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CHAPITRE II.

Table des matières

JOSEF THEODOROS ET ANGÈLE PÉRIER.

Josef Theodoros, qui devait être le père d’Adallah, était né en Abyssinie, sur les côtes de l’Afrique orientale.

Amené très jeune en Égypte, il avait fait divers métiers pour gagner sa vie, jusqu’à ce que le hasard eût mis sur sa route un négociant français, M. Valois, habitant le Caire.

Ce négociant, frappé de l’intelligence et de la bonne mine du jeune Abyssinien, l’avait pris à son service et l’avait initié peu à peu à son commerce.

Dans cette fréquentation continuelle des Européens, Josef Theodoros, avec son esprit très ouvert, avait perdu sa première nature; et, cherchant à s’instruire, voyant les choses, jugeant les hommes, il était parvenu à faire de l’ancien enfant sauvage un jeune homme policé et civilisé.

Une personne avait beaucoup, sans le savoir, contribué à cette transformation rapide.

Celte personne était la jeune et modeste institutrice des enfants de la maison Valois.

Angèle Périer, orpheline, Parisienne, avait accepté cette place sans regrets et sans joie. Il fallait vivre. Le Caire était loin de la France, mais elle pourrait y gagner son pain.

Cependant elle s’était attachée aux enfants qui lui avaient été confiés et le temps passait devant elle, ni sombre ni ensoleillé. En dehors des enfants, tout la laissait indifférente.

Un changement profond devait bientôt se produire dans cette existence paisible.

Quand M. Valois eut remarqué les aptitudes de Josef Theodoros, il s’appliqua à les développer. Pour cela, il lui prêtait des livres, lui donnait des conseils, causant amicalement avec lui lorsque le travail lui laissait des loisirs.

Parfois, lorsqu’une question de son protégé l’embarrassait trop ou qu’il n’avait pas le temps d’y répondre, il lui disait:

— Va trouver Angèle. Elle est savante. Elle t’expliquera cela mieux que moi.

Et le jeune homme allait trouver Angèle. Il l’interrogeait.

Elle répondait toujours si clairement, si doucement, reprenant si justement son idée quand elle la devinait trop confuse, que Josef Theodoros finissait toujours par comprendre.

Il écoutait la jeune fille, docile comme un enfant, relevant quelquefois la tête, quand il sentait son cerveau rétif et qu’il voulait le dompter.

Alors, dans les prunelles grises de l’institutrice, l’Abyssinien plongeait les regards de ses yeux noirs, cherchant à mieux y surprendre la pensée, voulant concevoir plus facilement.

Ces regards avaient le don de troubler la Française, et, sans qu’elle se rendît compte de la cause, sans que Josef s’en aperçût, elle devenait toute timide et tout embarrassée.

Un jour, fâchée contre elle-même et contre l’auteur inconscient de ce trouble, elle s’en ouvrit au négociant.

Celui-ci se mit à sourire, et, après un moment de réflexion, il dit à Angèle:

— Je crois connaître le motif de ce malaise nouveau pour vous. Laissez-moi faire, mon enfant, j’espère vous en guérir.

Il eut une longue conversation avec Josef Theodoros et revint auprès d’Angèle, avec le visage heureux d’un honnête homme qui s’apprête à faire une bonne action.

— Eh bien, dit-il, je sais tout maintenant. Josef vous aime et vous l’aimez. Voyons! ne rougissez pas. Il n’y a pas de mal à cela et nous n’avons plus qu’à fixer la date du mariage!

M. Valois avait dit juste.

En interrogeant le jeune homme, il lui avait fait découvrir un sentiment qu’il ignorait lui-même. Quant à la jeune fille, elle s’était trahie dans sa pureté naïve.

Angèle Périer, quoique maîtresse de ses actions, mettait bien quelques objections à ce mariage. Josef Theodoros n’était-il pas un Abyssinien? N’y avait-il pas une trop grande différence de race entre lui et elle? Et tous deux n’étaient-ils pas sans fortune?

Mais M. Valois répondait que les Abyssiniens n’étaient pas si sauvages que cela, qu’ils n’adoraient pas les idoles et n’égorgeaient pas de victimes humaines, qu’ils étaient chrétiens depuis le IVe siècle, que la race était forte, belle et suffisamment polie. Quant à Josef Theodoros, n’était-ce pas maintenant un Européen accompli, comprenant et acceptant tous les bienfaits de la civilisation? Pour la question de fortune, Angèle n’avait pas à s’en occuper. Dès la célébration du mariage, Josef Theodoros serait intéressé dans les affaires de la maison.

L’éloquence du digne négociant ne fut pas vaine. Quelques mois après, Angèle Périer devenait la femme de Josef Theodoros.

Le bonheur plana d’abord sur le jeune ménage. Une petite fille vint au monde. Elle fut appelée Adallah.

Trois années s’écoulèrent très paisibles et très douces. Angèle et son mari ne s’étaient jamais sentis plus heureux, quand, un malin, le négociant vint leur apprendre, désespéré, qu’il était obligé de déposer son bilan. Des désastres financiers, auxquels il était étranger, l’entraînaient fatalement à la ruine.

La liquidation terminée, il retournerait en France avec ses enfants et s’essayerait à recommencer la lutte.

Il proposa à Josef et à sa femme de les emmener avec lui, mais sans pouvoir leur promettre désormais un appui efficace.


Les époux hésitèrent longtemps à prendre une détermination. Enfin le mari proposa à sa femme de le suivre en Abyssinie. Là, connaissant le pays, les mœurs, le langage, il ferait le commerce de l’ivoire, achetant aux caravanes qui traversent le désert du Soudan, revendant aux marchands européens. Il se faisait fort, en quelques années, d’amasser une fortune, et, alors, il irait vivre avec sa femme et son enfant dans le pays de France.

Cette dernière raison, l’espoir de revoir sa patrie et d’y élever sa fille, convainquit définitivement Angèle.

Ils partirent. Josef Theodoros s’était établi aux environs de Massouah, entre la frontière abyssinienne, d’où lui arrivait l’ivoire, et la mer Rouge, où les navires venaient le chercher. Cette position heureuse et d’intelligence commerciale du jeune homme le servirent à merveille. Au bout de deux ans, il passait déjà pour l’un des plus riches et surtout des plus honnêtes marchands de la contrée.

La petite Adallah grandissait, se faisant gracieuse et belle. Angèle, dans l’accomplissement de ses devoirs maternels, se trouvait satisfaite de son sort, et Josef travaillait avec ardeur pour les deux êtres qu’il aimait.

Tout à coup le bruit se répandit qu’une bande nombreuse de pillards de la tribu des Bogos avait fait invasion au nord de Massouah, dévastant, pillant, assassinant sur son passage.

Angèle Périer eut peur, non pour elle, mais pour son enfant pour son mari.

Vainement celui-ci cherchait à la rassurer.

— Tes craintes ne sont pas sérieuses, disait-il, nous sommes trop près de Massouah pour que les pillards osent se hasarder à venir jusqu’à nous. Et puis, tu es Française, il y a des Français dans la ville, et ton consul doit avoir pris les précautions nécessaires en cas d’attaque. Les vaisseaux qui sont au port débarqueront leurs hommes, et cela suffira pour mettre en fuite, comme une volée d’oiseaux, ces misérables bandits qui t’effrayent.

Angèle essayait de sourire, voulant croire son mari, mais, au fond, agitée d’un pressentiment sinistre.

Ce pressentiment n’était que trop fondé. Il devait se réaliser bientôt dans des circonstances terribles!


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