Читать книгу Les parce que de mademoiselle Suzanne - Émile Desbeaux - Страница 6
ОглавлениеLES PARCE QUE DE Mlle SUZANNE.
M. de Sannois ramena donc en France la pauvre petite Adallah, d’abord bien triste, très malheureuse, pleurant, demandant son papa et sa maman, mais, peu à peu, s’attachant au capitaine, se sentant aimée et protégée, et doucement distraite par les étonnements du voyage.
Dans les lettres que M. de Sannois avait adressées à sa famille il n’avait pas parlé du charmant petit personnage qui l’accompagnait.
C’était une joie qu’il réservait à sa chère Suzanne.
Aussi la surprise fut-elle grande à l’hôtel du parc Monceaux, lorsque le capitaine revint avec cette singulière fillette dont le teint, les allures, les façons contrastaient si fort avec ceux d’une Parisienne.
— Je t’amène une petite sœur, en veux-tu? avait demandé en souriant M. de Sannois à Suzanne, certain d’avance de la réponse.
— J’en veux bien! avait dit simplement Suzanne.
Et, toute charmée, toute contente, elle s’était penchée, ouvrant ses bras à l’enfant pour qu’elle vînt s’y jeter.
Adallah, silencieuse, effarouchée, se méfiant d’abord, avait regardé celle dont le geste câlin l’appelait. Elle avait hésité un instant, puis, lisant dans les grands yeux de Suzanne l’affection qui lui était déjà destinée, elle avait couru dans ses bras brusquement, décidément, se donnant tout entière.
Le pacte d’amitié scellé d’un seul coup, Adallah était devenue la petite sœur d’adoption de Mlle Suzanne, et Mme de Sannois la considérait comme sa seconde fille.
A l’arrivée de la petite Abyssinienne, M. de Beaucourt s’était écrié avec une aimable ironie, en s’adressant à Suzanne, qui déclarait se charger de l’éducation d’Adallah:
— Eh bien, c’est à ton tour maintenant d’être interrogée! C’est toi qui vas être taquinée, tourmentée à chaque minute! Tu verras que le rôle de répondeur que tu m’as fait jouer si longtemps n’est pas toujours couleur de rose. Je vais donc être enfin débarrassé de vos questions, mademoiselle, car vous allez être fort occupée vous-même à répondre aux pourquoi qui vous seront posés!
Et M. de Beaucourt s’était frotté les mains en souriant avec malice.
— Oh! grand-père, avait répondu Suzanne sur le même ton, tu as beau dire, je sais bien que tu répondras encore...
— A tes «pourquoi» ?
— Qui.
— Mais je n’ai plus un seul «parce que» à ma disposition! Mes «parce que», tu les as tous usés!...
— Oh! pourtant, lorsqu’Adallah me demandera un «pourquoi » trop difficile, il faudra bien que je trouve quelqu’un qui m’aide à y répondre et ce quelqu’un-là, je le connais.
— Ce sera ton père... ton frère...
— Et aussi mon grand-père!
— Allons! voilà encore de la besogne pour moi! avait dit M. de Beaucourt en tâchant de prendre un air désolé, mais, au fond, tout prêt à céder.
Suzanne avait été fort curieuse dans son enfance, nous l’avons vue alors, et le hasard lui donnait maintenant pour compagne une enfant douée forcément de curiosité, et par l’instinct, et par la nouveauté des choses qui la frappaient à chaque pas.
Cependant le commencement de l’éducation de la petite sauvage, comme l’appelait M. de Beaucourt, avait donné grande peine à sa sœur adoptive.
Il y avait trois ans qu’Adallah faisait partie de la famille de Sannois et, déjà, la civilisation européenne l’avait marquée de ses fortes empreintes; mais, au début, elle avait opposé une énergique résistance aux efforts que faisait pour l’instruire sa douce et jeune maîtresse.
Elle trouvait des «pourquoi» imprévus qui renversaient Suzanne.
— Pourquoi faut-il apprendre à lire? disait-elle.
— Dame! pour savoir lire.
— Et pourquoi faut-il savoir lire?
— Parce que c’est le seul moyen qu’on ait encore trouvé de s’instruire?
— Pourquoi donc faut-il s’instruire? reprenait tranquillement Adallah se tenant à sa logique d’un entêtement naïf.
— Parce que... parce que... s’écria Suzanne, parce qu’il ne faut pas rester toujours à l’état de petite sauvage!
