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Saint François d'Assise et sa descendance apostolique, qui dominent dans cette tradition, représentent bien la conscience religieuse de l'Italie. Si l'ordre des franciscains a eu, dans la péninsule, une étonnante popularité, s'il a, pour ainsi dire, formé une Église dans l'Église, c'est qu'il répondait aux aspirations profondes de tout un peuple. Échapper à la prise étroite de l'autorité sacerdotale; aller droit à Dieu et converser familièrement avec lui, face à face; goûter librement, avec plus de tendresse que de terreur, les choses éternelles et s'endormir dans une paix enfantine sur le cœur du Christ, telle fut l'œuvre de saint François. Il sut accomplir ce miracle, plus singulier que la conversion du loup très-féroce de Gubbio, de revenir, sans schisme, à la simplicité de l'âge évangélique, et, dans l'enceinte même de l'Église romaine, de permettre au fidèle d'être, sans hérésie, son propre prêtre et l'artisan de sa foi. La révélation du pénitent d'Assise est fondée sur cette doctrine, conforme au christianisme originel, qu'aux yeux de Dieu toutes créatures sont égales, qu'il n'y a point de hiérarchie dans l'ordre des âmes, et que, ainsi qu'il est écrit dans les Fioretti[83], «toutes vertus et tous biens sont de Dieu et non de la créature; nulle personne ne doit se glorifier en sa présence; mais si quelqu'un se glorifie, qu'il se glorifie dans le Seigneur.» Y a-t-il un culte meilleur que l'élan spontané de l'âme vers Dieu, et le dialogue intime qui s'échange entre le père et ses enfants? «Saint François était une fois, au commencement de son ordre, avec frère Léon, dans un couvent où ils n'avaient pas de livres pour dire l'office divin. Quand vint l'heure de matines, saint François dit à saint Léon: «Mon bien-aimé, nous n'avons pas de bréviaire avec lequel nous puissions dire matines; mais, afin d'employer le temps à louer Dieu, je parlerai et tu me répondras comme je t'enseignerai[84].»

S'il eut l'esprit libre, c'est que l'amour possédait son cœur. Ses poésies, comme sa vie, ne sont qu'un chant d'amour:

In foco l'amor mi mise;

il est dans la fournaise, il se meurt de douceur. A force d'amour, il chancelle comme un homme ivre, il rêve comme un fou[85]. Jésus lui a volé son cœur: «O doux Jésus! dans tes embrassements donne-moi la mort, mon amour.» «Mon cœur se fond, ô amour, amour, flamme de l'amour[86]!» Il ne fait plus qu'un avec le Sauveur, dont les stigmates sont marqués sur ses mains et sur ses pieds; comme lui, il a ses témoins, ses apôtres qui vont porter dans toute l'Italie et jusqu'au bout du monde la bonne nouvelle d'Assise. «Le Christ, disent les franciscains, n'a rien fait que François n'ait fait, et François a fait plus que le Christ[87].» Les âmes italiennes, auxquelles il a ouvert un champ infini de mysticisme, attendent sans angoisse, à l'ombre même de l'Église, la rénovation de l'Église.

L'espérance d'une troisième loi religieuse, la loi de l'Esprit et de l'Amour, qui devait remplacer la loi du Père et celle du Fils, ou du Verbe, charma les songes du XIIIe siècle italien. La famille spirituelle de saint François parlait de tous côtés d'un Évangile nouveau, l'Évangile éternel, dont un prophète, un moine cistercien, l'abbé Joachim de Flore, avait, disait-on, reçu en Calabre la révélation, à la fin du XIIe siècle. Cette doctrine mystérieuse, complaisamment tirée des ouvrages de Joachim, adoptée par le général des Mineurs Jean de Parme, reçut sa formule définitive dans l'Introduction de Gérard de Borgo San Donnino, en 1254. Les temps semblaient très-proches. L'Église du Christ, l'ordre clérical, le Saint-Siége de Rome devaient tomber en 1260[88]; la pure vie contemplative, le règne des moines, l'ère du Saint-Esprit commençaient alors. Des trois âges religieux de l'humanité, «le premier a été le temps de l'esclavage, le second le temps de la servitude filiale, le troisième sera le temps de la liberté... Le premier portait des orties, le second des roses, le troisième portera des lis.» La religion franciscaine, à laquelle Joachim n'avait guère songé, semblait sur le point de remplacer la religion chrétienne. L'Université de Paris s'émut, Rome condamna la doctrine nouvelle, mais ne frappa de persécution que Gérard et un autre moine. Jean de Parme, déchu, se retira dans la solitude, fidèle jusqu'à la fin à l'Évangile éternel, ou plutôt aux espérances généreuses dont s'était enchantée l'Italie de saint François. Les papes lui pardonnèrent, et il faillit devenir cardinal longtemps après 1260. L'Église le mit à côté de Jacopone, au rang des Bienheureux. Et Dante plaça dans son Paradis le «prophète Joachim»:

Il calavrese abate Giovacchino,

Di spirito profetico dotato[89].

La prédication de l'Évangile éternel se perpétua longtemps sous bien des formes, au milieu de ce peuple que son génie portait à vivifier la foi religieuse par la passion de la liberté[90].

Les origines de la Renaissance en Italie

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