conforme à l’esprit de la loi de 1874, aux intérêts de la défense nationale, à ceux des consommateurs et des contribuables, si un judicieux parti à été tiré des ressources de notre budget hippique, ressources qui peuvent compter, puisqu’elles dépassent le chiffre de quinze millions.

Tel sera le cadre de l’étude que j’entreprends. Je m’efforcerai de faire ressortir l’utilité du modèle au point de vue de l’exploitation du cheval, au point de vue de l’agrément et de la sécurité du cavalier; je veux faire en sa faveur un chaud plaidoyer, au cours duquel je ne serai inspiré que par deux sentiments, la passion du cheval et les intérêts de l’élevage.

Le modèle et les allures

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