Читать книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан - Страница 89
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ОглавлениеÀ huit heures du soir, Arsène Lupin et Doudeville faisaient leur entrée chez Caillard, le restaurant à la mode ; Lupin, serré dans son frac, mais avec le pantalon un peu trop large de l’artiste et la cravate un peu trop lâche ; Doudeville en redingote, la tenue et l’air grave d’un magistrat.
Ils choisirent la partie du restaurant qui est en renfoncement et que deux colonnes séparent de la grande salle.
Un maître d’hôtel, correct et dédaigneux, attendit les ordres, un carnet à la main. Lupin commanda avec une minutie et une recherche de fin gourmet.
– Certes, dit-il, l’ordinaire de la prison était acceptable, mais tout de même ça fait plaisir, un repas soigné.
Il mangea de bon appétit et silencieusement, se contentant parfois de prononcer une courte phrase qui indiquait la suite de ses préoccupations.
– évidemment, ça s’arrangera… mais ce sera dur… Quel adversaire !… Ce qui m’épate, c’est que, après six mois de lutte, je ne sache même pas ce qu’il veut !… Le principal complice est mort, nous touchons au terme de la bataille, et pourtant je ne vois pas plus clair dans son jeu… Que cherche-t-il, le misérable ?… Moi, mon plan est net : mettre la main sur le grand-duché, flanquer sur le trône un grand-duc de ma composition, lui donner Geneviève comme épouse… et régner. Voilà qui est limpide, honnête et loyal. Mais, lui, l’ignoble personnage, cette larve des ténèbres, à quel but veut-il atteindre ?
Il appela :
– Garçon !
Le maître d’hôtel s’approcha.
– Monsieur désire ?
– Les cigares.
Le maître d’hôtel revint et ouvrit plusieurs boîtes.
– Qu’est-ce que vous me conseillez ? dit Lupin.
– Voici des Upman excellents.
Lupin offrit un Upman à Doudeville, en prit un pour lui, et le coupa. Le maître d’hôtel fit flamber une allumette et la présenta. Vivement Lupin lui saisit le poignet.
– Pas un mot… je te connais… tu t’appelles de ton vrai nom Dominique Lecas…
L’homme, qui était gros et fort, voulut se dégager. Il étouffa un cri de douleur. Lupin lui avait tordu le poignet.
– Tu t’appelles Dominique… tu habites rue de la Pompe au quatrième étage, où tu t’es retiré avec une petite fortune acquise au service – mais écoute donc, imbécile, ou je te casse les os – acquise au service du baron Altenheim, chez qui tu étais maître d’hôtel.
L’autre s’immobilisa, le visage blême de peur.
Autour d’eux la petite salle était vide. À côté, dans le restaurant, trois messieurs fumaient, et deux couples devisaient en buvant des liqueurs.
– Tu vois, nous sommes tranquilles… on peut causer.
– Qui êtes-vous ? Qui êtes-vous ?
– Tu ne me remets pas ? Cependant, rappelle-toi ce fameux déjeuner de la villa Dupont… C’est toi-même, vieux larbin, qui m’as offert l’assiette de gâteaux… et quels gâteaux !…
– Le prince… le prince… balbutia l’autre.
– Mais oui, le prince Arsène, le prince Lupin en personne… Ah ! Ah ! Tu respires… tu te dis que tu n’as rien à craindre de Lupin, n’est-ce pas ? Erreur, mon vieux, tu as tout à craindre.
Il tira de sa poche une carte et la lui montra :
– Tiens, regarde, je suis de la police maintenant… Que veux-tu, c’est toujours comme ça que nous finissons… nous autres, les grands seigneurs du vol, les Empereurs du crime.
– Et alors ? reprit le maître d’hôtel, toujours inquiet.
– Alors, réponds à ce client qui t’appelle là-bas, fais ton service et reviens. Surtout, pas de blague, n’essaie pas de te tirer des pattes. J’ai dix agents dehors, qui ont l’œil sur toi. File.
Le maître d’hôtel obéit. Cinq minutes après il était de retour, et, debout devant la table, le dos tourné au restaurant, comme s’il discutait avec des clients sur la qualité de leurs cigares, il disait :
– Eh bien ? De quoi s’agit-il ?
Lupin aligna sur la table quelques billets de cent francs.
– Autant de réponses précises à mes questions, autant de billets.
– Ça colle.
– Je commence. Combien étiez-vous avec le baron Altenheim ?
– Sept, sans me compter.
– Pas davantage ?
– Non. Une fois seulement, on a racolé des ouvriers d’Italie pour faire les souterrains de la villa des Glycines, à Garches.
– Il y avait deux souterrains ?
