Читать книгу Sous les chênes verts - Nicolas de Séménow - Страница 8

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VI

Le lendemain, Norbert, ayant décidé en lui-même qu’il ne s’exposerait que le plus rarement possible à de petites scènes de famille comme celle de la veille, annonça à son valet de chambre qu’il partait pour la chasse; qu’on ne l’attendît pas pour le déjeuner, et que peut-être même souperait-il dehors avec son ami le baron de Verton. Il chaussa donc ses guêtres, prit un fusil et, sur les huit heures du matin, descendit dans le parc pour gagner la montagne, où, si la chance lui était exceptionnellement favorable, il risquait de rencontrer un perdreau ou quelque lapin égaré.

Une fois dehors il respira à pleins poumons et, regardant autour de lui, il se dit que ce parc merveilleux était vraiment un paradis terrestre. Aux premiers rayons du soleil matinal, avec des gouttelettes de rosée dans la verdure, avec ce million de mouches à miel qui bourdonnaient et ces oiseaux qui chantaient si gaiement dans les grands chênes, avec ce fleuve majestueux et tranquille tout resplendissant de lumière, il pouvait certainement se croire dans un coin du monde créé tout exprès pour les âmes sensibles aux grandes beautés de la nature et susceptibles de. s’élever très haut par l’admiration. D’ailleurs ce coin du monde était si merveilleusement harmonieux que la main de l’homme, qui souvent flétrit ce qu’elle voudrait embellir, s’y sentait à peine.

On eût dit que la nature elle-même avait jeté dans cette montagne, couverte de romarins et de buis, quelques arbres rares et des bosquets de lauriers-roses dont les grappes de fleurs faisaient plier les branches. Norbert s’enivrait de ses sensations; mais, en même temps, il avait comme une oppression, quelque chose qui lui pesait sur le cœur. Ce sentiment, nouveau pour lui, n’était ni plus ni moins que l’ennui; aussi ne le comprenait-il pas. Il n’était arrivé que depuis trois jours dans ce beau château qu’il aimait comme on aime une personne, et pourtant il s’y sentait comme dépaysé. Il n’était plus dans sa sphère; il ne vivait plus de sa vie, de cette belle vie jeune, qui aurait dû si bien s’épanouir dans un cadre merveilleux comme celui-là. Mais, dans ce beau cadre, tout était morose. Il y régnait une tristesse, une tristesse profonde, qui s’y était installée en maîtresse si absolue que tout éclair de joie y eût paru discordant.

Notre jeune homme en était là de ses réflexions, lorsqu’il aperçut de loin sur un banc, sur le même banc où il l’avait vue pour la première fois, sa jolie cousine. Elle était, comme alors, vêtue d’un peignoir blanc, chaussée de bas à jour et de pantoufles roses; seulement, pour se dédommager de ne s’être pas la veille parée de fleurs, en avait-elle partout. Elle tenait encore un livre à la main, mais sa main était sur ses genoux, et le livre à demi fermé. Elle paraissait réfléchir aux choses tristes qu’elle venait de lire, car ses yeux levés-vers les cimes des grands chênes étaient comme noyés de mélancolie. Certes, elle avait du chagrin, la chère enfant,–dans l’abandon de sa pose il y avait comme de l’affaissement.

Elle ne s’attendait probablement pas à voir apparaître son cousin, quoique, entre nous, c’était à lui quelle-pensait, et, dès qu’elle le vit, elle eut un mouvement nerveux comme lorsqu’on se réveille en sursaut. Cependant, toute troublée et baissant les yeux, elle se-souleva de son banc pour le saluer. Norbert l’arrêta, et la prenant par la main:

–Pas tant de cérémonies, chère cousine, je vous en supplie, lui dit-il. Ce sont les cérémonies qui tuent la gaieté ici,… comme dans les environs. Promettons-nous de ne plus en faire quand nous nous trouverons seuls par hasard, comme ce matin. Cela nous rajeunira, vous verrez.

–Mais, monsieur Norbert, il me semble que je ne suis pas cérémonieuse du tout, on me le reproche assez;–si je pouvais ressembler à mademoiselle de. Noveterre!

