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LES TABLEAUX INCENDIÉS AU LUXEMBOURG ET LES TABLEAUX DU LOUVRE AU CERCLE IMPÉRIAL

Table des matières

I.

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Chronique des Arts et de la Curiosité. 3 janvier 1869.

Le public s’est vivement ému d’une nouvelle qui était bien faite, à vrai dire, pour l’émouvoir vivement.

Plusieurs journaux, légers ou graves, ont annoncé que le feu ayant éclaté naguère chez M. le président Troplong, au Petit-Luxembourg, deux tableaux faisant partie du musée du Louvre auraient été brûlés, pendant que vingt autres de la même provenance échappaient à l’incendie. On a dit ensuite, et nous ne pouvons le répéter sans étonnement, qu’une trentaine de tableaux du Louvre ornaient en ce moment les salons du Cercle impérial.

Ces deux nouvelles, déjà grosses, sont devenues énormes en l’absence de tout renseignement officiel ou officieux qui vînt les atténuer ou les démentir. Après un mutisme de plusieurs jours, l’administration a enfin rompu le silence et elle a donné, dans le Constitutionnel, par la plume de M. Ernest Chesneau, dont l’article vient d’être reproduit par le Moniteur, quelques explications qui vont nous permettre de juger ce qu’il y a de vrai dans ces deux nouvelles et ce qu’il y a de légitime dans l’émotion publique.

Sur le premier point, il paraît certain que les tableaux qui ont été détruits par le feu, chez M. Troplong, étaient peu importants, et que, s’ils appartenaient à l’État, ils n’appartenaient pas du moins au musée du Louvre. Or, que l’État, possesseur de tableaux et de meubles, s’en serve pour orner les palais publics et même les demeures affectées aux grands dignitaires, pour notre compte nous n’y trouvons pas trop à redire, du moins tant que ces tableaux n’ont pas été jugés dignes d’entrer dans un musée public qui leur donne une consécration illustre et un caractère inamovible, et aussi à la condition que ces mêmes tableaux n’iront pas orner les appartements intimes, mais seulement les salons de réception.

Sur le second point, nous serons moins accommodant. Les salons du Cercle impérial, bien qu’établis dans une propriété de l’État, se trouvent, par le fait d’une location à une compagnie de particuliers, être devenus une demeure essentiellement privée et interdite au public. Cela étant, il n’existe aucune raison plausible pour y exposer, même provisoirement, des chefs-d’œuvre du Louvre, sous prétexte qu’on ne sait où les loger et qu’il n’est pas mal de les montrer à des grands seigneurs, à des princes, à des souverains, dût-on les ravir à l’admiration du public et à l’étude des artistes. Les travaux de construction que l’on assure avoir nécessité ce déplacement ne sont pas un motif bien sérieux. Que dirait-on si M. l’administrateur de la Bibliothèque impériale, laquelle est aujourd’hui en reconstruction, se fondait sur un motif analogue pour déménager en partie la réserve des imprimés, des estampes, des bronzes ou des médailles, à l’effet d’instruire le Cercle des étrangers, ou d’égayer momentanément le Club des moutards?

Mais, dira-t-on, les tableaux envoyés temporairement, et comme en vacances, au Cercle impérial, valent-ils bien la peine qu’on fasse tant de bruit? On en va juger. Voici la liste de ces tableaux:

1° Jean-Baptiste Weenix: Les Corsaires repoussés. Collection de Louis XIV.

2° Jean Weenix: Port de mer. Musée Napoléon Ier.

3° Paul Bril: Diane et ses nymphes. Ancienne collection.

4° Paul Bril: La Chasse aux canards. Ancienne collection.

5° Albert Cuyp: Marine. Ancienne collection.

6° Jean Weenix: Les Produits de la chasse. Musée Napoléon Ier.

7° Hondekoeter: Des Oiseaux dans un parc. Collection de Louis XVIII. Seul tableau que le Louvre possède de ce maître.

8° Van der Meulen: Entrée de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse à Douai. Collection de Louis XIV.

9° Van der Meulen: Vue du château de Vincennes, côté du parc. Collection de Louis XIV.

10° Snyders: Chiens dans un garde-manger. Ancienne collection.

11° Jan Fyt: Gibier.

12° Huymans: Lisière de forêt. Collection de Louis XVIII.

13° Téniers: Cabaret près d’une rivière. Collection de Louis XVI.

14° Lagrenée: Enlèvement de Déjanire. Collection de Napoléon Ier.

15° Diepenbeck: Portraits d’homme et de femme. Ancienne collection.

16° Joseph Vernet: La Nuit. Collection de Louis XV.

17° Joseph Vernet: Le Matin. Collection de Louis XV.

18° Joseph Vernet: Le Torrent. Ancienne collection.

19° Van der Meulen: Entrée de Louis XIV à Arras. Collection de Louis XIV.

20° Van der Meulen: Vue de la ville de Dinan assiégée par Louis XIV. Collection de Louis XIV.

21° Isaac Ostade: Canal gelé. Collection de Louis XVI.

22° Isaac Ostade: Canal gelé. Collection de Louis XVIII.

23° Lingelbach: Port de mer en Italie. Musée Napoléon Ier.

24° Lingelbach: Marché aux herbes à Rome. Ancienne collection.

