Читать книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан - Страница 94
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ОглавлениеSur un large balcon de bois, assis devant une table, un jeune homme écrivait.
Parfois il levait la tête et contemplait d’un regard vague l’horizon des coteaux où les arbres, dépouillés par l’automne, laissaient tomber leurs dernières feuilles sur les toits rouges des villas et sur les pelouses des jardins. Puis il recommençait à écrire.
Au bout d’un moment, il prit sa feuille de papier et lut à haute voix :
Nos jours s’en vont à la dérive,
Comme emportés par un courant
Qui les pousse vers une rive
Que l’on n’aborde qu’en mourant.
– Pas mal, fit une voix derrière lui, Mme Amable Tastu n’eût pas fait mieux. Enfin, tout le monde ne peut pas être Lamartine.
– Vous ! Vous ! balbutia le jeune homme avec égarement.
– Mais oui, poète, moi-même, Arsène Lupin qui vient voir son cher ami Pierre Leduc.
Pierre Leduc se mit à trembler, comme grelottant de fièvre. Il dit à voix basse :
– L’heure est venue ?
– Oui, mon excellent Pierre Leduc, l’heure est venue pour toi de quitter ou plutôt d’interrompre la molle existence de poète que tu mènes depuis plusieurs mois aux pieds de Geneviève Ernemont et de Mme Kesselbach, et d’interpréter le rôle que je t’ai réservé dans ma pièce… une jolie pièce, je t’assure, un bon petit drame bien charpenté, selon les règles de l’art, avec trémolos, rires et grincements de dents. Nous voici arrivés au cinquième acte, le dénouement approche, et c’est toi, Pierre Leduc, qui en est le héros. Quelle gloire !
Le jeune homme se leva :
– Et si je refuse ?
– Idiot !
– Oui, si je refuse ? Après tout, qui m’oblige à me soumettre à votre volonté ? Qui m’oblige à accepter un rôle que je ne connais pas encore, mais qui me répugne d’avance, et dont j’ai honte ?
– Idiot ! répéta Lupin.
Et, forçant Pierre Leduc à s’asseoir, il prit place auprès de lui et, de sa voix la plus douce :
– Tu oublies tout à fait, bon jeune homme, que tu ne t’appelles pas Pierre Leduc, mais Gérard Baupré. Si tu portes le nom admirable de Pierre Leduc, c’est que toi, Gérard Baupré, tu as assassiné Pierre Leduc et lui as volé sa personnalité.
Le jeune homme sauta d’indignation :
– Vous êtes fou ! Vous savez bien que c’est vous qui avez tout combiné…
– Parbleu, oui, je le sais bien, mais la justice, quand je lui fournirai la preuve que le véritable Pierre Leduc est mort de mort violente, et que, toi, tu as pris sa place ?
Atterré le jeune homme bégaya :
– On ne le croira pas… Pourquoi aurais-je fait cela ? Dans quel but ?
– Idiot ! Le but est si visible que Weber lui-même l’eût aperçu. Tu mens quand tu dis que tu ne veux pas accepter un rôle que tu ignores. Ce rôle, tu le connais. C’est celui qu’eût joué Pierre Leduc, s’il n’était pas mort.
– Mais Pierre Leduc, pour moi, pour tout le monde, ce n’est encore qu’un nom. Qui était-il ? Qui suis-je ?
– Qu’est-ce que ça peut te faire ?
– Je veux savoir. Je veux savoir où je vais.
– Et si tu le sais, marcheras-tu droit devant toi ?
– Oui, si ce but dont vous parlez en vaut la peine.
– Sans cela, crois-tu que je me donnerais tant de mal ?
– Qui suis-je ? Et quel que soit mon destin, soyez sûr que j’en serai digne. Mais je veux savoir. Qui suis-je ?
Arsène Lupin ôta son chapeau, s’inclina et dit :
– Hermann IV, grand-duc de Deux-Ponts-Veldenz, prince de Berncastel, électeur de Trêves, et seigneur d’autres lieux.
Trois jours plus tard. Lupin emmenait Mme Kesselbach en automobile du côté de la frontière. Le voyage fut silencieux.
Lupin se rappelait avec émotion le geste effrayé de Dolorès et les paroles qu’elle avait prononcées dans la maison de la rue des Vignes au moment où il allait la défendre contre les complices d’Altenheim. Et elle devait s’en souvenir aussi car elle restait gênée en sa présence, et visiblement troublée.
