Читать книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан - Страница 102
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ОглавлениеLe voyage fut une véritable course à la mort.
Lupin, jugeant qu’Octave ne conduisait pas assez vite, avait pris le volant, et c’était une allure désordonnée, vertigineuse. Sur les routes, à travers les villages, dans les rues populeuses des villes, ils marchèrent à cent kilomètres à l’heure. Des gens frôlés hurlaient de rage : le bolide était loin il avait disparu.
– Patron, balbutiait Octave, livide, nous allons y rester.
– Toi, peut-être, l’auto peut-être, mais moi j’arriverai, disait Lupin.
Il avait la sensation que ce n’était pas la voiture qui le transportait, mais lui qui transportait la voiture, et qu’il trouait l’espace par ses propres forces, par sa propre volonté. Alors, quel miracle aurait pu faire qu’il n’arrivât point, puisque ses forces étaient inépuisables, et que sa volonté n’avait pas de limites ?
– J’arriverai parce qu’il faut que j’arrive, répétait-il.
Et il songeait à l’homme qui allait mourir s’il n’arrivait pas à temps pour le sauver, au mystérieux Louis de Malreich, si déconcertant avec son silence obstiné et son visage hermétique. Et dans le tumulte de la route, sous les arbres dont les branches faisaient un bruit de vagues furieuses, parmi le bourdonnement de ses idées, tout de même Lupin s’efforçait d’établir une hypothèse. Et l’hypothèse se précisait peu à peu, logique, invraisemblable, certaine, se disait-il, maintenant qu’il connaissait l’affreuse vérité sur Dolorès, et qu’il entrevoyait toutes les ressources et tous les desseins odieux de cet esprit détraqué.
« Eh oui, c’est elle qui a préparé contre Malreich la plus épouvantable des machinations. Que voulait-elle ? épouser Pierre Leduc dont elle s’était fait aimer, et devenir la souveraine du petit royaume d’où elle avait été bannie. Le but était accessible, à la portée de sa main. Un seul obstacle… moi, moi, qui depuis des semaines et des semaines, inlassablement, lui barrais la route ; moi qu’elle retrouvait après chaque crime, moi dont elle redoutait la clairvoyance, moi qui ne désarmerais pas avant d’avoir découvert le coupable et d’avoir retrouvé les lettres volées à l’Empereur…
« Eh bien ! Puisqu’il me fallait un coupable, le coupable ce serait Louis de Malreich ou plutôt Léon Massier. Qu’est-ce que ce Léon Massier ? L’a-t-elle connu avant son mariage ? L’a-t-elle aimé ? C’est probable, mais sans doute ne le saura-t-on jamais. Ce qui est certain, c’est qu’elle aura été frappée par la ressemblance de taille et d’allure qu’elle-même pouvait obtenir avec Léon Massier, en s’habillant comme lui de vêtements noirs, et en s’affublant d’une perruque blonde. C’est qu’elle aura observé la vie bizarre de cet homme solitaire, ses courses nocturnes, sa façon de marcher dans les rues, et de dépister ceux qui pourraient le suivre. Et c’est en conséquence de ces remarques, et en prévision d’une éventualité possible, qu’elle aura conseillé à M. Kesselbach de gratter sur les registres de l’état civil le nom de Dolorès et de le remplacer par le nom de Louis, afin que les initiales fussent justement celles de Léon Massier.
« Le moment vient d’agir, et voilà qu’elle ourdit son complot, et voilà qu’elle l’exécute. Léon Massier habite la rue Delaizement ? Elle ordonne à ses complices de s’établir dans la rue parallèle. Et c’est elle-même qui m’indique l’adresse du maître d’hôtel Dominique et me met sur la piste des sept bandits, sachant parfaitement que, une fois sur la piste, j’irai jusqu’au bout, c’est-à-dire au-delà des sept bandits, jusqu’à leur chef, jusqu’à l’individu qui les surveille et les dirige, jusqu’à l’homme noir, jusqu’à Léon Massier, jusqu’à Louis de Malreich.
« Et de fait, j’arrive d’abord aux sept bandits. Et alors, que se passera-t-il ? Ou bien je serai vaincu, ou bien nous nous détruirons tous les uns les autres, comme elle a dû l’espérer le soir de la rue des Vignes. Et, dans ces deux cas, Dolorès est débarrassée de moi.
« Mais il advient ceci : c’est moi qui capture les sept bandits. Dolorès s’enfuit de la rue des Vignes. Je la retrouve dans la remise du Brocanteur. Elle me dirige vers Léon Massier, c’est-à-dire vers Louis de Malreich. Je découvre auprès de lui les lettres de l’Empereur, qu’elle-même y a placées, et je le livre à la justice, et je dénonce la communication secrète qu’elle-même a fait ouvrir entre les deux remises, et je donne toutes les preuves qu’elle-même a préparées, et je montre par des documents, qu’elle-même a maquillés, que Léon Massier a volé l’état civil de Léon Massier, et qu’il s’appelle réellement Louis de Malreich.
