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V

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Le roi François, quelque bon chevalier qu’il fût, s’est montré tout à fait discourtois le jour qu’il a rimé sa chanson trop connue sur l’humeur changeante des femmes. «Bien fol est qui s’y fie,» s’avisait-il de dire; –aussi son fidèle serviteur et poète attitré, Clément Marot, n’a-t-il pas hésité de lui déclarer, et nous supposons que ce fut à cette occasion, qu’un grand prince ne faisait jamais un bon poète. Marot avait raison, car, tout excellent prince que fût le roi François, il s’est montré là bien injuste, et le poète devrait être l’homme juste par excellence. «Bien fol est qui s’y fie,»–qui se fie à qui? A vous roi François, le plus inconstant, le plus volage des amants. Madame de Chateaubriand a bien sur vous répondre, non de sa bonne encre, mais avec le sang de son cœur; nous avons retenu son histoire.

D’ailleurs, tout le monde a parlé de la légèreté des femmes. Tout le monde a peut-être raison;–seulement qu’il nous soit permis de les féliciter de leur légèreté. Elle prouve leur esprit d’à-propos, ou du moins leur connaissance de notre cœur humain. Certes elles ont tort de ne point vouloir qu’on les prenne toujours pour dupes, elles ont tort de se venger de nous, leurs maîtres et seigneurs, qui ne daignons seulement pas les traiter en esclaves aimées, quand elles sont nos femmes légitimes, et les étonnons par notre fourberie ou par notre bêtise dès qu’elles sont nos maîtresses. Dans l’un ou l’autre cas elles devraient peut-être se soumettre plutôt que de se révolter; elles devraient, malgré notre indifférence ou nos ridicules, nous vouer un amour exclusif et une admiration constante,–car nous n’aimons pas qu’on se rie de nous. Elles s’en rient, nous nous fâchons; mais, dès qu’on se fâche, on a tort.

Ce dont on ne s’est guère avisé jusqu’à ce jour, c’est de la légèreté avec laquelle tourne la fantaisie d’un jeune homme, j’entends d’un homme de cœur et d’esprit. Prenons pour exemple notre ami Norbert, qui, à Paris, se désolait infiniment de n’avoir jamais senti son cœur battre plus fort et plus vite près d’une femme qu’il croyait aimer. C’est bien la sentir et raisonner en héros de roman,– et pourtant, le lendemain de la soirée que nous avons racontée dans le chapitre précédent, il s’éveillait un tout autre homme. Il était redevenu Parisien et souriait avec bonhomie, presque avec pitié, au souvenir de ce toast solennel porté au roi de France et de la cérémonie qui s’en était suivie.

Cet attendrissement de tous les convives qui l’embrassaient en trinquant avec lui et souhaitant qu’il restât fidèle à la foi de ses ancêtres, sa propre émotion qu’il n’hésitait plus d’attribuer au vin de Champagne, tout cela lui paraissait enfantin; puis il se rappela le ton doctoral de M. de Sador et l’importance qu’il affichait. Comment se faisait-il que, malgré sa nullité, on le considérât comme ayant le plus de poids dans la localité? «Bah! c’est leur affaire, . se dit-il enfin. A Paris, où l’on se croit malin, on s’engoue, tout comme ici, de gens absolument insignifiants. Il est vrai qu’au bout de quinze jours on ne s’en souvient plus, tandis qu’en province on aime à persister, à s’obstiner dans ses engouements. Mais enfin, qu’est-ce que tout cela peut me faire? Je ne veux être ni Parisien ni Provençal,–je demande à vivre de ma vie, pendant six mois ou un an, en m’abandonnant sans réflexion au courant auquel il plaira de m’emporter. Plus tard je verrai à devenir un homme, puisque tout le monde prétend que cela est indispensable.»

Puis laissant prendre à son esprit un autre cours; il revit, comme si elle était là devant lui, la vicomtesse de Sador si laide, la vicomtesse Aline si grimacière et la petite cousine;–mais celle-ci, il ne la voyait que vaguement, et non avec netteté, comme il se représentait les deux autres.

