Читать книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан - Страница 90
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ОглавлениеUn homme venait d’entrer qui suspendit à une patère son chapeau – un chapeau noir, en feutre mou – s’assit à une petite table, examina le menu qu’un garçon lui offrait, commanda, et attendit, immobile, le buste rigide, les deux bras croisés sur la nappe.
Et Lupin le vit bien en face.
Il avait un visage maigre et sec, entièrement glabre, troué d’orbites profondes au creux desquelles on apercevait des yeux gris, couleur de fer. La peau paraissait tendue d’un os à l’autre, comme un parchemin, si raide, si épais, qu’aucun poil n’aurait pu le percer.
Et le visage était morne. Aucune expression ne l’animait. Aucune pensée ne semblait vivre sous ce front d’ivoire. Et les paupières, sans cils, ne bougeaient jamais, ce qui donnait au regard la fixité d’un regard de statue.
Lupin fit signe à l’un des garçons de l’établissement.
– Quel est ce monsieur ?
– Celui qui déjeune là ?
– Oui.
– C’est un client. Il vient deux ou trois fois la semaine.
– Vous connaissez son nom ?
– Parbleu oui ! Léon Massier.
– Ah ! balbutia Lupin, tout ému, L. M., les deux lettres, serait-ce Louis de Malreich ?
Il le contempla avidement. En vérité l’aspect de l’homme se trouvait conforme à ses prévisions, à ce qu’il savait de lui et de son existence hideuse. Mais ce qui le troublait, c’était ce regard de mort, là où il attendait la vie et la flamme c’était l’impassibilité, là où il supposait le tourment, le désordre, la grimace puissante des grands maudits.
Il dit au garçon :
– Que fait-il, ce monsieur ?
– Ma foi, je ne saurais trop dire. C’est un drôle de pistolet… Il est toujours tout seul… Il ne parle jamais à personne. Ici nous ne connaissons même pas le son de sa voix. Du doigt il désigne sur le menu les plats qu’il veut… En vingt minutes, c’est expédié… Il paye… s’en va…
– Et il revient ?
– Tous les quatre ou cinq jours. Ce n’est pas régulier.
– C’est lui, ce ne peut être que lui, se répétait Lupin, c’est Malreich, le voilà… il respire à quatre pas de moi. Voilà les mains qui tuent. Voilà le cerveau qu’enivre l’odeur du sang… Voilà le monstre, le vampire…
Et pourtant, était-ce possible ? Lupin avait fini par le considérer comme un être tellement fantastique qu’il était déconcerté de le voir sous une forme vivante, allant, venant, agissant. Il ne s’expliquait pas qu’il mangeât, comme les autres, du pain et de la viande, et qu’il bût de la bière comme le premier venu, lui qu’il avait imaginé ainsi qu’une bête immonde qui se repaît de chair vivante et suce le sang de ses victimes.
– Allons-nous-en, Doudeville.
– Qu’est-ce que vous avez, patron ? Vous êtes tout pâle.
– J’ai besoin d’air. Sortons.
Dehors, il respira largement, essuya son front couvert de sueur et murmura :
– Ça va mieux. J’étouffais.
Et, se dominant, il reprit :
– Doudeville, le dénouement approche. Depuis des semaines, je lutte à tâtons contre l’invisible ennemi. Et voilà tout à coup que le hasard le met sur mon chemin ! Maintenant, la partie est égale.
– Si l’on se séparait, patron ? Notre homme nous a vus ensemble. Il nous remarquera moins, l’un sans l’autre.
– Nous a-t-il vus ? dit Lupin pensivement. Il semble ne rien voir, et ne rien entendre, et ne rien regarder. Quel type déconcertant !
Et de fait, dix minutes après, Léon Massier apparut et s’éloigna, sans même observer s’il était suivi. Il avait allumé une cigarette et fumait, l’une de ses mains derrière le dos, marchant en flâneur qui jouit du soleil et de l’air frais, et qui ne soupçonne pas qu’on peut surveiller sa promenade.
