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Scène 3

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Don Garcie, Done Elvire, Done Ignès, Élise.

Don Garcie

Madame, avec quel front faut-il que je m’avance,

Quand je viens vous offrir l’odieuse présence…

Done Elvire

Prince, ne parlons plus de mon ressentiment:

Votre sort dans mon âme a fait du changement,

Et par le triste état où sa rigueur vous jette

Ma colère est éteinte, et notre paix est faite.

Oui, bien que votre amour ait mérité les coups

Que fait sur lui du Ciel éclater le courroux,

Bien que ses noirs soupçons aient offensé ma gloire

Par des indignités qu’on aurait peine à croire,

J’avouerai toutefois que je plains son malheur

Jusqu’à voir nos succès avec quelque douleur,

Que je hais les faveurs de ce fameux service

Lorsqu’on veut de mon coeur lui faire un sacrifice,

Et voudrais bien pouvoir racheter les moments

Où le sort contre vous n’armait que mes serments.

Mais enfin vous savez comme nos destinées

Aux intérêts publics sont toujours enchaînées,

Et que l’ordre des Cieux, pour disposer de moi,

Dans mon frère qui vient me va montrer mon roi.

Cédez comme moi, Prince, à cette violence

Où la grandeur soumet celles de ma naissance;

Et si de votre amour les déplaisirs sont grands,

Qu’il se fasse un secours de la part que j’y prends,

Et ne se serve point contre un coup qui l’étonne

Du pouvoir qu’en ces lieux votre valeur vous donne:

Ce vous serait sans doute un indigne transport

De vouloir dans vos maux lutter contre le sort;

Et lorsque c’est en vain qu’on s’oppose à sa rage,

La soumission prompte est grandeur de courage.

Ne résistez donc point à ses coups éclatants,

Ouvrez les murs d’Astorgue au frère que j’attends,

Laissez-moi rendre aux droits qu’il peut sur moi prétendre

Ce que mon triste coeur a résolu de rendre;

Et ce fatal hommage, où mes voeux sont forcés,

Peut-être n’ira pas si loin que vous pensez.

Don Garcie

C’est faire voir, Madame, une bonté trop rare,

Que vouloir adoucir le coup qu’on me prépare:

Sur moi sans de tels soins vous pouvez laisser choir

Le foudre rigoureux de tout votre devoir.

En l’état où je suis je n’ai rien à vous dire:

J’ai mérité du sort tout ce qu’il a de pire;

Et je sais, quelques maux qu’il me faille endurer,

Que je me suis ôté le droit d’en murmurer.

Par où pourrais-je, hélas! dans ma vaste disgrâce,

Vers vous de quelque plainte autoriser l’audace?

Mon amour s’est rendu mille fois odieux;

Il n’a fait qu’outrager vos attraits glorieux;

Et lorsque par un juste et fameux sacrifice

Mon bras à votre sang cherche à rendre un service,

Mon astre m’abandonne au déplaisir fatal

De me voir prévenu par le bras d’un rival.

Madame, après cela je n’ai rien à prétendre,

Je suis digne du coup que l’on me fait attendre,

Et je le vois venir sans oser contre lui

Tenter de votre coeur le favorable appui.

Ce qui peut me rester dans mon malheur extrême,

C’est de chercher alors mon remède en moi-même,

Et faire que ma mort, propice à mes désirs,

Affranchisse mon coeur de tous ses déplaisirs.

Oui, bientôt dans ces lieux Don Alphonse doit être,

Et déjà mon rival commence de paraître;

De Léon vers ces murs il semble avoir volé,

Pour recevoir le prix du tyran immolé.

Ne craignez point du tout qu’aucune résistance

Fasse valoir ici ce que j’ai de puissance:

Il n’est effort humain que pour vous conserver,

Si vous y consentiez, je ne pusse braver;

Mais ce n’est pas à moi, dont on hait la mémoire,

À pouvoir espérer cet aveu plein de gloire;

Et je ne voudrais pas, par des efforts trop vains,

Jeter le moindre obstacle à vos justes desseins.

Non, je ne contrains point vos sentiments, Madame:

Je vais en liberté laisser toute votre âme,

Ouvrir les murs d’Astorgue à cet heureux vainqueur,

Et subir de mon sort la dernière rigueur.

Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique)

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