D’ailleurs, il trouvait maintenant qu’elle raisonnait comme une petite niaise et qu’il avait été bien niais lui-même de s’y être intéressé la veille plus que de raison. Ses airs effarouchés étaient peut-être moins de l’effarouchement que de l’affectation. Une petite fille comme elle, tenue sévèrement par sa tante et endoctrinée quelquefois par madame de Sador, devait naturellement exagérer la modestie, et, pour devenir une demoiselle comme il faut, perdre le peu d’intelligence et de sens commun dont la nature l’avait peut-être douée.

«Enfin, s’écria notre héros, il n’est déjà pas sûr qu’elle soit si jolie! Je l’ai peut-être mal regardée hier; de toute façon, aujourd’hui je n’y veux plus penser.»

Et il prit un livre. que la veille il avait mis sur sa table de nuit; car il aimait à lire dans son. lit aussi bien le matin que le soir. Du reste, notre ami Norbert était un liseur, et un liseur délicat, qualité devenue bien rare, car, plutôt que de déguster un bon livre, on aime mieux aujourd’hui le feuilleter avec la même hâte qu’on met a avaler un méchant journal où il n’est question que de politique.

Or, ce qui rend notre héros excusable d’avoir blasphémé si abominablement, d’avoir douté de la beauté de sa jolie cousine, de s’être enfin permis de dire, quoiqu’il ne se le fut dit qu’à lui-même, qu’il ne s’en souciait plus nullement, c’est qu’il tenait à la main les Contes de la veillée de Nodier et qu’il avait déjà commencé le plus joli conte du volume: la Légende de sœur Béatricx. Heureux Nodier!

Mais elle, la jolie cousine, ne lisait pas. Elle se promenait dans le parc avec un Bossuet bien relié et bien authentique cette fois. Elle craignait peut-être d’être surprise comme la veille dans son négligé du matin; mais peut-être aussi le désirait-elle intérieurement, afin de prouver à son cousin, mais de le lui prouver irrévocablement, que c’était bien Bossuet et non un roman qu’elle lisait ou plutôt qu’elle tenait à la main. Elle s’était pourtant faite plus belle que la veille, elle avait surtout pris soin de lisser ces petits cheveux follets qui entouraient son front et, au soleil, lui faisaient comme une auréole.

Elle se promenait, la belle enfant, très préoccupée de ce qu’elle allait dire à Norbert, quand,– elle ne doutait pas qu’il ne vînt, ,–il la rencontrerait au détour d’une allée, ou bien la retrouverait sur le banc où il l’avait surprise la veille. Comment s’y prendrait-elle pour lui faire comprendre qu’elle lui avait pardonné de l’avoir presque dénoncée à sa mère à propos de ce livre défendu dont elle s’était promis de ne plus continuer la lecture? Puis, elle voulait le prier de ne pas prendre d’elle une trop mauvaise opinion. Il lui avait montré tant d’affabilité la veille qu’elle aurait dû lui en marquer de la reconnaissance. Or, elle n’avait répondu à ses avances que froidement, presque avec impolitesse. Comment lui expliquerait-elle maintenant, que personne ne lui ayant jamais témoigné de l’intérêt, elle était excusable d’avoir cru un moment que tant d’aimables prévenances n’étaient de sa part que de la moquerie? Elle l’avait cru; mais, ayant fait hier, comme tous les soirs, son examen de conscience, elle avait reconnu son erreur et s’en était sincèrement repentie.

«Non, se dit-elle enfin, jamais je n’oserai lui parler de tout cela. Je me troublerais, et il n’y comprendrait rien. Peut-être me serait-il plus facile de lui écrire; mais, outre qu’il pourrait se moquer de mon style, il n’est pas convenable qu’une jeune fille écrive à un homme. Pourtant ce n’est pas un homme, lui,–c’est mon cousin! Que doit-il penser de moi?»

Il n’y pensait pas, le malheureux, il ne pensait qu’à ce qu’il lisait dans ce méchant livre de Nodier, nous disons méchant parce qu’il le retenait loin de la jolie fille qui continuait à se promener à pas lents, regardant furtivement à droite et à gauche et sentant son cœur se serrer quand elle entrait dans les massifs épais de lauriers-roses, où elle risquait de le rencontrer à l’improviste. Le plus curieux dans tout cela, et certes les jeunes filles n’y voudront pas croire,–c’est qu’elle ne s’était pas encore aperçue s’il était joli garçon ou non, et ne songeait même pas à se le demander.