– Oui, l’un conduisait au pavillon Hortense, l’autre s’amorçait sur le premier et s’ouvrait au-dessous du pavillon de Mme Kesselbach.
– Que voulait-on ?
– Enlever Mme Kesselbach.
– Les deux bonnes, Suzanne et Gertrude, étaient complices ?
– Oui.
– Où sont-elles ?
– À l’étranger.
– Et tes sept compagnons, ceux de la bande Altenheim ?
– Je les ai quittés. Eux, ils continuent.
– Où puis-je les retrouver ?
Dominique hésita. Lupin déplia deux billets de mille francs et dit :
– Tes scrupules t’honorent, Dominique. Il ne te reste plus qu’à t’asseoir dessus et à répondre.
Dominique répondit :
– Vous les retrouverez, 3, route de la Révolte, à Neuilly. L’un d’eux s’appelle le Brocanteur.
– Parfait. Et maintenant, le nom, le vrai nom d’Altenheim ? Tu le connais ?
– Oui. Ribeira.
– Dominique, ça va mal tourner. Ribeira n’était qu’un nom de guerre. Je te demande le vrai nom.
– Parbury.
– Autre nom de guerre.
Le maître d’hôtel hésitait. Lupin déplia trois billets de cent francs.
– Et puis zut ! s’écria l’homme. Après tout il est mort, n’est-ce pas ? Et bien mort.
– Son nom ? dit Lupin.
– Son nom ? Le chevalier de Malreich.
Lupin sauta sur sa chaise.
– Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ? Le chevalier ?… répète… le chevalier ?
– Raoul de Malreich.
Un long silence. Lupin, les yeux fixes, pensait à la folle de Veldenz, morte empoisonnée. Isilda portait ce même nom : Malreich. Et c’était le nom que portait le petit gentilhomme français venu à la cour de Veldenz au XVIIe siècle.
Il reprit :
– De quel pays, ce Malreich ?
– D’origine française, mais né en Allemagne… J’ai aperçu des papiers une fois… C’est comme ça que j’ai appris son nom. Ah ! S’il l’avait su, il m’aurait étranglé, je crois.
Lupin réfléchit et prononça :
– C’est lui qui vous commandait tous ?
– Oui.
– Mais il avait un complice, un associé ?
– Ah ! Taisez-vous… taisez-vous…
La figure du maître d’hôtel exprimait soudain l’anxiété la plus vive. Lupin discerna la même sorte d’effroi, de répulsion qu’il éprouvait lui-même en songeant à l’assassin.
– Qui est-ce ? Tu l’as vu ?
– Oh ! Ne parlons pas de celui-là on ne doit pas parler de lui.
– Qui est-ce, je te demande ?
– C’est le maître… le chef… personne ne le connaît.
– Mais tu l’as vu, toi. Réponds. Tu l’as vu ?
– Dans l’ombre, quelquefois… la nuit. Jamais en plein jour. Ses ordres arrivent sur de petits bouts de papier… ou par téléphone.
– Son nom ?
– Je l’ignore. On ne parlait jamais de lui. Ça portait malheur.
– Il est vêtu de noir, n’est-ce pas ?
– Oui, de noir. Il est petit et mince… blond…
– Et il tue, n’est-ce pas ?
– Oui, il tue… il tue comme d’autres volent un morceau de pain.
Sa voix tremblait. Il supplia :
– Taisons-nous… il ne faut pas en parler… je vous le dis… ça porte malheur.
Lupin se tut, impressionné malgré lui par l’angoisse de cet homme. Il resta longtemps pensif, puis il se leva et dit au maître d’hôtel :
– Tiens, voilà ton argent, mais si tu veux vivre en paix, tu feras sagement de ne souffler mot à personne de notre entrevue.
Il sortit du restaurant avec Doudeville, et il marcha jusqu’à la porte Saint-Denis, sans mot dire, préoccupé par tout ce qu’il venait d’apprendre.
Enfin, il saisit le bras de son compagnon et prononça :
– écoute bien, Doudeville. Tu vas aller à la gare du Nord où tu arriveras à temps pour sauter dans l’express du Luxembourg. Tu iras à Veldenz, la capitale du grand-duché de Deux-Ponts-Veldenz. À la Maison-de-Ville, tu obtiendras facilement l’acte de naissance du chevalier de Malreich, et des renseignements sur sa famille. Après-demain samedi, tu seras de retour.
– Dois-je prévenir à la Sûreté ?
– Je m’en charge. Je téléphonerai que tu es malade. Ah ! Un mot encore. On se retrouvera à midi dans un petit café de la route de la Révolte, qu’on appelle le restaurant Buffalo. Mets-toi en ouvrier.