« Et Louis de Malreich mourra.
« Et Dolorès de Malreich, triomphante, enfin, à l’abri de tout soupçon, puisque le coupable est découvert, affranchie de son passé d’infamies et de crimes, son mari mort, son frère mort, sa sœur morte, ses deux servantes mortes, Steinweg mort, délivrée par moi de ses complices, que je jette tout ficelés entre les mains de Weber ; délivrée d’elle-même enfin par moi, qui fais monter à l’échafaud l’innocent qu’elle substitue à elle-même, Dolorès victorieuse, riche à millions, aimée de Pierre Leduc, Dolorès sera reine. »
– Ah ! s’écria Lupin hors de lui, cet homme ne mourra pas. Je le jure sur ma tête, il ne mourra pas.
– Attention, patron, dit Octave, effaré, nous approchons… C’est la banlieue, les faubourgs…
– Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ?
– Mais nous allons culbuter… Et puis les pavés glissent, on dérape…
– Tant pis.
– Attention… Là-bas…
– Quoi ?
– Un tramway, au virage…
– Qu’il s’arrête !
– Ralentissez, patron.
– Jamais !
– Mais nous sommes fichus…
– On passera.
– On ne passera pas.
– Si.
– Ah ! Nom d’un chien
Un fracas, des exclamations… La voiture avait accroché le tramway, puis, repoussée contre une palissade, avait démoli dix mètres de planches, et, finalement s’était écrasée contre l’angle d’un talus.
– Chauffeur, vous êtes libre ?
C’était Lupin, aplati sur l’herbe du talus, qui hélait un taxi-auto. Il se releva, vit sa voiture brisée, des gens qui s’empressaient autour d’Octave et sauta dans l’auto de louage.
– Au ministère de l’Intérieur, place Beauvau… Vingt francs de pourboire…
Et s’installant au fond du fiacre, il reprit :
– Ah ! Non, il ne mourra pas ! Non, mille fois non, je n’aurai pas ça sur la conscience ! C’est assez d’avoir été le jouet de cette femme et d’être tombé dans le panneau comme un collégien… Halte-là ! Plus de gaffes ! J’ai fait prendre ce malheureux… Je l’ai fait condamner à mort, je l’ai mené au pied même de l’échafaud… Mais il n’y montera pas ! Ça, non ! S’il y montait, je n’aurais plus qu’à me fiche une balle dans la tête !
On approchait de la barrière. Il se pencha :
– Vingt francs de plus, chauffeur, si tu ne t’arrêtes pas.
Et il cria devant l’octroi :
– Service de la Sûreté !
On passa.
– Mais ne ralentis pas, crebleu ! hurla Lupin… Plus vite ! Encore plus vite ! Tu as peur d’écharper les vieilles femmes ? écrase-les donc. Je paie les frais.
En quelques minutes, ils arrivaient au ministère de la place Beauvau. Lupin franchit la cour en hâte et monta les marches de l’escalier d’honneur. L’antichambre était pleine de monde. Il inscrivit sur une feuille de papier : « Prince Sernine », et, poussant un huissier dans un coin, il lui dit :
– C’est moi, Lupin. Tu me reconnais, n’est-ce pas ? Je t’ai procuré cette place, une bonne retraite, hein ? Seulement, tu vas m’introduire tout de suite. Va, passe mon nom. Je ne te demande que ça. Le Président te remerciera, tu peux en être sûr… Moi aussi… Mais marche donc, idiot ! Valenglay m’attend…
Dix secondes après, Valenglay lui-même passait la tête au seuil de son bureau et prononçait :
– Faites entrer « le prince ».
Lupin se précipita, ferma vivement la porte, et, coupant la parole au Président :
– Non, pas de phrases, vous ne pouvez pas m’arrêter… Ce serait vous perdre et compromettre l’Empereur… Non… il ne s’agit pas de ça. Voilà. Malreich est innocent. J’ai découvert le vrai coupable… C’est Dolorès Kesselbach. Elle est morte. Son cadavre est là-bas. J’ai des preuves irrécusables. Le doute n’est pas possible. C’est elle…
Il s’interrompit. Valenglay ne paraissait pas comprendre.
– Mais, voyons, monsieur le Président, il faut sauver Malreich… Pensez donc… une erreur judiciaire !… la tête d’un innocent qui tombe !… Donnez des ordres… un supplément d’information… est-ce que je sais ?… Mais vite, le temps presse.
Valenglay le regarda attentivement, puis s’approcha d’une table, prit un journal et le lui tendit, en soulignant du doigt un article.
Lupin jeta les yeux sur le titre et lut :
L’exécution du monstre. Ce matin, Louis de Malreich a subi le dernier supplice…
Il n’acheva pas. Assommé, anéanti, il s’écroula dans un fauteuil avec un gémissement de désespoir.
