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I
Оглавление—Ainsi, monsieur de Charaintru, c'est bien entendu, vous nous faussez compagnie demain matin? demanda Mme de Guermanton.
—Oh! pas pour longtemps! Et je serai de retour dans la soirée même, répliqua le vicomte. Mais je ne puis réellement pas refuser une invitation aussi courtoisement faite. A combien sommes-nous ici de Bois-Peillot?
—A trois petites lieues, dit M. de Guermanton. Je ferai atteler demain à dix heures et vous serez arrivé à Bois-Peillot vers onze heures et demie, juste pour l'heure du déjeuner.
—Non, interrompit le vicomte. Je suis à la campagne, je veux en profiter. Je me rendrai chez mon ami Pottemain, à cheval, si toutefois vous le permettez. Je partirai de bonne heure et cela me procurera ainsi l'occasion d'une longue promenade à travers la forêt.
—A votre aise! Je donnerai des ordres pour qu'on vous tienne sellé le cob que vous avez monté hier. Savez-vous, continua M. de Guermanton en souriant, que vous allez faire des envieux et que je connais ici pas mal de gens qui voudraient bien pouvoir vous suivre et passer, derrière vous, la grille du mystérieux manoir de Bois-Peillot.
—Comment cela? demanda Charaintru. Je ne comprends pas.
—Je crois bien, expliqua le châtelain, que vous serez depuis plusieurs années le premier étranger admis à pénétrer chez le baron Pottemain. Le baron vit absolument retiré. Bien que voisins, nous n'avons jamais eu ensemble la moindre relation... Si, une fois, nous nous sommes rencontrés chez le notaire de Souvigny où nous avions à régler une question de délimitation de propriété. M. Pottemain m'a paru un homme d'humeur taciturne, mais bien élevé. Depuis, nous nous saluons, lorsque d'aventure nous nous trouvons face à face au cours d'une promenade, ou à la chasse. Cela nous arrive assez fréquemment, car j'ai une terre enclavée dans sa propriété, mais jamais nous n'avons depuis échangé un seul mot.
—C'est curieux, fit Charaintru; il y a fort longtemps que je connais Pottemain, bien que je l'aie perdu de vue depuis pas mal d'années, mais autant que je puis m'en souvenir, sans être un gai compagnon, il était plus sociable.
—Il ne voit absolument personne et je crois bien que, depuis la mort de sa femme, il ne s'est jamais absenté de Bois-Peillot. Dans tout le pays, il inspire une sorte de crainte mêlée de curiosité. Une seule personne pourrait peut-être donner quelques renseignements sur ce singulier personnage, c'est le docteur Marsay, médecin à Souvigny, qui a été appelé à soigner la baronne durant sa dernière maladie, mais le brave docteur est muet comme une carpe... Si on l'interroge, il se retranche derrière le secret professionnel. Ajoutez à cela qu'on n'a aucun détail sur les antécédents du baron... La terre de Bois-Peillot appartenait à Mme Maslet, veuve d'un grand industriel. Cette dame passait tous ses hivers à Paris. Un beau matin elle arriva, accompagnée du baron Pottemain, dont on n'avait jamais entendu parler, et qu'elle venait d'épouser. Les nouveaux mariés ne firent aucune visite et restèrent confinés dans leur château. Les méchantes langues du pays eurent beau jeu, car le baron était de douze années plus jeune que sa femme. Mais le couple laissa dire, et l'incident était oublié lorsqu'on apprit subitement le décès de la châtelaine.
—Pardon! interrompit Charaintru, le bruit ne courut-il pas...
—Que la baronne avait été victime d'un accident? termina M. de Guermanton. Oui, mais le docteur Marsay resta impénétrable et il fut impossible d'apprendre comment était morte Mme Pottemain. On sut seulement que le baron qui, paraît-il, adorait sa femme, avait été pris d'un accès violent de désespoir... Il fit construire au fond de son parc un admirable mausolée, surmonté d'un buste...