Le soir, ils arrivèrent dans un petit château tout vêtu de feuilles et de fleurs, coiffé d’un énorme chapeau d’ardoises, et entouré d’un grand jardin aux arbres séculaires.
Ils y trouvèrent Geneviève déjà installée, et qui revenait de la ville voisine où elle avait choisi des domestiques du pays.
– Voici votre demeure, madame, dit Lupin. C’est le château de Bruggen. Vous y attendrez en toute sécurité la fin de ces événements. Demain, Pierre Leduc, que j’ai prévenu, sera votre hôte.
Il repartit aussitôt, se dirigea sur Veldenz et remit au comte de Waldemar le paquet des fameuses lettres qu’il avait reconquises.
– Vous connaissez mes conditions, mon cher Waldemar, dit Lupin… Il s’agit, avant tout, de relever la maison de Deux-Ponts-Veldenz et de rendre le grand-duché au grand-duc Hermann IV.
– Dès aujourd’hui je vais commencer les négociations avec le conseil de régence. D’après mes renseignements, ce sera chose facile. Mais ce grand-duc Hermann…
– Son Altesse habite actuellement, sous le nom de Pierre Leduc, le château de Bruggen. Je donnerai sur son identité toutes les preuves qu’il faudra.
Le soir même, Lupin reprenait la route de Paris, avec l’intention d’y pousser activement le procès de Malreich et des sept bandits.
Ce que fut cette affaire, la façon dont elle fut conduite, et comment elle se déroula, il serait fastidieux d’en parler, tellement les faits, et tellement même les plus petits détails, sont présents à la mémoire de tous. C’est un de ces événements sensationnels, que les paysans les plus frustes des bourgades les plus lointaines commentent et racontent entre eux.
Mais ce que je voudrais rappeler, c’est la part énorme que prit Arsène Lupin à la poursuite de l’affaire, et aux incidents de l’instruction.
En fait, l’instruction ce fut lui qui la dirigea. Dès le début, il se substitua aux pouvoirs publics, ordonnant les perquisitions, indiquant les mesures à prendre, prescrivant les questions à poser aux prévenus, ayant réponse à tout…
Qui ne se souvient de l’ahurissement général, chaque matin, quand on lisait dans les journaux ces lettres irrésistibles de logique et d’autorité, ces lettres signées tour à tour :
Arsène Lupin, juge d’instruction.
Arsène Lupin, procureur général.
Arsène Lupin, garde des Sceaux.
Arsène Lupin, flic.
Il apportait à la besogne un entrain, une ardeur, une violence même, qui étonnaient de sa part à lui, si plein d’ironie habituellement, et, somme toute, par tempérament, si disposé à une indulgence en quelque sorte professionnelle.
Non, cette fois, il haïssait.
Il haïssait ce Louis de Malreich, bandit sanguinaire, bête immonde, dont il avait toujours eu peur, et qui, même enfermé, même vaincu, lui donnait encore cette impression d’effroi et de répugnance que l’on éprouve à la vue d’un reptile.
En outre, Malreich n’avait-il pas eu l’audace de persécuter Dolorès ?
« Il a joué, il a perdu, se disait Lupin, sa tête sautera. »
C’était cela qu’il voulait, pour son affreux ennemi : l’échafaud, le matin blafard où le couperet de la guillotine glisse et tue.
étrange prévenu, celui que le juge d’instruction questionna durant des mois entre les murs de son cabinet ! étrange personnage que cet homme osseux, à figure de squelette, aux yeux morts !
Il semblait absent de lui-même. Il n’était pas là, mais ailleurs. Et si peu soucieux de répondre !
– Je m’appelle Léon Massier.
Telle fut l’unique phrase dans laquelle il se renferma.
Et Lupin ripostait :
– Tu mens. Léon Massier, né à Périgueux, orphelin à l’âge de dix ans, est mort il y a sept ans. Tu as pris ses papiers. Mais tu oublies son acte de décès. Le voilà.
Et Lupin envoya au Parquet une copie de l’acte.
– Je suis Léon Massier, affirmait de nouveau le prévenu.
– Tu mens, répliquait Lupin, tu es Louis de Malreich, le dernier descendant d’un petit noble établi en Allemagne au XVIIIe siècle. Tu avais un frère, qui tour à tour s’est fait appeler Parbury, Ribeira et Altenheim : ce frère, tu l’as tué. Tu avais une sœur, Isilda de Malreich : cette sœur, tu l’as tuée.
– Je suis Léon Massier.
– Tu mens. Tu es Malreich. Voilà ton acte de naissance. Voici celui de ton frère, celui de ta sœur.