Cependant l’heure s’avançait, et Harlette, qui d’abord avait craint de rencontrer son cousin, commençait à s’impatienter de ne pas le voir descendre,–en quoi elle ressemblait absolument à toutes les autres femmes, et à toutes les autres petites filles de la terre; seulement son impatience avait une excuse. Elle n’était libre que jusqu’à l’heure du déjeuner, car, dans l’après-midi, elle tenait compagnie à sa tante, et ne la quittait plus qu’à la nuit. Elle monta donc vite à sa chambre pour s’habiller.

La cloche sonna. Le comte, la comtesse et Harlette se trouvaient réunis dans la salle à manger; mais Norbert n’y était pas encore descendu. On ne voulut pas, pour lui faire sentir la haute inconvenance de ce retard, se mettre à table sans lui. On l’attendit donc pendant cinq grandes minutes et, quand il parut enfin, il fut très froidement accueilli. Cependant il s’excusa, et si gentiment que des parents un peu moins sévères n’eussent certainement pas continué à le bouder; mais la comtesse dans ses bouderies était infatigable; elle aurait craint de manquer à sa dignité en ne boudant qu’un peu. Il fallait que sa mauvaise humeur durât longtemps pour que le coupable et tous les assistants comprissent bien que ce n’était pas une bagatelle que de lui avoir manqué d’égards. Aussi personne ne savait se faire respecter comme elle. On se disait bien quelquefois à l’oreille qu’elle avait un caractère insupportable; mais on ajoutait tout de suite, comme si l’on eût craint d’en avoir été entendu et d’encourir par conséquent le châtiment d’être boudé par elle: «C’est une femme supérieure, elle a de la fermeté, elle a du caractère, il n’y en a pas de plus intelligente ni de meilleure.»

Quand sa femme boudait, et cela arrivait toujours à table, le comte, le nez dans son assiette, pour me servir d’une expression vulgaire, paraissait tout consterné; Norbert prenait, lui aussi, un air assombri et repentant; mais c’était Harlette surtout qu’il fallait voir, elle en devenait comme affolée. Elle avait tellement peur, qu’elle ne savait plus ce qu’elle faisait,–c’est-à-dire qu’elle faisait tout de travers. Puis, comme personne n’osait souffer mot, la comtesse se fâchait de ce silence, quoiqu’au fond elle ne fût pas mécontente d’avoir ainsi semé l’épouvante autour d’elle. Elle s’adressait alors à Harlette avec un sourire qui soulignait encore la sévérité de son regard, la questionnait sur telle ou telle autre chose, comme un juge d’instruction questionne un prévenu. La petite se mettait à trembler comme une criminelle, quoiqu’elle n’eût pas la moindre faute à se reprocher, bredouillait des réponses inintelligibles, puis, quelquefois, ne sachant plus comment conjurer l’orage, baisait les mains de sa tante et lui demandait pardon. Cela lui réussissait presque toujours, car la comtesse aimait à pardonner;–cependant, quelquefois aussi, elle lui répondait aigrement: «Et pourquoi me demandes-tu pardon? je ne te reproche rien! On dirait vraiment que je te fais peur. Suis-je donc un épouvantail, pour que tu perdes ainsi la raison?»

Ce jour-là, les choses se passèrent comme dans les jours néfastes, seulement la mauvaise humeur de la comtesse s’accentua cette fois un peu plus que de coutume. C’était son propre fils qui lui avait manqué de respect. Elle pouvait supporter bien des choses d’un étranger; mais elle ne croyait pas être tombée assez bas dans l’estime du monde pour que son fils en usât avec elle comme avec la dernière venue. Sa maison n’était pas tout à fait un cabaret; un homme bien élevé aurait dû le comprendre et se conduire chez elle avec moins de sans-façon qu’au quartier Latin. D’ailleurs, ce n’est pas à Paris qu’on apprend les convenances. On les y désapprend plutôt dans les cercles, les tripots et les salons interlopes, où la jeunesse dorée vit de préférence, car elle y trouve des plaisirs faciles et une société horriblement mêlée. Là on apprend à mépriser les saines traditions de la politesse, là on appren à ne plus s’incliner devant les personnes les plus respectables comme madame de Sador, par exemple. On affecte de s’apercevoir à peine de leur présence, et l’on paraît ignorer qu’en pareille occasion le devoir de tout homme convenable est de se montrer empressé auprès d’elle et surtout auprès de sa nièce, madame Aline, dont chacun admire les talents. Peut-être, à Paris, se trouve-t-il des dames aussi honorables et plus distinguées; mais il est permis d’en douter. Les gens de cœur ne peuvent s’accommoder des futilités de la vie parisienne, et la meilleure preuve en était que la marquise de Noveterre et sa fille n’avaient pu s’y faire. Elles avaient eu hâte de revenir respirer l’air sain de leur beau pays et de s’y reposer avec d’honnêtes gens de ce Paris, où tout est frelaté, surtout les sentiments. «Quand vous verrez Kitty, fit-elle en terminant, vous n’oserez pas lui comparer vos Parisiennes, ce serait une profanation.»

