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Scène 5

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Don Sylve, Done Elvire, Done Ignès.

Done Elvire

Avant que vous parliez, je demande instamment

Que vous daigniez, Seigneur, m’écouter un moment.

Déjà la renommée a jusqu’à nos oreilles

Porté de votre bras les soudaines merveilles;

Et j’admire avec tous comme en si peu de temps

Il donne à nos destins ces succès éclatants.

Je sais bien qu’un bienfait de cette conséquence

Ne saurait demander trop de reconnaissance,

Et qu’on doit toute chose à l’exploit immortel

Qui replace mon frère au trône paternel.

Mais quoi que de son coeur vous offrent les hommages,

Usez en généreux de tous vos avantages,

Et ne permettez pas que ce coup glorieux

Jette sur moi, Seigneur, un joug impérieux,

Que votre amour, qui sait quel intérêt m’anime,

S’obstine à triompher d’un refus légitime,

Et veuille que ce frère, où l’on va m’exposer,

Commence d’être roi pour me tyranniser.

Léon a d’autres prix, dont en cette occurrence

Il peut mieux honorer votre haute vaillance;

Et c’est à vos vertus faire un présent trop bas,

Que vous donner un coeur qui ne se donne pas.

Peut-on être jamais satisfait en soi-même,

Lorsque par la contrainte on obtient ce qu’on aime?

C’est un triste avantage, et l’amant généreux

À ces conditions refuse d’être heureux;

Il ne veut rien devoir à cette violence

Qu’exercent sur nos coeurs les droits de la naissance,

Et pour l’objet qu’il aime est toujours trop zélé,

Pour souffrir qu’en victime il lui soit immolé.

Ce n’est pas que ce coeur au mérite d’un autre

Prétende réserver ce qu’il refuse au vôtre:

Non, Seigneur, j’en réponds, et vous donne ma foi

Que personne jamais n’aura pouvoir sur moi,

Qu’une sainte retraite à toute autre poursuite…

Don Sylve

J’ai de votre discours assez souffert la suite,

Madame; et par deux mots je vous l’eusse épargné,

Si votre fausse alarme eût sur vous moins gagné.

Je sais qu’un bruit commun, qui partout se fait croire,

De la mort du tyran me veut donner la gloire;

Mais le seul peuple enfin, comme on nous fait savoir,

Laissant par Don Louis échauffer son devoir,

A remporté l’honneur de cet acte héroïque

Dont mon nom est chargé par la rumeur publique;

Et ce qui d’un tel bruit a fourni le sujet,

C’est que, pour appuyer son illustre projet,

Don Louis fit semer, par une feinte utile,

Que, secondé des miens, j’avais saisi la ville;

Et par cette nouvelle, il a poussé les bras

Qui d’un usurpateur ont hâté le trépas:

Par son zèle prudent il a su tout conduire,

Et c’est par un des siens qu’il vient de m’en instruire.

Mais dans le même instant un secret m’est appris,

Qui va vous étonner autant qu’il m’a surpris.

Vous attendez un frère, et Léon son vrai maître:

À vos yeux maintenant le Ciel le fait paraître.

Oui, je suis Don Alphonse, et mon sort conservé,

Et sous le nom du sang de Castille élevé,

Est un fameux effet de l’amitié sincère

Qui fut entre son Prince et le Roi notre père:

Don Louis du secret a toutes les clartés,

Et doit aux yeux de tous prouver ces vérités.

D’autres soins maintenant occupent ma pensée,

Non qu’à votre sujet elle soit traversée,

Que ma flamme querelle un tel événement

Et qu’en mon coeur le frère importune l’amant:

Mes feux par ce secret ont reçu sans murmure

Le changement qu’en eux a prescrit la nature;

Et le sang qui nous joint m’a si bien détaché

De l’amour dont pour vous mon coeur était touché,

Qu’il ne respire plus, pour faveur souveraine,

Que les chères douceurs de sa première chaîne

Et le moyen de rendre à l’adorable Ignès

Ce que de ses bontés a mérité l’excès.

Mais son sort incertain rend le mien misérable,

Et si ce qu’on en dit se trouvait véritable,

En vain Léon m’appelle et le trône m’attend:

La couronne n’a rien à me rendre content,

Et je n’en veux l’éclat que pour goûter la joie

D’en couronner l’objet où le Ciel me renvoie,

Et pouvoir réparer par ces justes tributs

L’outrage que j’ai fait à ses rares vertus.

Madame, c’est de vous que j’ai raison d’attendre

Ce que de son destin mon âme peut apprendre:

Instruisez-m’en, de grâce, et par votre discours

Hâtez mon désespoir ou le bien de mes jours.

Done Elvire

Ne vous étonnez pas si je tarde à répondre,

Seigneur: ces nouveautés ont droit de me confondre.

Je n’entreprendrai point de dire à votre amour

Si Done Ignès est morte ou respire le jour;

Mais par ce cavalier, l’un de ses plus fidèles,

Vous en pourrez sans doute apprendre des nouvelles.

Don Sylve ou Don Alphonse

Ah! Madame, il m’est doux en ces perplexités

De voir ici briller vos célestes beautés,

Mais vous avec quels yeux verrez-vous un volage,

Dont le crime…

Done Ignès

Dont le crime… Ah! gardez de me faire un outrage,

Et de vous hasarder à dire que vers moi

Un coeur dont je fais cas ait pu manquer de foi;

J’en refuse l’idée, et l’excuse me blesse:

Rien n’a pu m’offenser auprès de la Princesse;

Et tout ce que d’ardeur elle vous a causé

Par un si haut mérite est assez excusé.

Cette flamme vers moi ne vous rend point coupable,

Et dans le noble orgueil dont je me sens capable,

Sachez, si vous l’étiez, que ce serait en vain

Que vous présumeriez de fléchir mon dédain,

Et qu’il n’est repentir, ni suprême puissance,

Qui gagnât sur mon coeur d’oublier cette offense.

Done Elvire

Mon frère (d’un tel nom souffrez-moi la douceur),

De quel ravissement comblez-vous une soeur!

Que j’aime votre choix et bénis l’aventure

Qui vous fait couronner une amitié si pure!

Et de deux nobles coeurs que j’aime tendrement

Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique)

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