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Scène 9

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Don Garcie, Done Elvire, Done Ignès, Don Alvare, Élise.

Don Garcie

Ô Ciel!

Done Elvire

Ô Ciel! Si la fureur dont votre âme est émue

Vous trouble jusque-là l’usage de la vue,

Vous avez d’autres yeux à pouvoir consulter

Qui ne vous laisseront aucun lieu de douter.

Sa mort est une adresse au besoin inventée,

Pour fuir l’autorité qui l’a persécutée;

Et sous un tel habit, elle cachait son sort,

Pour mieux jouir du fruit de cette feinte mort.

Madame, pardonnez, s’il faut que je consente

À trahir vos secrets et tromper votre attente:

Je me vois exposée à sa témérité;

Toutes mes actions n’ont plus de liberté;

Et mon honneur en butte aux soupçons qu’il peut prendre

Est réduit à toute heure aux soins de se défendre.

Nos doux embrassements, qu’a surpris ce jaloux,

De cent indignités m’ont fait souffrir les coups.

Oui, voilà le sujet d’une fureur si prompte,

Et l’assuré témoin qu’on produit de ma honte.

Jouissez à cette heure en tyran absolu

De l’éclaircissement que vous avez voulu;

Mais sachez que j’aurai sans cesse la mémoire

De l’outrage sanglant qu’on a fait à ma gloire;

Et si je puis jamais oublier mes serments,

Tombent sur moi du Ciel les plus grands châtiments!

Qu’un tonnerre éclatant mette ma tête en poudre,

Lorsqu’à souffrir vos feux je pourrai me résoudre!

Allons, Madame, allons, ôtons-nous de ces lieux,

Qu’infectent les regards d’un monstre furieux;

Fuyons-en promptement l’atteinte envenimée,

Évitons les effets de sa rage animée,

Et ne faisons des voeux, dans nos justes desseins,

Que pour nous voir bientôt affranchir de ses mains.

Done Ignès

Seigneur, de vos soupçons l’injuste violence

À la même vertu vient de faire une offense.

Don Garcie

Quelles tristes clartés dissipent mon erreur,

Enveloppent mes sens d’une profonde horreur,

Et ne laissent plus voir à mon âme abattue

Que l’effroyable objet d’un remords qui me tue!

Ah! Don Alvar, je vois que vous avez raison;

Mais l’enfer dans mon coeur a soufflé son poison;

Et par un trait fatal d’une rigueur extrême,

Mon plus grand ennemi se rencontre en moi-même.

Que me sert-il d’aimer du plus ardent amour

Qu’une âme consumée ait jamais mis au jour,

Si par ses mouvements, qui font toute ma peine,

Cet amour à tous coups se rend digne de haine?

Il faut, il faut venger par mon juste trépas

L’outrage que j’ai fait à ses divins appas.

Aussi bien quel conseil aujourd’hui puis-je suivre?

Ah! j’ai perdu l’objet pour qui j’aimais à vivre:

Si j’ai pu renoncer à l’espoir de ses voeux,

Renoncer à la vie est beaucoup moins fâcheux.

Don Alvare

Seigneur…

Don Garcie

Seigneur… Non, Don Alvar, ma mort est nécessaire:

Il n’est soins ni raisons qui m’en puissent distraire.

Mais il faut que mon sort en se précipitant

Rende à cette Princesse un service éclatant;

Et je veux me chercher dans cette illustre envie

Les moyens glorieux de sortir de la vie,

Faire par un grand coup, qui signale ma foi,

Qu’en expirant pour elle, elle ait regret à moi,

Et qu’elle puisse dire, en se voyant vengée:

C’est par son trop d’amour qu’il m’avait outragée.

Il faut que de ma main un illustre attentat

Porte une mort trop due au sein de Mauregat,

Que j’aille prévenir par une belle audace

Le coup dont la Castille avec bruit le menace;

Et j’aurai des douceurs dans mon instant fatal

De ravir cette gloire à l’espoir d’un rival.

Don Alvare

Un service, Seigneur, de cette conséquence

Aurait bien le pouvoir d’effacer votre offense;

Mais hasarder…

Don Garcie

Mais hasarder… Allons par un juste devoir

Faire à ce noble effort servir mon désespoir.

Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique)

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