Norbert subissait avec sa résignation habituelle ces. réprimandes méritées. Il répondait à sa mère, car elle aimait qu’on lui répondît, pourvu qu’on abondât dans son sens, qu’il était évidemment dans son tort et n’avait pas d’excuses plausibles à lui présenter. Mesdames de Sador valaient bien la peine qu’il leur fit sa cour, et certainement les Parisiennes les plus distinguées et les plus en renom étaient loin d’avoir autant de vertus. Mais la comtesse, une fois lancée, ne pouvait, comme ne peut un cheval de course, s’arrêter tout court. Elle continua donc à lui faire de la morale. La patience de Norbert était à bout; il réussit pourtant à réunir les bribes qui lui en restaient, et demanda pardon à sa mère de s’être montré si peu convenable, lui assura que d’ores-en-avant elle serait contente de lui; mais, pour cette fois, il fallait lui pardonner, car le voyage l’avait fatigué, et que la veille il n’avait pas été dans la possession de toutes ses facultés.

Harlette, qui tremblante assistait à cette scène, se demandait dans son affolement pourquoi c’était son cousin qu’on grondait et non pas elle. Cela lui semblait étrange que sa tante eut ainsi, du jour au lendemain, changé de victime. Elle commença par s’en réjouir; mais elle se dit aussitôt qu’il n’y avait pas de quoi, car elle serait certainement grondée à son tour;–seulement Norbert l’était aussi, et encore plus sévèrement. Cela établissait entre eux une sorte d’égalité et resserrait les liens de leur cousinage. Puis elle admira l’esprit que montrait son cousin dans les réponses qu’il faisait à la terrible comtesse, tandis qu’elle, une petite sotte, ne savait jamais bien répondre et souvent l’exaspérait au lieu de la calmer. Puis elle se dit que c’était bien fait qu’on grondât son cousin, car elle était encore impaentée de l’avoir attendu vainement toute la matinée, ms le parc du château.

Cependant, revenant à de meilleurs sentiments, elle est bientôt pitié de lui, car le brave garçon qui, à Pas, était habitué à vivre en pleine liberté, devait beau-coup souffrir qu’on le traitât ainsi. «C’est bon pour moi, se dit-elle, je ne suis qu’une petite fille, et comme elle je n’ai pas le droit de me montrer susceptible; mais qui, un grand jeune homme, un savant qui a subi ses examens, qui a été bien accueilli dans le meilleur monde de Paris, lui, se montrer si respectueux et si docile! cela me paraît étonnant. Il ne lui a pas répondu une seule fois avec brusquerie. Est-ce parce qu’il la craint; mais non, un grand jeune homme comme lui ne peut pas craindre une femme. Il la respecte parce qu’elle est ma mère et supporte tout d’elle parce qu’il est bon. lier, il s’est montré bon pour moi; aujourd’hui, il se montre patient avec elle,–c’est que décidément il un cœur excellent!»

Et comme la gentille Harlette n’estimait rien autant que la bonté, en quoi elle se conformait aux préceptes le la religion chrétienne, elle se mit en devoir de marquer à son cousin toute la sympathie qu’il lui inspirait. Elle s’empressait autour de lui, comme la veille il s’éait, lui, empressé pour la servir. D’ailleurs, en suppo; ant même qu’elle n’eût pas à lui marquer de la sympahie, n’avait-elle pas, pour se conduire ainsi, d’autres notifs très plausibles, qu’elle voulait ce matin lui expliquer? N’avait-elle pas à se faire pardonner son attitude presque dédaigneuse de la veille?