–Gardez-vous-en bien;–vous ne savez donc pas qu’elle est en carton?

–Comment, mademoiselle Kitty, vous ne la trouvez donc pas parfaite? et cependant vous disiez hier à ma tante.

–Je lui disais des choses qui devaient lui faire plaisir, puisqu’elle paraît fanatique de la demoiselle.

Les yeux d’Harlette, qui jusqu’à ce moment avaient évité ceux de son cousin, se fixèrent sur lui, questionneurs, mais brillants de gaieté; puis, confuse d’avoir si hardiment regardé un jeune homme avec lequel elle était en tête à tête, elle se mit à rougir, comme rougissent les enfants, non pas légèrement, mais en plein, des joues au front et au menton. Ce qui augmentait encore sa confusion, c’était ce mot «tête-a-tête» qui lui était venu à l’esprit, et, comme elle avait lu quelques romans a la dérobée, elle se souvenait qu’un tête-à-tête était chose défendue et que, pour une jeune fille, c’était même une chose honteuse. Aussi, lorsque Norbert lui adressa nouvellement la parole, ne sut-elle plus lui répondre que par des «oui» et des «non».

–Qu’est-ce qui vous prend, ma cousine? lui dit-il alors. Voilà que de nouveau vous me traitez en étranger. Avez-vous donc oublié que nous avons été grondés ensemble?

La cousine ne sut que répondre, sinon qu’elle regrettait que son cousin eût été grondé, et comme celui-ci voyait qu’il n’en tirerait plus rien, il la salua de la main et partit pour la chasse. Cependant il partit en pensant à elle. Il la trouvait charmante, charmante surtout quand elle se troublait et rougissait, car ses yeux à demi baissés devenaient alors plus brillants. Quelques larmes qui y montaient furtives leur donnaient un éclat inaccoutumé. Enfin, elle avait cela pour elle qu’elle ne ressemblait nullement aux jeunes filles parisiennes dont l’aplomb, corrigé par une modestie de commande, semble dénoter une certaine expérience de la vie;–expérience dont elles se montrent fières. Or, l’expérience chez la jeune fille, c’est le dédain des enthousiasmes de la jeunesse, c’est le jugement acquis qui domine l’amour, tandis que chez cette petite Harlette, il y avait encore tout le charme, toute la simplicité d’un cœur qui ignore son prix.

Ainsi raisonnait notre ami Norbert en se promenant, le fusil sur l’épaule, dans un coin de la garrigue où quelques années auparavant il avait aperçu une bécasse. Le soleil était bon, l’air pur et parfumé, le silence absolu. Une fauvette qui chantait dans un petit bois voisin était seule à le rompre, et son chant, d’une mélodie plus fine, plus délicate que celui du rossignol, qui n’aime à exécuter que de grands morceaux brillants, comme un premier sujet d’opéra, berçait Norbert dans sa rêverie.

Pendant ce temps, la jolie Harlette, parcourant les allées du parc et ses sentiers bordés de rosiers, réfléchissait sérieusement à la conduite qu’elle venait de tenir. Ses réflexions commençaient toujours par: «Que va-t-il penser de moi? Pourquoi lui ai-je témoigné tant de joie quand il a parlé de mademoiselle de Noveterre d’une façon si inconvenante? Il a dit qu’elle était en carton. Je ne lui ai pourtant rien répondu, mais je sens que mes traits ont dû exprimer cette joie qui était au fond de mon cœur. Et pourquoi mon cœur était-il en joie? Mademoiselle de Noveterre ne m’a jamais fait que bon accueil et ne m’a jamais témoigné que de l’amitié; aussi est-ce bien mal à moi de me réjouir quand on en parle irrévérencieusement. Serais-je envieuse d’elle? C’est peut-être cela, ce doit être cela, et mon cousin l’aura deviné. Quelle honte! Y a-t-il rien au monde de plus bas que l’envie? Mon père me disait qu’une personne bien née ne pouvait être envieuse, qu’elle ne devait pas seulement comprendre un sentiment si vil. Et mon cousin aura deviné que j’étais envieuse. Quelle honte! et que va-t-il penser de moi?»

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