Dès le lendemain, Lupin, vêtu d’un bourgeron et coiffé d’une casquette, se dirigea vers Neuilly et commença son enquête au numéro 3 de la route de la Révolte. Une porte cochère ouvre sur une première cour, et, là, c’est une véritable cité, toute une suite de passages et d’ateliers où grouille une population d’artisans, de femmes et de gamins. En quelques minutes, il gagna la sympathie de la concierge avec laquelle il bavarda, durant une heure, sur les sujets les plus divers. Durant cette heure, il vit passer les uns après les autres trois individus dont l’allure le frappa.
« Ça, pensa-t-il, c’est du gibier, et qui sent fort… ça se suit à l’odeur… L’air d’honnêtes gens, parbleu ! Mais l’œil du fauve qui sait que l’ennemi est partout, et que chaque buisson, chaque touffe d’herbe peut cacher une embûche. »
L’après-midi et le matin du samedi, il poursuivit ses investigations, et il acquit la certitude que les sept complices d’Altenheim habitaient tous dans ce groupe d’immeubles. Quatre d’entre eux exerçaient ouvertement la profession de « marchands d’habits ». Deux autres vendaient des journaux, le septième se disait brocanteur et c’est ainsi, du reste, qu’on le nommait.
Ils passaient les uns auprès des autres sans avoir l’air de se connaître. Mais, le soir, Lupin constata qu’ils se réunissaient dans une sorte de remise située tout au fond de la dernière des cours, remise où le Brocanteur accumulait ses marchandises, vieilles ferrailles, salamandres démolies, tuyaux de poêles rouillés et sans doute aussi la plupart des objets volés.
« Allons, se dit-il, la besogne avance. J’ai demandé un mois à mon cousin d’Allemagne, je crois qu’une quinzaine suffira. Et, ce qui me fait plaisir, c’est de commencer l’opération par les gaillards qui m’ont fait faire un plongeon dans la Seine. Mon pauvre vieux Gourel, je vais enfin te venger. Pas trop tôt ! »
À midi, il entrait au restaurant Buffalo, dans une petite salle basse, où des maçons et des cochers venaient consommer le plat du jour. Quelqu’un vint s’asseoir auprès de lui.
– C’est fait, patron.
– Ah ! C’est toi, Doudeville. Tant mieux. J’ai hâte de savoir. Tu as les renseignements ? L’acte de naissance ? Vite, raconte.
– Eh bien ! Voilà. Le père et la mère d’Altenheim sont morts à l’étranger.
– Passons.
– Ils laissaient trois enfants.
– Trois ?
– Oui, l’aîné aurait aujourd’hui trente ans. Il s’appelait Raoul de Malreich.
– C’est notre homme, Altenheim. Après ?
– Le plus jeune enfant était une fille, Isilda. Le registre porte à l’encre fraîche la mention « Décédée ».
– Isilda… Isilda, redit Lupin c’est bien ce que je pensais, Isilda était la sœur d’Altenheim… J’avais bien vu en elle une expression de physionomie que je connaissais… Voilà le lien qui les rattachait… Mais l’autre, le troisième enfant, ou plutôt le second, le cadet ?
– Un fils. Il aurait actuellement vingt-six ans.
– Son nom ?
– Louis de Malreich.
Lupin eut un petit choc.
– Ça y est ! Louis de Malreich… Les initiales L. M. L’affreuse et terrifiante signature… L’assassin se nomme Louis de Malreich… C’était le frère d’Altenheim et le frère d’Isilda. Et il a tué l’un et il a tué l’autre par crainte de leurs révélations…
Lupin demeura longtemps taciturne, sombre, avec l’obsession, sans doute, de l’être mystérieux. Doudeville objecta :
– Que pouvait-il craindre de sa sœur Isilda ? Elle était folle, m’a-t-on dit.
– Folle, oui, mais capable de se rappeler certains détails de son enfance. Elle aura reconnu le frère avec lequel elle avait été élevée… Et ce souvenir lui a coûté la vie.
Et il ajouta :
– Folle ! Mais tous ces gens-là sont fous… La mère, folle… Le père, alcoolique… Altenheim, une véritable brute… Isilda, une pauvre démente… Et quant à l’autre, l’assassin, c’est le monstre, le maniaque imbécile…
– Imbécile, vous trouvez, patron ?
– Eh oui, imbécile ! Avec des éclairs de génie, avec des ruses et des intuitions de démon, mais un détraqué, un fou comme toute cette famille de Malreich. Il n’y a que les fous qui tuent, et surtout des fous comme celui-là. Car enfin…
Il s’interrompit, et son visage se contracta si profondément que Doudeville en fut frappé.
– Qu’y a-t-il, patron ?
– Regarde.