—Oui, je sais, dû à mon ami le sculpteur Romagny.
—Et on ne le vit plus désormais que vêtu de noir de la tête aux pieds, portant un deuil éternel... Voilà tout ce qu'a jamais pu nous apprendre la chronique, même la plus malveillante... Quand je vous aurai dit que ses tenanciers le craignent comme le feu et qu'on l'a surnommé dans la contrée le sournois, vous en saurez autant que moi...
—J'en saurai plus, dit Charaintru, car, ainsi que je vous l'ai dit tout à l'heure, j'ai connu le baron Pottemain avant son mariage. A mon tour donc de vous renseigner... Pottemain passait pour posséder une assez belle fortune. Il avait des chevaux, une installation charmante et appartenait à cette catégorie de désœuvrés qu'on trouve l'après-midi au Bois, conduisant leur buggy plus ou moins bien attelé, le soir, au cercle ou au théâtre et dans les endroits où l'on s'amuse. Toutefois, il ne se fit jamais remarquer par aucune folie, ni aucune excentricité. On le considérait comme un garçon sérieux. Il jouait, racontait-on, beaucoup à la Bourse. Un beau jour, on apprit qu'il était ruiné, mais il n'était pas homme à se laisser abattre. Après quelques mois d'absence, il reparut, paya ses créanciers et annonça son prochain mariage avec une veuve fort riche, qu'il ne présenta à personne. Depuis je n'ai eu de ses nouvelles que deux fois: la première fois, je fus chargé par lui de négocier avec le sculpteur Romagny, mon ami, le prix d'un buste que Pottemain avait l'intention de lui demander. Romagny fit le voyage, exécuta la commande et c'est sans doute son œuvre qui orne le mausolée de la défunte baronne. Venant passer quelques jours auprès de vous, à trois lieues de mon ex-ami, je ne pouvais moins faire que de lui signaler ma présence à Guermanton. Il répond par une invitation à déjeuner... Demain, je serai son hôte, mais je vous avoue que tout ce que vous m'avez raconté a piqué vivement ma curiosité et que demain j'ouvrirai tout grands mes yeux et mes oreilles.
En ce moment, la pendule du salon sonna dix heures.
—Votre récit, dit en riant le châtelain au vicomte de Charaintru, a si vivement intéressé vos auditeurs, que nous avons tous oublié l'heure...
—En effet, fit Mme de Guermanton, les enfants devraient être couchés. Mademoiselle Pauline, ajouta-t-elle en se tournant vers une grande jeune fille, voulez-vous les emmener... Allez dormir, mes chers petits...
Georges et Berthe, âgés l'un de dix ans et l'autre de huit ans, se levèrent aussitôt et coururent embrasser leurs parents, puis quand ils furent sortis, suivis de leur institutrice:
—Ces enfants sont charmants, fit observer M. de Charaintru, et je vous fais mon compliment pour la façon dont ils sont élevés.
—Tout le mérite en revient à Mlle Marzet, se hâta de répondre M. de Guermanton. C'est une jeune personne accomplie, d'une excellente famille. J'ai beaucoup connu son père et elle est pour nous d'un dévouement... Une amie plutôt qu'une institutrice...
—Qui n'a que le défaut d'oublier parfois un peu trop que, si nous l'aimons beaucoup, elle n'est néanmoins pas chez elle ici, interrompit d'un ton très sec Mme de Guermanton.
Mais le châtelain se hâta de couper court:
—Ne sois pas injuste, ma chère Jeanne, nous devons beaucoup de reconnaissance à Mlle Marzet... Maintenant, mon cher hôte, à quelle heure monterez-vous le cob demain matin?
—A huit heures et demie, répondit le vicomte.
—Vous le trouverez tout sellé à l'heure dite, au bas du perron... Et maintenant, bonne nuit!
Les deux hommes se serrèrent la main, et le vicomte de Charaintru regagna sa chambre, cherchant dans son esprit une raison à l'animosité de Mme de Guermanton contre une institutrice si pleine de qualités.