Nous ne pourrions dire au juste si notre ami comprit ) u ne comprit pas pourquoi la jolie enfant se montrait si prévenante, mais il la remercia très amicalement lui avoir versé une seconde fois de ce vin de Chàteau neuf-du-Pape, qu’il avait trouvé excellent, et ses remerciements il les accompagna d’un sourire très jeu et très affectueux qui fit plaisir à sa cousine.

Mais il ne plut pas à la comtesse. Sans en avoir l’ai, elle observait tout. Comment s’avisait-on de souri, quand elle était encore fâchée? C’était le comble l’impertinence! On ne faisait donc plus attention à elle

–et qui donc se montrait impertinent à ce point C’était cette petite fille qui affectait une liberté d’esp et d’allures, qui la narguait, elle, sa tante et sa bienfetrice!

Si la petite fille eut à s’en repentir, nous ne le dirait pas. Un nouveau prétexte à gronder se présentant bien à point, la comtesse put se soulager tout à son aise et quand Harlette, ne sachant comment refoulerla larmes qui lui roulaient dans les yeux, les essuya furvovement avec sa serviette, sa tante la traita de commedienne; puis, satisfaite d’avoir attendri ce cœur si dû elle daigna lui pardonner et se calma.

Après déjeuner, Norbert crut pouvoir descendre da le parc et retourner vers ses amis les pêcheurs; mais comtesse le pria de la suivre au salon. Il l’y suivit d’un air plutôt craintif que contrarié; la petite cousine se disposa aussi a l’accompagner, comme d’habitude; mais on lui fit signe de rester. Madame de Vabran avait repris sa physionomie de tous les jours, grave, un peu sévère et pourtant bienveillante;–seulement elle avait que que chose de solennel. Norbert en fut intrigué. Tout cela ressemblait à un mystère, car il ne se souvenait pas que sa mère l’eût jamais entretenu en particulier, en coté quand par hasard ils s’étaient trouvés seuls ensemble. Mais, cette fois, il s’agissait pour sûr d’un seret, puisqu’on avait éloigné la petite cousine. Quel pouvait être ce secret? Norbert se perdait en conjectes.

; Mais, de secret il n’y en avait pas. La comtesse denonça simplement à son fils qu’il avait à l’accompagner chez madame de Noveterre, à laquelle elle voulait représenter. Puis elle reparla de Kitty et lui expliqua elle avait conçu pour elle une affection toute particulière. Kitty était en toute chose soumise à sa mère et, malgré sa supériorité, ne manifestait jamais d’autre volonté que la sienne; qualité bien rare au siècle où nous avons, car les enfants ne connaissent plus l’obéissance passive d’autrefois et se croient, tout inexpérimentés qu’ils soient, plus sages que leurs parents. Ils ne se doutent pas de ce que ceux-ci ont eu à combattre d’ennuis et de peines pour apprendre la science de la vie. nfin, elle insinua à Norbert que, dans quelques années, quand il se serait fait une position, car, avec l’instruction qu’il avait acquise, il ne pourrait certes pas se contenter de mener une vie oisive; dans quelques années onc, il pourrait se représenter chez ces dames, qui put-être alors agréeraient ses hommages et le jugeaient digne d’aspirer à une si haute alliance.

Norbert, un peu agacé par l’orage qui avait éclaté à éjeuner, se trouvait naturellement tout disposé à trouer cette Kitty, qu’on lui vantait tant, mortellement nnuyeuse dans sa perfection. D’ailleurs, si elle ressemlait tant à feu sa sœur, elle ne pourrait jamais lui inspier un sentiment bien vif. On ne devient pas amoureux le sa sœur, et celle de Norbert, prenant exemple sur madame de Vabran, ne lui avait jamais marqué que de la froideur et même un peu de dédain; elle réservait toutes ses tendresses pour sa mère adorée, et comme elle n’en avait pas de reste, les autres ne comptaient pas dans sa vie. Cependant ces réflexions le laissaient encore assez calme, ce n’était ni aujourd’hui ni demain qu’il aurait à se prononcer;–mais ce qui le fit sortir de ses gonds, lui si patient, ce furent ces derniers mots «Peut-être ne vous jugera-t-on pas indigne d’aspirer à une si haute alliance;» aussi y répondit-il avec emportement:

–Les Vabran ont toujours cru honorer les filles qu’ils ont demandées en mariage. Il est vrai que depuis. Raymond Bérenger, nous ne nous sommes plus alliés à des maisons souveraines. Est-ce que par hasard les Noveterre porteraient la couronne fermée? Vous parlez d’une alliance avec eux comme d’un grand honneur, pour notre maison!

