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Scène 8

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Done Elvire, Don Garcie, Don Alvare.

Done Elvire

Hé bien! que voulez-vous? et quel espoir, de grâce,

Après vos procédés, peut flatter votre audace?

Osez-vous à mes yeux encor vous présenter?

Et que me direz-vous que je doive écouter?

Don Garcie

Que toutes les horreurs dont une âme est capable

À vos déloyautés n’ont rien de comparable,

Que le sort, les démons, et le Ciel en courroux,

N’ont jamais rien produit de si méchant que vous.

Done Elvire

Ah! vraiment j’attendais l’excuse d’un outrage,

Mais à ce que je vois, c’est un autre langage.

Don Garcie

Oui, oui, c’en est un autre; et vous n’attendiez pas

Que j’eusse découvert le traître dans vos bras,

Qu’un funeste hasard par la porte entr’ouverte

Eût offert à mes yeux votre honte et ma perte.

Est-ce l’heureux amant sur ses pas revenu,

Ou quelque autre rival qui m’était inconnu?

Ô Ciel! Donne à mon coeur des forces suffisantes

Pour pouvoir supporter des douleurs si cuisantes!

Rougissez maintenant: vous en avez raison,

Et le masque est levé de votre trahison.

Voilà ce que marquaient les troubles de mon âme:

Ce n’était pas en vain que s’alarmait ma flamme;

Par ces fréquents soupçons, qu’on trouvait odieux,

Je cherchais le malheur qu’ont rencontré mes yeux;

Et malgré tous vos soins et votre adresse à feindre,

Mon astre me disait ce que j’avais à craindre.

Mais ne présumez pas que sans être vengé

Je souffre le dépit de me voir outragé.

Je sais que sur les voeux on n’a point de puissance,

Que l’amour veut partout naître sans dépendance,

Que jamais par la force on n’entra dans un coeur,

Et que toute âme est libre à nommer son vainqueur:

Aussi ne trouverais-je aucun sujet de plainte,

Si pour moi votre bouche avait parlé sans feinte;

Et son arrêt livrant mon espoir à la mort,

Mon coeur n’aurait eu droit de s’en prendre qu’au sort.

Mais d’un aveu trompeur voir ma flamme applaudie,

C’est une trahison, c’est une perfidie,

Qui ne saurait trouver de trop grands châtiments,

Et je puis tout permettre à mes ressentiments.

Non, non, n’espérez rien après un tel outrage:

Je ne suis plus à moi; je suis tout à la rage;

Trahi de tous côtés, mis dans un triste état,

Il faut que mon amour se venge avec éclat,

Qu’ici j’immole tout à ma fureur extrême,

Et que mon désespoir achève par moi-même.

Done Elvire

Assez paisiblement vous a-t-on écouté.

Et pourrai-je à mon tour parler en liberté?

Don Garcie

Et par quels beaux discours que l’artifice inspire…

Done Elvire

Si vous avez encor quelque chose à me dire,

Vous pouvez l’ajouter: je suis prête à l’ouïr;

Sinon, faites au moins que je puisse jouir

De deux ou trois moments de paisible audience.

Don Garcie

Hé bien j’écoute. Ô Ciel, quelle est ma patience!

Done Elvire

Je force ma colère, et veux sans nulle aigreur

Répondre à ce discours si rempli de fureur.

Don Garcie

C’est que vous voyez bien…

Done Elvire

C’est que vous voyez bien… Ah! j’ai prêté l’oreille

Autant qu’il vous a plu: rendez-moi la pareille.

J’admire mon destin, et jamais sous les cieux

Il ne fut rien, je crois, de si prodigieux,

Rien dont la nouveauté soit plus inconcevable,

Et rien que la raison rende moins supportable.

Je me vois un amant qui, sans se rebuter,

Applique tous ses soins à me persécuter,

Qui dans tout cet amour que sa bouche m’exprime

Ne conserve pour moi nul sentiment d’estime.

Rien au fond de ce coeur qu’ont pu blesser mes yeux

Qui fasse droit au sang que j’ai reçu des Cieux,

Et de mes actions défende l’innocence

Contre le moindre effort d’une fausse apparence!

Oui, je vois Ah! surtout ne m’interrompez point.

Je vois, dis-je, mon sort malheureux à ce point,

Qu’un coeur qui dit qu’il m’aime, et qui doit faire croire

Que, quand tout l’univers douterait de ma gloire,

Il voudrait contre tous en être le garant,

Est celui qui s’en fait l’ennemi le plus grand.

On ne voit échapper aux soins que prend sa flamme

Aucune occasion de soupçonner mon âme.

Mais c’est peu des soupçons: il en fait des éclats

Que, sans être blessé, l’amour ne souffre pas.

Loin d’agir en amant, qui, plus que la mort même,

Appréhende toujours d’offenser ce qu’il aime,

Qui se plaint doucement, et cherche avec respect

À pouvoir s’éclaircir de ce qu’il croit suspect,

À toute extrémité dans ses doutes il passe,

Et ce n’est que fureur, qu’injure et que menace.

Cependant aujourd’hui je veux fermer les yeux

Sur tout ce qui devrait me le rendre odieux,

Et lui donner moyen, par une bonté pure,

De tirer son salut d’une nouvelle injure.

Ce grand emportement qu’il m’a fallu souffrir

Part de ce qu’à vos yeux le hasard vient d’offrir:

J’aurais tort de vouloir démentir votre vue,

Et votre âme sans doute a dû paraître émue.