25° Wynants: Paysage. Collection de Louis XIV.

26° Jean Steen: Fête flamande dans l’intérieur d’une auberge, seul tableau que possède le Louvre de ce maître. Collection de Louis XVIII.

27° Berghem: Paysage et animaux. Collection de Louis XVI.

Il faut convenir qu’il est bien imprudent, pour ne rien dire de plus, d’exposer des œuvres aussi importantes à tous les dangers qu’elles peuvent courir dans des salons plus fréquentés la nuit que le jour, inondés de lumières, ouverts aux joueurs et aux fumeurs, alors que ces tableaux devraient être dans des palais, ou dans les magasins du Louvre, soumis à une surveillance continuelle, défendus par des murs épais et par des règlements sévères. Là, du moins, ils seraient à leur place, et s’ils étaient menacés de périr par le feu venu des écuries, des maréchaleries ou des logements de palefreniers, qui, malheureusement, se trouvent situés au-dessous de tant de chefs-d’œuvre, ce n’est pas à ceux qui sont chargés de la conservation des tableaux que l’on pourrait s’en prendre.

Et qu’il nous soit permis, à cette occasion, de rappeler que le roi Louis XVIII ayant donné, de par son autorité royale, un tableau de Raphaël au duc de Maillé, pour l’église de Longpont, ce tableau, dont le souvenir était effacé, dont la trace était perdue, passa inaperçu en vente publique quelque vingt ans après, fut adjugé 59 francs, et ne rentra au Louvre que parce que l’acheteur — il se nommait M. Cousin — eut l’idée d’en proposer, en 1837, l’acquisition à l’ancien propriétaire dépossédé contre tous droits, c’est-à-dire au musée du Louvre, qui depuis longtemps n’y songeait plus. Ne peut-on supposer des événements imprévus, des circonstances graves qui, faisant diversion aux idées, même dans l’esprit de l’administration, seraient cause qu’elle perdrait de nouveau la mémoire d’un chef-d’œuvre sorti de ses mains?

Quoi qu’il en soit, et pour conclure, il est nécessaire, il est indispensable que le Cercle impérial restitue au Louvre, et cela dans le plus bref délai, les vingt-sept tableaux qu’il eût été plus sage de n’en pas faire sortir.

II.

Table des matières

Chronique des Arts et de la Curiosité. 10 janvier 1869.

Le second article de M. Ernest Chesneau sur les tableaux du Louvre doit être reproduit et conservé au même titre que le premier. S’il n’a pas été inséré dans le Journal officiel, au moins a-t-il été écrit avec des pièces communiquées par le ministère de la maison de l’Empereur et des Beaux-Arts qui lui donnent une importance particulière et un caractère spécial .

Ce n’est donc pas sans intérêt pour la chose publique que M. Ernest Chesneau établit une distinction entre les 2,000 peintures de la galerie du Louvre et les 8,000 tableaux de la dotation de la Couronne, qui sont disséminés dans les palais de Versailles, du Luxembourg, de Fontainebleau, de Compiègne, de Saint-Cloud, de Meudon, etc...

Avant lui, nous avons reconnu à l’État le droit de placer des tableaux et des sculptures dans les palais publics et les demeures affectées à la résidence des grands dignitaires; à la condition toutefois, disions-nous, que ces œuvres n’aient jamais fait partie d’un musée public, — ce qui leur donne une consécration illustre et un caractère inamovible, — et qu’ils n’iront pas orner les appartements intimes, mais seulement les salons de réception faciles à visiter.

Les vingt-sept tableaux prêtés au Cercle impérial ne font pas partie de la classe des œuvres destinées à décorer les palais. Tous ils appartiennent aux galeries du Louvre; tous ils sont inscrits dans le catalogue des tableaux livrés à l’étude des artistes et à l’admiration du public, et plusieurs comptent parmi les chefs-d’œuvre des écoles hollandaise et flamande. M. Chesneau devrait donc reconnaître avec nous que rien ne peut justifier la présence de ces tableaux dans des salles où ils sont exposés à la chaleur des lampes, à la fumée du tabac, à des risques d’incendie, et où ils se trouvent soustraits à la curiosité légitime du public, à la surveillance et aux soins des conservateurs chargés de les garder.

En vain M. Chesneau, pour excuser ce prêt, invoque le passé. Tout le monde fera une distinction entre des œuvres exposées dans des palais de l’État ouverts au public et où peut s’exercer un droit de contrôle et de surveillance, avec un hôtel devenu, par le fait d’une location, un lieu essentiellement privé et dans lequel ne peuvent pénétrer que les membres du Cercle impérial.

Ces faits, ces discussions montrent assez combien sont défectueux les règlements de nos musées, et combien sont mal définis ou mal connus les droits du public sur nos collections. A une époque où les expositions universelles nous ont appris que le dessin ne peut plus être considéré seulement comme un art d’agrément, mais bien comme une source de richesses pour un pays, il est essentiel que les droits du public sur des œuvres consacrées par leur célébrité à l’enseignement soient nettement formulés. Aussi avons-nous l’intention d’étudier à fond cette grave question que les événements viennent fort à propos de mettre à l’ordre du jour .

Études critiques sur l'administration des beaux-arts en France de 1860 à 1870

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