Et les trois actes, Lupin les envoya.
D’ailleurs, sauf en ce qui concernait son identité, Malreich ne se défendait pas, écrasé sans doute sous l’accumulation des preuves que l’on relevait contre lui. Que pouvait-il dire ? On possédait quarante billets écrits de sa main – la comparaison des écritures le démontra -, écrits de sa main à la bande de ses complices, et qu’il avait négligé de déchirer, après les avoir repris.
Et tous ces billets étaient des ordres visant l’affaire Kesselbach, l’enlèvement de M. Lenormand et de Gourel, la poursuite du vieux Steinweg, l’établissement des souterrains de Garches, etc. était-il possible de nier ?
Une chose assez bizarre déconcerta la justice. Confrontés avec leur chef, les sept bandits affirmèrent tous qu’ils ne le connaissaient point. Ils ne l’avaient jamais vu. Ils recevaient ses instructions, soit par téléphone, soit dans l’ombre, au moyen précisément de ces petits billets que Malreich leur transmettait rapidement, sans un mot.
Mais, du reste, la communication entre le pavillon de la rue Delaizement et la remise du Brocanteur n’était-elle pas une preuve suffisante de complicité ? De là, Malreich voyait et entendait. De là, le chef surveillait ses hommes.
Les contradictions ? Les faits en apparence inconciliables ? Lupin expliqua tout. Dans un article célèbre, publié le matin du procès, il prit l’affaire à son début, en révéla les dessous, en débrouilla l’écheveau, montra Malreich habitant, à l’insu de tous, la chambre de son frère, le faux major Parbury, allant et venant, invisible, par les couloirs du Palace-Hôtel, et assassinant Kesselbach, assassinant le garçon d’hôtel, assassinant le secrétaire Chapman.
On se rappelle les débats. Ils furent terrifiants à la fois et mornes ; terrifiants par l’atmosphère d’angoisse qui pesa sur la foule et par les souvenirs de crime et de sang qui obsédaient les mémoires ; mornes, lourds, obscurs, étouffants, par suite du silence formidable que garda l’accusé.
Pas une révolte. Pas un mouvement. Pas un mot.
Figure de cire, qui ne voyait pas et qui n’entendait pas ! Vision effrayante de calme et d’impassibilité ! Dans la salle on frissonnait. Les imaginations affolées, plutôt qu’un homme, évoquaient une sorte d’être surnaturel, un génie des légendes orientales, un de ces dieux de l’Inde qui sont le symbole de tout ce qui est féroce, cruel, sanguinaire et destructeur.
Quant aux autres bandits, on ne les regardait même pas, comparses insignifiants qui se perdaient dans l’ombre de ce chef démesuré.
La déposition la plus émouvante fut celle de Mme Kesselbach. À l’étonnement de tous, et à la surprise même de Lupin, Dolorès qui n’avait répondu à aucune des convocations du juge, et dont on ignorait la retraite, Dolorès apparut, veuve douloureuse, pour apporter un témoignage irrécusable contre l’assassin de son mari.
Elle dit simplement, après l’avoir regardé longtemps :
– C’est celui-là qui a pénétré dans ma maison de la rue des Vignes, c’est lui qui m’a enlevée, et c’est lui qui m’a enfermée dans la remise du Brocanteur. Je le reconnais.
– Vous l’affirmez ?
– Je le jure devant Dieu et devant les hommes.
Le surlendemain, Louis de Malreich, dit Léon Massier, était condamné à mort. Et sa personnalité absorbait tellement, pourrait-on dire, celle de ses complices que ceux-ci bénéficièrent des circonstances atténuantes.
– Louis de Malreich, vous n’avez rien à dire ? demanda le Président des assises.
Il ne répondit pas.
Une seule question resta obscure aux yeux de Lupin. Pourquoi Malreich avait-il commis tous ces crimes ? Que voulait-il ? Quel était son but ?
Lupin ne devait pas tarder à l’apprendre et le jour était proche où, tout pantelant d’horreur, frappé de désespoir, mortellement atteint, le jour était proche où il allait savoir l’épouvantable vérité.
Pour le moment, sans que l’idée néanmoins cessât de l’effleurer, il ne s’occupa plus de l’affaire Malreich. Résolu à faire peau neuve, comme il disait, rassuré d’autre part sur le sort de Mme Kesselbach et de Geneviève, dont il suivait de loin l’existence paisible, et enfin tenu au courant par Jean Doudeville qu’il avait envoyé à Veldenz, tenu au courant de toutes les négociations qui se poursuivaient entre la Cour d’Allemagne et la Régence de Deux-Ponts-Veldenz, il employait, lui, tout son temps à liquider le passé et à préparer l’avenir.