Don Garcie

Et n’est-ce pas…

Done Elvire

Et n’est-ce pas… Encore un peu d’attention,

Et vous allez savoir ma résolution.

Il faut que de nous deux le destin s’accomplisse.

Vous êtes maintenant sur un grand précipice;

Et ce que votre coeur pourra délibérer

Va vous y faire choir, ou bien vous en tirer.

Si, malgré cet objet qui vous a pu surprendre,

Prince, vous me rendez ce que vous devez rendre

Et ne demandez point d’autre preuve que moi

Pour condamner l’erreur du trouble où je vous vois,

Si de vos sentiments la prompte déférence

Veut sur ma seule foi croire mon innocence

Et de tous vos soupçons démentir le crédit

Pour croire aveuglément ce que mon coeur vous dit,

Cette soumission, cette marque d’estime,

Du passé dans ce coeur efface tout le crime:

Je rétracte à l’instant ce qu’un juste courroux

M’a fait dans la chaleur prononcer contre vous;

Et si je puis un jour choisir ma destinée

Sans choquer les devoirs du rang où je suis née,

Mon honneur, satisfait par ce respect soudain,

Promet à votre amour et mes voeux et ma main.

Mais prêtez bien l’oreille à ce que je vais dire:

Si cet offrevi sur vous obtient si peu d’empire,

Que vous me refusiez de me faire entre nous

Un sacrifice entier de vos soupçons jaloux,

S’il ne vous suffit pas de toute l’assurance

Que vous peuvent donner mon coeur et ma naissance,

Et que de votre esprit les ombrages puissants

Forcent mon innocence à convaincre vos sens

Et porter à vos yeux l’éclatant témoignage

D’une vertu sincère à qui l’on fait outrage,

Je suis prête à le faire, et vous serez content;

Mais il vous faut de moi détacher à l’instant,

À mes voeux pour jamais renoncer de vous-même;

Et j’atteste du Ciel la puissance suprême

Que, quoi que le destin puisse ordonner de nous,

Je choisirai plutôt d’être à la mort qu’à vous.

Voilà dans ces deux choix de quoi vous satisfaire:

Avisez maintenant celui qui peut vous plaire.

Don Garcie

Juste Ciel! jamais rien peut-il être inventé

Avec plus d’artifice et de déloyauté?

Tout ce que des enfers la malice étudie

A-t-il rien de si noir que cette perfidie?

Et peut-elle trouver dans toute sa rigueur

Un plus cruel moyen d’embarrasser un coeur?

Ah! que vous savez bien ici contre moi-même,

Ingrate, vous servir de ma faiblesse extrême,

Et ménager pour vous l’effort prodigieux

De ce fatal amour né de vos traîtres yeux!

Parce qu’on est surprise et qu’on manque d’excuse,

D’un offre de pardon on emprunte la ruse.

Votre feinte douceur forge un amusement

Pour divertir l’effet de mon ressentiment,

Et par le noeud subtil du choix qu’elle embarrasse,

Veut soustraire un perfide au coup qui le menace;

Oui, vos dextérités veulent me détourner

D’un éclaircissement qui vous doit condamner;

Et votre âme, feignant une innocence entière,

Ne s’offre à m’en donner une pleine lumière

Qu’à des conditions qu’après d’ardents souhaits

Vous pensez que mon coeur n’acceptera jamais.

Mais vous serez trompée en me croyant surprendre:

Oui, oui, je prétends voir ce qui doit vous défendre,

Et quel fameux prodige, accusant ma fureur,

Peut de ce que j’ai vu justifier l’horreur.

Done Elvire

Songez que par ce choix vous allez vous prescrire

De ne plus rien prétendre au coeur de Done Elvire.

Don Garcie

Soit, je souscris à tout, et mes voeux aussi bien,

En l’état où je suis, ne prétendent plus rien.

Done Elvire

Vous vous repentirez de l’éclat que vous faites.

Don Garcie

Non, non, tous ces discours sont de vaines défaites,

Et c’est moi bien plutôt qui dois vous avertir

Que quelque autre dans peu se pourra repentir;

Le traître, quel qu’il soit, n’aura pas l’avantage

De dérober sa vie à l’effort de ma rage.

Done Elvire

Ah! c’est trop en souffrir, et mon coeur irrité

Ne doit plus conserver une sotte bonté;

Abandonnons l’ingrat à son propre caprice,

Et puisqu’il veut périr, consentons qu’il périsse;

Élise… À cet éclat vous voulez me forcer,

Mais je vous apprendrai que c’est trop m’offenser.

(Élise entre. )

Faites un peu sortir la personne chérie…

Allez, vous m’entendez, dites que je l’en prie.

Don Garcie

Et je puis…

Done Elvire

Et je puis… Attendez, vous serez satisfait.

Élise

Voici de son jaloux sans doute un nouveau trait.

Done Elvire

Prenez garde qu’au moins cette noble colère

Dans la même fierté jusqu’au bout persévère.

Et surtout désormais songez bien à quel prix

Vous avez voulu voir vos soupçons éclaircis.

Voici, grâces au Ciel, ce qui les a fait naître,

Ces soupçons obligeants que l’on me fait paraître.

Voyez bien ce visage, et si de Done Ignès

Vos yeux au même instant n’y connaissent les traits.

Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique)

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