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IV

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Ainsi fut ralenti, dès le premier tiers du XIIIe siècle, l'élan lyrique du génie méridional. Après avoir prodigué les plus brillantes promesses d'une Renaissance, la littérature de langue d'oc dut se contenter désormais des jeux du bel esprit, des subtilités de la métrique, ou de l'imitation des ouvrages de langue d'oïl[7]. Elle revint aux compositions édifiantes, aux légendes évangéliques, aux Vies des saints[8].

Ce déclin rapide n'a-t-il eu d'autre cause que la ruine politique et l'asservissement religieux du Midi? Simon de Montfort et l'Inquisition sont-ils seuls responsables de ce premier avortement de la Renaissance? Il est permis d'en douter. L'Italie, qui fut visitée plus d'une fois, du temps de Barberousse à celui de Charles-Quint, par des calamités bien aussi grandes, a pu poursuivre, sans trouble apparent, son œuvre intellectuelle. Le rapprochement des deux contrées et des deux civilisations fait assez voir ce qui a manqué d'abord à la France provençale. Elle a eu les défauts de ses rares qualités: lyrique, c'est-à-dire enthousiaste, émue, elle a retrouvé la poésie du cœur, intime et impétueuse, la poésie des âmes qui se replient sur elles-mêmes ou s'emportent jusqu'aux extrémités d'une passion, mais ne s'éprennent ou ne jouissent que d'elles-mêmes, et que la douleur ou la joie où elles se complaisent empêchent de prendre une vue paisible et claire de la vie. L'égoïsme des lyriques est peu favorable à la fécondité de l'esprit, qui ne sort pas assez souvent de soi-même pour s'attacher aux choses extérieures et s'abandonner à cette contemplation désintéressée sans laquelle la plupart des arts ne sauraient fleurir. Certes, je ne reprocherai pas aux troubadours de s'être contentés d'une culture assez médiocre, d'avoir négligé le latin, de s'être tenus, pour la connaissance de l'antiquité, aux maximes d'Ovide que les Florilegia leur enseignaient. Le Midi ne renfermait pas alors de grandes écoles comparables à l'Université de Paris, et la gaie science était pour ces chanteurs plus séduisante que la science. Mais il faut bien remarquer qu'au siècle de sa plus sincère originalité la littérature méridionale n'a jeté d'éclat que dans une seule direction: ni les souvenirs de l'époque carlovingienne, ni l'entraînement de la croisade n'éveillèrent en elle le génie épique. Le roman de Girart de Rossilho est une œuvre très-distinguée, mais isolée et accidentelle[9]. La Chanson de la Croisade albigeoise est l'ouvrage de deux écrivains: le premier, d'âme vulgaire, et qui semble approuver la croisade; le second, patriote ardent, qui la condamne; et le poëme, écrit en deux langues et en deux mètres différents, n'est pas terminé[10]. Les romans du XIIIe siècle, tels que Jaufre et Flamenca, ont l'invention pauvre et la composition traînante[11]. Les Provençaux, dont les sirventes sont traversés par un tel souffle satirique, sont décidément inférieurs aux Français du Nord pour la peinture railleuse de la société, comme ils l'ont été dans le récit des choses héroïques.

Enfin, on aperçoit une raison plus forte encore d'impuissance dans l'état moral qui provoqua l'entreprise apostolique à laquelle le Midi succomba. Ce pays avait grandi trop vite, et, de même qu'il s'était en partie affranchi de la tutelle féodale, il se détachait visiblement, à la fin du XIIe siècle, non-seulement de l'Église, mais du christianisme. Du même coup, il s'isolait de la chrétienté tout entière. Trois grands courants d'incrédulité ou d'hérésie l'entraînaient en des sens divers fort loin des croyances et des idées de l'Occident: le manichéisme, qui avait ses communautés à Toulouse, à Albi, à Carcassonne, et qui tint en 1167, près de Toulouse, un concile présidé par un Byzantin[12]; le rationalisme des Vaudois, dont la morale inoffensive se répandait de tous côtés depuis l'an 1100, sous la forme de poëmes en langue vulgaire[13]; l'averroïsme, cette terreur du moyen âge, que les Juifs, chassés d'Espagne par les Almohades, semaient partout en Languedoc et en Provence. L'école de Maimonide agitait les synagogues de Provence, maudite par Montpellier, défendue par Narbonne; pendant tout le XIIIe siècle encore, les Juifs de Marseille, d'Arles, de Toulon, de Lunel, seront au nombre des plus savants commentateurs ou traducteurs d'Averroès[14]. Ces doctrines étranges pouvaient-elles s'imposer à une nation de tradition et de langue latines, au point de la réduire à l'état de secte singulière? Elles pouvaient tout au moins pénétrer assez profondément les âmes pour en modifier le génie et leur imprimer certaines habitudes de la pensée ou certaines répulsions du goût funestes à une Renaissance méridionale. Les tendances iconoclastes du manichéisme n'étaient pas faites pour encourager les arts beaucoup plus que la froide austérité des Vaudois, et l'influence sémitique sortie des écoles averroïstes n'eût point été favorable à un retour des lettrés vers la culture grecque. En réalité, la Renaissance et la Réforme étaient, dès cette époque, deux œuvres contradictoires: en Italie même, elles n'ont jamais pu se concilier; Savonarole a souffert le martyre pour avoir tenté dans Florence, vingt ans avant Luther, de renouveler le christianisme. On verra plus loin que, dans la première période de son développement, la Renaissance demeura rigoureusement fidèle à la vieille foi: ses premières années, son adolescence même, mûrirent sous le manteau de l'Église; et plus tard, quand l'incrédulité philosophique et les mœurs païennes eurent détourné ses écrivains, ses hommes d'État—j'allais dire ses papes—de l'antique christianisme, l'orthodoxie de la société demeura toujours apparente, et les arts, alors dans tout leur éclat, ne rejetèrent jamais l'inspiration et les formes religieuses du passé. Notre Midi du XIIIe siècle, troublé dans sa conscience, solitaire au milieu de l'Occident chrétien, encore privé de la pure lumière de l'antiquité, avec ses croyances trop tôt vieillies et sa raison encore enfantine, ne pouvait rien tenter de durable ou de grand pour l'esprit humain.

Les origines de la Renaissance en Italie

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