L’idée de la vie différente qu’il voulait mener sous les yeux de Mme Kesselbach l’agitait d’ambitions nouvelles et de sentiments imprévus, où l’image de Dolorès se trouvait mêlée sans qu’il s’en rendît un compte exact.
En quelques semaines, il supprima toutes les preuves qui auraient pu un jour le compromettre, toutes les traces qui auraient pu conduire jusqu’à lui. Il donna à chacun de ses anciens compagnons une somme d’argent suffisante pour les mettre à l’abri du besoin, et il leur dit adieu en leur annonçant qu’il partait pour l’Amérique du Sud.
Un matin, après une nuit de réflexions minutieuses et une étude approfondie de la situation, il s’écria :
– C’est fini. Plus rien à craindre. Le vieux Lupin est mort. Place au jeune.
On lui apporta une dépêche d’Allemagne. C’était le dénouement attendu. Le Conseil de Régence, fortement influencé par la Cour de Berlin, avait soumis la question aux électeurs du grand-duché, et les électeurs, fortement influencés par le Conseil de Régence, avaient affirmé leur attachement inébranlable à la vieille dynastie des Veldenz. Le comte Waldemar était chargé, ainsi que trois délégués de la noblesse, de l’armée et de la magistrature, d’aller au château de Bruggen, d’établir rigoureusement l’identité du grand-duc Hermann IV, et de prendre avec Son Altesse toutes dispositions relatives à son entrée triomphale dans la principauté de ses pères, entrée qui aurait lieu vers le début du mois suivant.
– Cette fois, ça y est, se dit Lupin, le grand projet de M. Kesselbach se réalise. Il ne reste plus qu’à faire avaler mon Pierre Leduc au Waldemar. Jeu d’enfant ! Demain les bans de Geneviève et de Pierre seront publiés. Et c’est la fiancée du grand-duc que l’on présentera à Waldemar !
Et, tout heureux, il partit en automobile pour le château de Bruggen. Il chantait dans sa voiture, il sifflait, il interpellait son chauffeur.
– Octave, sais-tu qui tu as l’honneur de conduire ? Le maître du monde… Oui, mon vieux, ça t’épate, hein ? Parfaitement, c’est la vérité. Je suis le maître du monde.
Il se frottait les mains, et, continuant à monologuer :
– Tout de même, ce fut long. Voilà un an que la lutte a commencé. Il est vrai que c’est la lutte la plus formidable que j’aie soutenue… Nom d’un chien, quelle guerre de géants !…
Et il répéta :
– Mais cette fois ça y est. Les ennemis sont à l’eau. Plus d’obstacles entre le but et moi. La place est libre, bâtissons ! J’ai les matériaux sous la main, j’ai les ouvriers, bâtissons, Lupin ! Et que le palais soit digne de toi !
Il se fit arrêter à quelques centaines de mètres du château pour que son arrivée fût plus discrète, et il dit à Octave :
– Tu entreras d’ici vingt minutes, à quatre heures, et tu iras déposer mes valises dans le petit chalet qui est au bout du parc. C’est là que j’habiterai.
Au premier détour du chemin, le château lui apparut, à l’extrémité d’une sombre allée de tilleuls. De loin, sur le perron, il aperçut Geneviève qui passait.
Son cœur s’émut doucement.
– Geneviève, Geneviève, dit-il avec tendresse… Geneviève, le vœu que j’ai fait à ta mère mourante se réalise également… Geneviève, grande-duchesse… Et moi, dans l’ombre, près d’elle, veillant à son bonheur et poursuivant les grandes combinaisons de Lupin.
Il éclata de rire, sauta derrière un groupe d’arbres qui se dressaient à gauche de l’allée, et fila le long d’épais massifs. De la sorte il parvenait au château sans qu’on eût pu le surprendre des fenêtres du salon ou des chambres principales.
Son désir était de voir Dolorès avant qu’elle ne le vît, et, comme il avait fait pour Geneviève, il prononça son nom plusieurs fois, mais avec une émotion qui l’étonnait lui-même :
– Dolorès… Dolorès…
Furtivement il suivit les couloirs et gagna la salle à manger. De cette pièce, par une glace sans tain, il pouvait apercevoir la moitié du salon.
Il s’approcha.
Dolorès était allongée sur une chaise longue, et Pierre Leduc, à genoux devant elle, la regardait d’un air extasié.