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Chronique des Arts et de la Curiosité. 17 octobre 1869.

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Enfin la liste civile a parlé.

Dans un communiqué qu’elle nous a adressé en la personne du Journal des Débats, elle a reconnu que les dessins des princes de la maison royale de France étaient perdus. Ce premier point établi, elle s’est efforcée d’amoindrir l’importance du fait en déclarant ces dessins insignifiants, et de décliner toute responsabilité en reportant la perte desdits dessins au delà du 12 décembre 1852, c’est-à-dire avant la création de la liste civile, et alors que les musées étaient encore sous la dépendance directe de l’État. Puis le communiqué nous a appris que l’incurie dont M. Horace de Viel-Castel s’était rendu coupable en cette circonstance n’avait pas été sans influence sur la démission imposée à ce conservateur du Musée des souverains.

Nous nous garderons bien de contredire les assertions habilement disposées d’un communiqué fait pour amener le public à penser que la liste civile est une gardienne aussi jalouse que l’État des objets confiés à sa garde. Nous voulons seulement placer ici quelques réflexions et rappeler plusieurs faits oubliés qui jetteront peut-être un peu de lumière sur certains passages obscurs du communiqué.

Si ces dessins de princes étaient sans importance aux yeux des administrateurs du Louvre, pourquoi les avoir distraits de la Bibliothèque nationale, chargée de conserver tous les documents qui lui sont confiés, même les plus médiocres; et pourquoi les avoir transportés au Louvre, où ne sont réunies que les œuvres d’une valeur reconnue? Si ces dessins ont été perdus par incurie, du 15 juillet au 12 décembre 1852, pourquoi la liste civile a-t-elle laissé répéter pendant trois semaines, et cela par beaucoup de journaux sérieux, que ces exemplaires uniques avaient été donnés plus récemment à des princes étrangers? Remarquons en passant que, pour anéantir cette affirmation, on a cru devoir dire que la perte de ces dessins avait précédé la création de la liste civile, sans penser que l’argument ne faisait pas l’éloge de la dictature du prince-président et d’une administration dont le directeur, aujourd’hui surintendant des Beaux-Arts, a trop conservé les traditions de cette époque. Comme preuve, on nous dit que ces dessins princiers n’ont, dans aucun temps, figuré sur les inventaires de la dotation mobilière, dressés en exécution du sénatus-consulte du 12 décembre 1852. Mais pour que cette argumentation ait quelque valeur, il faudrait, — ce qui n’est pas, — que les inventaires qui devaient être dressés au lendemain du 12 décembre 1852 fussent au moins terminés en 1869. Ou bien, alors, qu’on nous laisse déclarer, en usant de la même logique, que tous les objets ne figurant pas à l’heure présente sur les inventaires de la couronne ne font point partie de la liste civile. Le Louvre y perdra nombre de chefs-d’œuvre, l’État se trouvera en possession d’un très-riche musée, et notre désir, d’accord avec le sentiment public, sera satisfait.

Mais n’insistons pas davantage. Le communiqué veut que les dessins aient été perdus antérieurement au 12 décembre 1852; nous le croyons sur parole sans demander, à l’appui, des preuves qu’on pourrait contester. Nous admettons aussi — puisqu’on l’affirme — que cette perte n’a pas été sans influence sur la décision qui a retiré à M. Horace de Viel-Castel l’emploi de conservateur qu’il remplissait si mal. Seulement il nous est bien permis de nous étonner que cette mesure ait été ajournée pendant onze ans, et qu’elle ait été prise brusquement et immédiatement après la publication d’un article qui eut du retentissement. En 1863, des artistes adressent une pétition à M. le surintendant pour obtenir des modifications au règlement des expositions.

M. Horace de Viel-Castel croit qu’il y aurait en effet quelque chose à faire dans ce sens, et il ose publier ses idées de réforme. Son article paraît le 11 mars 1863 dans le journal la France; le 12, il reçoit sa démission, et le 14 mars un décret appelle M. Barbet de Jouy à le remplacer. Nous pouvons nous dispenser de conclure. Ce simple exposé et ces rapprochements singuliers permettront à chacun d’apprécier jusqu’à quel point la perte des dessins princiers a pesé sur la démission de M. Horace de Viel-Castel.

Les questions de faits épuisées, examinons si réellement la liste civile est une gardienne aussi sûre que l’État des objets confiés à sa garde. Nous n’avons pas accusé l’administration des beaux-arts de veiller, dans les salles du Louvre, avec moins de sollicitude sur ses trésors que l’État sur ses richesses; nous n’avons point dit que ses collections étaient plus exposées dans le Louvre que celles de l’État aux détournements, et jamais nous n’avons songé à lui reprocher les avaries et les détériorations causées par l’obligation inévitable de satisfaire aux exigences d’un service public. Mais ces risques de détournements et de dégâts qui menacent tout objet d’art placé dans un musée sont-ils les seuls que nous ayons à redouter pour les chefs-d’œuvre concédés à la liste civile? Assurément non. Indépendamment des périls communs à toutes les œuvres exposées dans un dépôt public, ils encourent ceux bien autrement graves créés, suivant la doctrine administrative, par l’usufruit qui les frappe au bénéfice de la couronne et au détriment du public.

Était-ce pour un service public ou pour un avantage spécial à la liste civile que des œuvres d’art ont couru des dangers:

Lorsqu’on a distrait du Louvre de nombreux tableaux de l’école française pour les placer dans les appartements de Fontainebleau;

Lorsqu’on a enlevé des galeries du Louvre d’admirables œuvres de van Dyck pour les suspendre dans l’appartement destiné à la reine Victoria;

Lorsqu’on a fait disparaître du Louvre une Sainte Famille de Murillo, pour en orner un oratoire de Saint-Cloud;

Lorsqu’on a décroché vingt-sept tableaux du Louvre pour en parer les salons d’un Cercle;

Lorsque, sous les galeries qui contiennent nos plus précieux chefs-d’œuvre, on a installé, pour les besoins particuliers de la Couronne, des écuries, des magasins à fourrages, une maréchalerie,... et cela en violation dé la loi du 1er décembre 1794?

Après de tels faits, auxquels il nous serait facile d’en ajouter d’autres, qui oserait avancer encore que «la liste civile est une gardienne aussi sûre que l’État des objets confiés à sa garde? Il ne peut y avoir deux avis sur ce point; c’est pourquoi nous n’hésitons pas à affirmer notre sentiment et à dire:

Aussi longtemps que l’administration des beaux-arts prétendra avoir la libre disposition des œuvres d’art conservées dans nos musées et la faculté de les promener de palais en palais loin de la surveillance des conservateurs du Louvre;

Aussi longtemps que, contrairement au bon sens, à l’esprit et au texte de l’article 5 de la Constitution, elle se refusera à établir une distinction absolue entre les objets d’art meublants destinés à orner les palais, et les œuvres d’art placées dans les musées à titre de dépôt définitif et sacré ;

Aussi longtemps que la gestion de nos musées nationaux, et des tableaux, sculptures et objets d’art affectés à la décoration des palais, ne sera pas confiée à deux administrations distinctes s’opposant à des confusions déplorables, nous combattrons sans nous lasser pour soutenir les droits de l’État, les droits de tous contre les empiétements croissants de la liste civile.

Études critiques sur l'administration des beaux-arts en France de 1860 à 1870

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