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I. — DU MODÈLE.
ОглавлениеL’étude du modèle a pour but de déterminer, par l’examen détaillé de l’extérieur du cheval, quelles sont ses aptitudes, aptitudes assurément légèrement modifiables, mais limitées par la construction même du sujet: leur ensemble constitue l’adaptation du cheval.
L’examen de l’extérieur comporte, pour être complet, la recherche des longueurs et des directions osseuses du squelette, qui sont un des éléments les plus importants du modèle.
La connaissance du modèle nous fournit des renseignements exacts, dont l’importance n’échappera à personne: ils sont aussi précieux pour le cavalier, qui recherche l’utilisation immédiate du sujet, que pour le producteur qui y trouve les indications nécessaires à la direction d’un élevage intelligemment conçu; si on ne les possède point, le jugement ne peut être qu’incertain, variable et peu étendu; lorsqu’ils viennent s’unir à une intuition native, fortifiée par l’expérience, ils forment rapidement l’appréciation de l’homme de cheval.
Le cheval n’est pas autre chose qu’un moteur animé, et tous les efforts des personnalités qui dirigent l’élevage doivent tendre à ce que ce moteur soit bien organisé, pour que ses mouvements se produisent avec une grande liberté et conformément au travail que nous réclamons de lui. Car, dans un mécanisme animé, lorsque tous les organes sont complètement développés avec des rouages de bonne qualité, s’engrenant parfaitement, on peut compter sur les plus grands services et les plus utiles adaptations; si, au contraire, les rouages s’engrennent mal, s’ils sont irréguliers, incomplets, de qualité inférieure, le mécanisme s’usera prématurément, ou bien n’aura que des adaptations limitées.
Lorsqu’un cheval se meut, il dépense de la force: tous les animaux sains ont une force suffisante pour les manifestations de leur existence naturelle; mais, si vous leur imposez une épreuve qui aille jusqu’à la limite de leur puissance, — la poursuite pour les animaux sauvages, le travail pour les animaux domestiques, — vous constatez que les uns ont une bien plus grande résistance que les autres: cette différence entre la force dépensée pour la vie normale de l’individu et la force dépensée jusqu’à son épuisement, la force totale, constitue le travail disponible dont l’homme peut user pour son service. C’est ce travail disponible que l’éleveur doit chercher à développer au maximum, au point de vue de la résistance, de la sécurité, de l’agrément et du confortable, par les beautés qui assurent l’adaptation et la qualité du sujet.
L’adaptation et la qualité sont donc les deux mérites, complètement distincts, mais essentiels à développer chez le cheval: on ne saurait être trop exigeant pour arriver à cette double fin, puisque de la perfection du moteur dépend le plus fort rendement de travail avec le minimum de prix de revient.
Mais il faut bien se garder de confondre l’adaptation et la qualité : un cheval bien adapté peut être une rosse sans qualité, un autre sera mal adapté et aura beaucoup de qualité. L’un et l’autre seront de mauvais moteurs, le premier parce qu’il n’aura pas de résistance, le second parce que ses rouages sont incomplets ou mal agencés: tous deux s’useront prématurément ou ne fourniront à celui qui les exploite qu’un service désagréable et peu sûr. Un cheval complet, et notamment un type améliorateur, doit être le détenteur d’une très grande qualité jointe à une adaptation aussi large que possible.
Les perfections du cheval ont reçu le nom de «beautés», et, dans ce cas, le mot beauté est synonyme surtout d’utilité. «C’est la parfaite adaptation soit de l’organe ou de la région à sa fonction, soit de l’individu tout entier à sa destination.» (Goubbaux et Barrier.) Le beau cheval est donc un cheval essentiellement utile, c’est-à-dire capable de rendre à l’homme les plus grands services en coûtant le meilleur marché possible. «La beauté de l’homme est idéale, celle du cheval est mathématique.» (Richard du Cantal.)