Ces deux mots avaient le talent de cingler l’amour-propre d’Adallah. Alors, elle écoutait et reprenait sa leçon, mais ce n’était pas pour longtemps.
D’autres fois elle demandait:
— Pourquoi faut-il savoir écrire? Pourquoi faut-il connaître l’orthographe?...
Suzanne mettait son esprit à contribution et n’y trouvait jamais de réponses qui satisfissent Adallah.
La petite Abyssinienne se montrait si constamment rétive que sa maîtresse, à bout d’arguments, se décida, après de longues hésitations, à se servir d’un moyen bien douloureux, mais dont le résultat devait être efficace.
On avait toujours évité de faire allusion devant Adallah aux terribles circonstances dans lesquelles M. de Sannois l’avait rencontrée. On n’avait pu lui laisser ignorer le sort de son père, mais on lui avait dit que sa maman était saine et sauve, qu’on la cherchait et qu’on la retrouverait certainement.
Cette supposition, qu’on lui donnait avec une assurance voulue, avait calmé peu à peu la trop vive douleur d’Adallah, et, dans ce cerveau d’enfant, les souvenirs s’effaçaient peu à peu.
C’était cependant à ces souvenirs que Suzanne, toute désolée, avait résolu de faire appel.
Un jour, comme Adallah, plus volontaire que jamais, se refusait à prendre ses leçons, répétant ses éternelles questions, Suzanne la prit sur ses genoux, et la regardant bien dans les yeux, serrant affectueusement ses petites mains, elle lui dit doucement, tout doucement:
— Tu ne penses donc plus à ta maman?...
La pauvre fillette était loin de s’attendre à une telle question. Son petit corps fut soudain agité d’un frisson. Sa figure se contracta; puis elle se mit à pleurer.
Suzanne, aussi malheureuse à ce moment que sa petite sœur, la laissa, longuement, silencieusement pleurer. Enfin, après lui avoir essuyé les yeux, elle voulut l’embrasser.
Mais Adallah la repoussa vivement d’un geste plein de colère:
— Pourquoi m’as-tu dit cela? Pourquoi m’as-tu fait tant de peine? Oh! méchante! méchante! méchante!...
Puis, elle reprit à voix basse, triste et calmée, se parlant à elle-même:
— Oh! si! j’y pense à ma petite mère!...
Alors Suzanne, la voyant à l’état où elle voulait l’amener, reprit:
— Eh bien, ma chère petite sœur, si tu penses à ta maman, si tu l’aimes toujours, ne faut-il pas qu’elle soit fière de toi quand tu la reverras... car on la retrouvera, je le crois, j’en suis sûre...
— Oh! oui, n’est-ce pas? on la retrouvera! dit Adallah en se rapprochant de Suzanne.
— Oui, reprit Suzanne, et, ce jour-là, ne devrons-nous pas lui rendre une petite fille bonne, douce, obéissante, instruite, et non une vilaine paresseuse qui n’aura rien voulu apprendre? Tiens! tu me demandais pourquoi il faut s’instruire? maintenant tu vas le comprendre: dès que ta pauvre mère sera retrouvée, quelle sera sa première pensée? avoir des nouvelles de sa fille, correspondre avec elle, et comment correspond-on? en écrivant. Donc elle t’écrira. Et alors, si tu ne sais pas lire, tu ne pourras pas savoir ce qu’elle t’écrit! Si tu ne sais pas écrire, tu ne pourras pas lui répondre! Vois combien tu serais malheureuse!... En supposant que tu saches lire et écrire, si tu ne mets pas l’orthographe, elle aura peine à te comprendre; si tu ne sais pas le calcul, tu ne pourras pas te rendre compte de la distance qui l’éloigne de toi; si tu ne sais pas la géographie, tu ignoreras dans quel pays, dans quelle contrée elle se trouve!... Comprends-tu à présent pourquoi il faut s’instruire?
Le moyen dont venait de se servir Suzanne de Sannois était douloureusement violent, mais il devait être d’un effet irrésistible.
Adallah resta pensive, muette, les sourcils légèrement froncés sous la tension de sa volonté, puis elle leva la tête, passa ses bras au cou de Suzanne et, approchant son visage du sien, elle lui donna un long baiser; puis, bas à l’oreille, elle lui dit, toute grave, toute sérieuse:
— J’ai compris!...