La comtesse resta un moment toute stupide de cette! sortie, à laquelle elle était loin de s’attendre; puis elle lui dit sèchement:

–Vous le prenez de très haut, Norbert; et, après un! moment de silence: H

–Préparez-vous à me suivre, je pars dans une heure.

Et elle quitta le salon. Norbert restait là, indigné sérieusement contre sa mère qui venait de traiter avec tant de dédain non seulement lui qui était encore trop jeune pour qu’elle lui témoignât des égards, mais, en sa personne, toute la race des Vabran, qui certainement! valaient mieux que les Noveterre. «Si, au moins, ils étaient plus riches que nous,» se dit-il enfin, on pourrait encore, car les idées bourgeoises se faufilent partout, en parler avec cette déférence exagérée. Certains nobles tiennent aujourd’hui à honneur de raisonner sur ce point comme de simples boutiquiers et s’inclinent devant les grandes fortunes. Mais nous sommes très riches, nous. D’où vient alors que ma mère qui toujours a été réputée la dame la plus orgueilleuse de la province, car toujours elle s’en est crue la première, se fasse maintenant toute petite dès qu’on prononce le nom de ces femmes?

Norbert, parlant tout haut, comme il en avait un peu l’habitude, avait brusquement ouvert la porte qui communique du salon à la salle à manger, mais quelle ne fut pas sa surprise quand il s’y trouva face à face avec sa petite cousine, Harlette, qui peut-être se trouvait là pour écouter, mais qui à coup sûr avait tout entendu? Honteuse d’être surprise ainsi, elle devint rouge comme une cerise, puis, quoiqu’on ne lui demandât rien, commença à balbutier quelques mots d’explication. Elle dit à son cousin qu’elle venait seulement d’entrer, puis elle chercha à s’excuser de ne pas avoir su la veille lui montrer à quel point elle lui était reconnaissante de l’avoir traitée avec tant d’amitié. Enfin, après un moment d’hésitation, elle ajouta que désormais il n’était plus un étranger pour elle, car ce matin même ils avaient été grondés ensemble.

Norbert, très étonné de ce verbiage, l’écoutait pourtant avec un sourire bienveillant; mais, à cette péroraison si drôle et tout imprévue, il partit d’un rire franc et sonore. Le trouble de la jeune fille s’en accrut, et, de rouge, elle devint cramoisie.

Norbert lui prit la main.

–Pardoniez-moi, chère cousine, si je ris ainsi, lui dit-il, mais c’est si charmant, d’avoir été grondés ensemble.

«Elle est bien naïve, ajouta-t-il mentalement, peut-être même par trop naïve; mais elle me plaît ainsi. Si jolie et si simple! Elle se plaint à moi de ma mère et pour sûr elle n’y voit pas de mal, car moi je ne suis grondé que de loin en loin, tandis qu’elle, la pauvre enfant, qui ne la quitte pas, doit l’être souvent.. Quelle drôle de fille. et si douce!»

Mion, la femme de chambre, entra en ce moment et prévint mademoiselle qu’elle avait à sortir avec sa tante et que, par conséquent, elle avait à se dépêcher de faire toilette.

–Vous venez avec nous, lui dit Norbert, tant mieux. Cette visite aux dames de Noveterre que je redoutais, on ne sait pourquoi, se change maintenant en partie de plaisir.

Harlette rougit de nouveau, et, après une belle révérence, se disposa à sortir. La femme de chambre la suivit en lui disant que madame la comtesse lui défendait de mettre des fleurs dans les cheveux et à son corsage.

Norbert était redevenu très gai. Il se promettait de s’amuser beaucoup de ces dames qui, quoique ayant habité Paris, devaient être, il en était sûr, encore plus solennelles et plus provinciales que les autres.

Le trajet en voiture ne fut pas long,–une vingtaine de minutes seulement;–mais il lui parut infini, car la comtesse avait un air grave qui ne permettait pas aux jeunes gens de montrer un peu de gaieté; aussi se tenaient-ils comme des écoliers pris en faute, se regardant à la dérobée, et, chose étrange, les regards de la jeune fille étaient plus hardis que ceux de Norbert. Elle avait l’air de lui dire, d’un air protecteur, qu’il était bien LOvice pour se laisser ainsi intimider par l’humeur maussade de sa mère. Elle, elle y était habituée, et cela ne lui faisait rien, tant qu’on ne la grondait pas.