Les beautés du cheval peuvent être limitées à la réalisation du travail que nous réclamons de lui: il n’est pas indispensable, en effet, qu’un cheval exclusivement consacré au trait art les adaptations requises pour le service de la selle. Ce dernier genre de service exige des adaptations beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus complètes que celui de trait: le cheval de selle, surtout s’il est employé à la chasse ou à la guerre, doit constamment s’arrêter, repartir, pivoter sur lui-même, tourner brusquement, galoper sur le dur, sur le mou, toujours sur un sol incertain et inégal, porter du poids pendant des journées entières, avoir toujours son attention en éveil, être très adroit, donner parfois des pointes de vitesse extrême, monter ou descendre à pleine allure des côtes rapides: on lui demandera encore d’être souple et maniable et de n’avoir point de réactions trop dures. Le cheval qui satisfait pleinement à ces exigences est le moteur le plus parfait: c’est lui seul qui mérite la dénomination de BEAU CHEVAL; c’est donc son élevage seul, qui, s’il est intelligemment dirigé, doit être encouragé à produire.
La vitesse et la progression résultent du jeu d’un ensemble (muscles, longueurs, fermetures articulaires, inclinaisons osseuses, respiration, circulation, qualité du tissu); il est impossible de percevoir dans quel rapport exact ces éléments concourent aux mouvements de déplacement; quelques-uns cependant, soit par leur mobilité plus grande, soit par les variations très notables qu’ils affectent dans les différents genres d’adaptation, semblent être des causes plus déterminantes, et, partant, plus intéressantes à étudier dans leurs effets: l’agencement des muscles, l’humérus, le garrot, l’ischium, par exemple. Il peut arriver qu’un des éléments de cet ensemble manque de développement ou soit mal adapté, sans qu’il en résulte un inconvénient apparent: ce sont alors les autres éléments qui suffisent à la fonction, et compensent, souvent à leur détriment, ou au détriment de celui qui exploite le moteur, l’infériorité de cet élément: si les compensations n’existaient pas dans une très large mesure, tout cheval qui ne serait pas théoriquement bien fait serait incapable de tout service: mais on doit bien se garder de propager une race en se basant sur les compensations qui, elles-mêmes, peuvent venir à manquer. Il est évident que, plus il y a de perfections dans le détail, plus on a de chances d’avoir la perfection dans le tout.
Des observateurs superficiels ou des esprits indolents objecteront peut-être que c’est là de la théorie. Ils ignorent donc que tout effet a une cause: quand l’effet existe, il faut être assez perspicace, assez travailleur, pour en découvrir et en déterminer les causes.
«L’ignorance, dans laquelle se trouvent l’immense majorité des hommes de cheval, de organisation et de la bonne confection de la machine, est la cause des plaintes générales, des récriminations perpétuelles, dont nous sommes témoins sur l’amélioration de nos chevaux: c’est là le mal, il n’est pas ailleurs!» (Richard du Cantal.) Alasonière exprime la même opinion. Je partage complètement l’avis de ces deux grands maîtres: chacun juge le cheval par impulsion; combien peu sont capables de le raisonner!
L’utilité de la science du modèle n’est donc pas douteuse pour celui qui fait usage du cheval: elle est absolument indispensable pour surveiller l’évolution d’une race soumise à une sélection. Si M. X... ou M. Z... se trompent en achetant un cheval, et que ce cheval ne leur rende que peu de services, le fait a une importance d’autant moins considérable que M. X... ou M. Z... demanderont très rarement à leur cheval l’adaptation extrême de son service; mais, si l’erreur, au lieu de se porter sur un seul individu, se produit sur un type, sur une race tout entière, qu’une administration d’État ou que des sociétés privées transforment, à l’aide d’encouragements mal compris, les conséquences nuisibles que cette erreur entraîne avec elle peuvent être incalculables.
En effet, quand on ignore le pourquoi de chaque chose, quand on n’a pas constamment en vue le modèle-type, la perfection vers laquelle on doit tendre, on peut arriver insensiblement chez certains spécialistes à des dispositions tellement accentuées qu’elles constituent de véritables changements de forme: les adaptations sont alors restreintes à la spécialité du sujet, et il n’y a plus de compensations suffisantes pour atténuer les effets parfois désastreux des modifications intervenues! Nous verrons que c’est exactement ce qui s’est produit dans l’évolution de la race normande vers le record en 1’30”.