Il franchit l’octroi, longea les fortifications, sortit de nouveau par la porte Champerret, et revint sur ses pas par la route de la Révolte.
Allait-il entrer dans les immeubles du numéro 3 ? Lupin le désira vivement, car c’eût été la preuve certaine de sa complicité avec la bande Altenheim ; mais l’homme tourna et gagna la rue Delaizement qu’il suivit jusqu’au-delà du vélodrome Buffalo.
À gauche, en face du vélodrome, parmi les jeux de tennis en location et les baraques qui bordent la rue Delaizement, il y avait un petit pavillon isolé, entouré d’un jardin exigu.
Léon Massier s’arrêta, prit son trousseau de clefs, ouvrit d’abord la grille du jardin, ensuite la porte du pavillon, et disparut.
Lupin s’avança avec précaution. Tout de suite il nota que les immeubles de la route de la Révolte se prolongeaient, par derrière, jusqu’au mur du jardin.
S’étant approché davantage, il vit que ce mur était très haut, et qu’une remise, bâtie au fond du jardin, s’appuyait contre lui.
Par la disposition des lieux, il acquit la certitude que cette remise était adossée à la remise qui s’élevait dans la dernière cour du numéro 3 et qui servait de débarras au Brocanteur.
Ainsi donc, Léon Massier habitait une maison contiguë à la pièce où se réunissaient les sept complices de la bande Altenheim. Par conséquent, Léon Massier était bien le chef suprême qui commandait cette bande, et c’était évidemment par un passage existant entre les deux remises qu’il communiquait avec ses affidés.
– Je ne m’étais pas trompé, dit Lupin, Léon Massier et Louis de Malreich ne font qu’un. La situation se simplifie.
– Rudement, approuva Doudeville, et, avant quelques jours, tout sera réglé.
– C’est-à-dire que j’aurai reçu un coup de stylet dans la gorge.
– Qu’est-ce que vous dites, patron ? En voilà une idée !
– Bah ! Qui sait ! J’ai toujours eu le pressentiment que ce monstre-là me porterait malheur.
Désormais, il s’agissait, pour ainsi dire, d’assister à la vie de Malreich, de façon à ce qu’aucun de ses gestes ne fût ignoré.
Cette vie, si l’on en croyait les gens du quartier que Doudeville interrogea, était des plus bizarres. Le type du Pavillon, comme on l’appelait, demeurait là depuis quelques mois seulement. Il ne voyait et ne recevait personne. On ne lui connaissait aucun domestique. Et les fenêtres, pourtant grandes ouvertes, même la nuit, restaient toujours obscures, sans que jamais la clarté d’une bougie ou d’une lampe les illuminât.
D’ailleurs, la plupart du temps, Léon Massier sortait au déclin du jour et ne rentrait que fort tard – à l’aube, prétendaient des personnes qui l’avaient rencontré au lever du soleil.
– Et sait-on ce qu’il fait ? demanda Lupin à son compagnon, quand celui-ci l’eut rejoint.
– Non. Son existence est absolument irrégulière, il disparaît quelquefois pendant plusieurs jours ou plutôt il demeure enfermé. Somme toute, on ne sait rien.
– Eh bien ! Nous saurons, nous, et avant peu.
Il se trompait. Après huit jours d’investigations et d’efforts continus, il n’en avait pas appris davantage sur le compte de cet étrange individu. Il se passait ceci d’extraordinaire, c’est que, subitement, tandis que Lupin le suivait, l’homme, qui cheminait à petits pas le long des rues, sans jamais s’arrêter, l’homme disparaissait comme par miracle. Il usa bien quelquefois de maisons à double sortie. Mais, d’autres fois, il semblait s’évanouir au milieu de la foule, ainsi qu’un fantôme. Et Lupin restait là, pétrifié, ahuri, plein de rage et de confusion.
Il courait aussitôt à la rue Delaizement et montait la faction. Les minutes s’ajoutaient aux minutes, les quarts d’heure aux quarts d’heure. Une partie de la nuit s’écoulait. Puis survenait l’homme mystérieux. Qu’avait-il pu faire ?