Cependant on arriva au château. C’était une grande maison, sans architecture. Elle n’était pas triste, car, dans cette saison, quelques arbustes en fleurs égayent encore dans le Midi le site le plus morose. D’ailleurs cette construction sans caractère, plus laide qu’une fabrique, ne saurait même vous donner une impression de tristesse. Ce qu’on peut ressentir, en la regardant trop longtemps, c’est plutôt un ennui profond, l’ennui que vous occasionne la contemplation prolongée de tout ce qui est incolore, insignifiant et vulgaire.

Le jardin qu’on traverse en partie est régulièrement planté. Des corbeilles de fleurs, entourées de bordures de buis, sont très symétriquement disposées en ronds ou en ovales réguliers. Elles étaient de plus, depuis l’arrivée de ces dames, fort bien soignées. Tous les jours on leur faisait la toilette, mais on la leur faisait peut-être un peu trop; en sorte qu’on aurait pu les comparer à ces poupées en cire, si irréprochablement coiffées, qu’on voit aux vitrines des perruquiers.

Ces dames de Noveterre y ressemblaient aussi, quoique ce fussent des personnes accueillantes et du meilleur monde. Ce n’étaient pas du tout des provinciales, comme Norbert l’avait d’abord supposé; mais ce qui était bien provincial, c’était leur salon, grande pièce du rez-de-chaussée, fraîchement tapissée d’un papier plus qu’ordinaire, meublée d’acajou, style notaire de village, et recouvert d’un classique velours d’Utrecht rouge. Les rideaux des fenêtres étaient d’étoffe et de couleur pareilles. Le tapis, ou pour mieux dire la carpette, car il ne couvrait pas tout le carreau, imitait la moquette, mais il jurait avec le rouge des rideaux, car les deux couleurs qui y dominaient étaient le violet et l’orangé. Une pendule, style Louis-Philippe, avec de grands candélabres de la même époque, garnissait la cheminée.

Quelques vases en faïence vulgaire étaient remplis de belles fleurs,–et tout cela était si méthodiquement rangé, si bien à sa place, qu’au premier coup d’oeil on jugeait que ce n’était pas une installation provisoire faite à la hâte; qu’elle était, au contraire, bien définitive, et que ces dames se plaisaient dans leur intérieur. On voyait même appendues aux murs et fort bien encadrées des aquarelles de mademoiselle Kitty, très sagement faites et ayant certainement une valeur artistique pour tout Anglais ou Américain amateur de peinture soignée dans les détails.

Kitty vint au-devant de la comtesse jusqu’à la porte du salon et lui fit une révérence très correcte, car elle avait appris, à ne jamais se tromper, les douze révérences différentes du bon vieux temps. Elle savait tendre le front ou la joue à une personne âgée, elle savait embrasser Harlette en lui témoignant une amitié de commande, comme elle savait témoigner à la comtesse un respect de commande. Elle savait installer la vieille dame dans un fauteuil, lui pousser un coussin brodé sous les pieds, comme elle savait installer Harlette sur une chaise, tout près d’elle et l’entourer de petits soins affectueux.

Elle savait aussi saluer Norbert avec un sourire bienveillant, sans minauderie, lui souhaiter la bienvenue, se réjouir de son arrivée, car madame de Vabran devait en être tout heureuse. Enfin elle était parfaite en tout point, jusque dans sa manière de pousser du pied la traîne de sa robe; car, toute jeune qu’elle fût, elle portait des robes à traîne. Elle montrait beaucoup de modestie, mais encore plus d’aplomb; elle paraissait si sûre d’elle-même, qu’on l’eût prise plutôt pour une femme de trente ans que pour une jeune fille de dix-huit. Sa parole nette, timbrée sec, comme le style de Mérimée, avait quelque chose qui vous engageait à vous tenir sur la réserve. D’ailleurs, elle parlait de tout judicieusement, selon les idées reçues, et faisait des phrases si bien arrangées, que si elles avaient été destinées à l’imprimerie, on n’aurait pas eu à en corriger les épreuves.