Combien de temps resta-t-il ainsi ? Quand il se retrouva dehors, il n’en aurait su rien dire. Il se souvenait d’un grand silence, puis il revoyait Valenglay incliné sur lui et l’aspergeant d’eau froide, et il se rappelait surtout la voix sourde du Président qui chuchotait :
– écoutez… il ne faut rien dire de cela, n’est-ce pas ? Innocent, ça se peut, je ne dis pas le contraire… Mais à quoi bon des révélations ? Un scandale ? Une erreur judiciaire peut avoir de grosses conséquences. Est-ce bien la peine ? Une réhabilitation ? Pour quoi faire ? Il n’a même pas été condamné sous son nom. C’est le nom de Malreich qui est voué à l’exécration publique, précisément le nom de la coupable… Alors ?
Et, poussant peu à peu Lupin vers la porte, il lui avait dit :
– Allez… Retournez là-bas… Faites disparaître le cadavre… Et qu’il n’y ait pas de traces, hein ? Pas la moindre trace de toute cette histoire… Je compte sur vous, n’est-ce pas ?
Et Lupin retournait là-bas. Il y retournait comme un automate, parce qu’on lui avait ordonné d’agir ainsi, et qu’il n’avait plus de volonté par lui-même.
Des heures, il attendit à la gare. Machinalement il mangea, prit son billet et s’installa dans un compartiment.
Il dormit mal, la tête brûlante, avec des cauchemars et avec des intervalles d’éveil confus où il cherchait à comprendre pourquoi Massier ne s’était pas défendu.
« C’était un fou… sûrement… un demi-fou… Il l’a connue autrefois… et elle a empoisonné sa vie… elle l’a détraqué… Alors, autant mourir… Pourquoi se défendre ? »
L’explication ne le satisfaisait qu’à moitié, et il se promettait bien, un jour ou l’autre, d’éclaircir cette énigme et de savoir le rôle exact que Massier avait tenu dans l’existence de Dolorès. Mais qu’importait pour l’instant ! Un seul fait apparaissait nettement : la folie de Massier, et il se répétait avec obstination :
« C’était un fou… ce Massier était certainement fou… D’ailleurs, tous ces Massier, une famille de fous… »
Il délirait, embrouillant les noms, le cerveau affaibli.
Mais, en descendant à la gare de Bruggen, il eut, au grand air frais du matin, un sursaut de conscience. Brusquement les choses prenaient un autre aspect. Et il s’écria :
– Eh ! Tant pis, après tout ! Il n’avait qu’à protester… Je ne suis responsable de rien… c’est lui qui s’est suicidé… Ce n’est qu’un comparse dans l’aventure… Il succombe… Je le regrette… Mais quoi !
Le besoin d’agir l’enivrait de nouveau. Et, bien que blessé, torturé par ce crime dont il se savait malgré tout l’auteur, il regardait cependant vers l’avenir.
« Ce sont les accidents de la guerre. N’y pensons pas. Rien n’est perdu. Au contraire ! Dolorès était l’écueil, puisque Pierre Leduc l’aimait. Dolorès est morte. Donc Pierre Leduc m’appartient. Et il épousera Geneviève, comme je l’ai décidé ! Et il régnera ! Et je serai le maître ! Et l’Europe, l’Europe est à moi ! »
Il s’exaltait, rasséréné, plein d’une confiance subite, tout fiévreux, gesticulant sur la route, faisant des moulinets avec une épée imaginaire, l’épée du chef qui veut, qui ordonne, et qui triomphe.
« Lupin, tu seras roi ! Tu seras roi, Arsène Lupin. »
Au village de Bruggen, il s’informa et apprit que Pierre Leduc avait déjeuné la veille à l’auberge. Depuis, on ne l’avait pas vu.
– Comment, dit Lupin, il n’a pas couché ?
– Non.
– Mais où est-il parti après son déjeuner ?
– Sur la route du château.
Lupin s’en alla, assez étonné. Il avait pourtant prescrit au jeune homme de fermer les portes et de ne plus revenir après le départ des domestiques.
Tout de suite il eut la preuve que Pierre lui avait désobéi : la grille était ouverte.
Il entra, parcourut le château, appela. Aucune réponse.
Soudain, il pensa au chalet. Qui sait ! Pierre Leduc, en peine de celle qu’il aimait, et dirigé par une intuition, avait peut-être cherché de ce côté. Et le cadavre de Dolorès était là !
Très inquiet, Lupin se mit à courir.
À première vue, il ne semblait y avoir personne au chalet.
– Pierre ! Pierre ! cria-t-il.
N’entendant pas de bruit, il pénétra dans le vestibule et dans la chambre qu’il avait occupée.
Il s’arrêta, cloué sur le seuil.
Au-dessus du cadavre de Dolorès, Pierre Leduc pendait, une corde au cou, mort.