Quant à la marquise de Noveterre, il n’y a que deux mots à en dire pour en faire un portrait frappant de ressemblance: elle paraissait aussi respectable que sa fille, à cette différence près que l’affabilité de la marquise semblait plus franche. Ayant plus d’expérience et d’usage, elle savait mieux déguiser sa froideur native. Elle fit très bon accueil à Norbert, mais un accueil presque maternel, quoiqu’elle n’eût que trente-cinq ans et qu’elle fût encore très jolie. Peut-être, dans les propos qu’elle lui tenait et dans son maintien y avait-il encore une nuance de coquetterie, mais la nuance de sa robe, d’un brun foncé, ne permettait pas qu’on y prît garde.

D’ailleurs, chez elle comme chez sa fille, tout était correct. Un homme d’imagination se fût senti intimidé, ou tout au moins mal à l’aise, de les voir toutes les deux si irréprochables. Aussi Norbert, malgré son habitude du monde, avait-il comme une appréhension de commettre quelque maladresse. Il se surveillait tout le temps. Jamais encore cela ne lui était arrivé, car il savait que, pour plaire, il n’avait qu’à se laisser aller à son charmant naturel. Il se sentait une gêne, un malaise, il sentait qu’il n’était pas du tout chez lui, dans sa sphère, quoique ces dames appartinssent à la meilleure société. Leur plus grand tort, à ses yeux, était de manquer de simplicité, même dans le laisser-aller.

Quant à Harlette, elle ne savait plus où elle en était. Kitty arrangeait si bien ses phrases qu’elle n’osait lui répondre. Est-ce qu’elle savait parler, elle, la pauvre-petite? Est-ce qu’elle savait tourner un compliment avec élégance? Non, elle ne savait rien, sinon que si, pour son malheur, elle se mettait aussi à discourir, il lui échapperait sans doute quelque balourdise. Puis, très sincèrement, elle s’avouait son insuffisance, et comprenait que parmi des personnes d’une si haute distinction elle n’était qu’une sauvage. Ce fut pour elle une vraie souffrance, et elle se sentait encore plus mal à l’aise que son cousin, qui lui, au moins, n’en laissait rien paraître. Peut-être, si elle avait pu deviner sa gêne, en eût-elle été presque consolée.

La visite fut très longue, ou du moins elle parut telle à nos deux jeunes gens. Quand la comtesse se leva pour donner le signal du départ, Norbert poussa un soupir de soulagement, tandis que les yeux de la petite, qu’elle tâchait de tenir baissés, étincelèrent de joie.

Toutefois cette joie ne fut que de courte durées On était remonté en voiture pour rentrer à la Renède. La comtesse était souriante, ce qui ne lui arrivait que rarement, et parlait avec abondance. Elle ne tarissait pas sur l’unique sujet qui l’intéressât. Rien n’était comparable aux charmes de Kitty. Norbert répondait qu’en effet cette jeune personne était parfaite; mais, à part lui-même, il se disait que c’était justement le charme qui lui manquait.

Harlette n’entendait que ses paroles et ne pouvait deviner ses secrètes pensées. Elle entendait louer cette jeune fille,–ce n’était que justice,–mais cela lui faisait mal. Elle n’osait certainement pas se comparer à mademoiselle de Noveterre; mais aussi pourquoi la menait-un dans cette maison? Sa tante n’était pas une méchante femme, après tout; d’ailleurs elle n’avait aucun intérêt à l’humilier. Autrefois, quand on allait chez ces dames, on n’y allait que toutes les deux; personne donc n’était témoin du rôle ridicule de comparse que la pauvre fille avait à y jouer; mais aujourd’hui, c’était bien différent. Son cousin était venu avec elles, il avait pu l’observer tout le ’temps.

Et comme elle faisait toutes ces réflexions, son petit amour-propre se cabra. Elle sentait qu’elle en valait bien une autre, car elle était jolie et qu’elle avait bon cœur. Et puis, la veille, son cousin s’était montré plus aimable pour elle que ’pour la vicomtesse Aline, qui pourtant était aussi une personne fort distinguée et remplie de talents. Pourquoi donc aujourd’hui chez ces dames avait-il fait semblant de ne pas même s’apercevoir-de sa présence? C’est que, pour sûr, cette Kitty l’avait ébloui et qu’il ne pouvait plus penser qu’à elle.

Sous les chênes verts

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