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IV
ОглавлениеCe fut vers cette époque que la famille de Guermanton reçut la visite de M. de Charaintru.
Le vicomte était une vieille connaissance de Jacques. Il appartenait à cette catégorie d'hommes inutiles, frivoles, mais bons enfants et incapables d'une méchanceté préméditée, qu'on tolère à cause de leur insignifiance même.
—Charaintru n'est pas toujours amusant, disait plaisamment de lui M. de Guermanton, mais comme il change beaucoup de place, il sait toujours du nouveau. On ne se souvient pas de ce qu'il a dit, mais on trouve parfois à l'entendre un assez vif plaisir. Il est du reste au courant de tout; c'est sa fonction. Il sait le nom de l'étoile qui se lève, du cheval de courses qui gagnera le Grand-Prix l'an prochain, du jockey qui se tuera demain. Il est le canal naturel de tous les cancans et de tous les potins. Bref, insupportable à Paris, on le recherche presque à la campagne, car il fait contraste avec la majestueuse monotonie des bois!
A Guermanton, Charaintru s'était souvenu de la proximité de la résidence de son ancien ami, le baron Pottemain.
Ce qu'on lui avait appris concernant le mystère dont s'entourait le bizarre personnage avait piqué vivement sa curiosité.
A tout hasard, il avait écrit et il avait été ravi de l'invitation qu'il avait reçue.
Par là, il était assuré, sinon de pénétrer le secret de cette énigme vivante, au moins de voir ce que ni M. de Guermanton, ni les gens du pays n'avaient jamais vu: l'intérieur du château de Bois-Peillot.
Maintenant, quelle pouvait être la pensée du baron en recherchant la visite d'un ami oublié et lui montrant ce qu'il ne montrait à personne?
C'est ce que Charaintru se promit d'éclaircir.
Si l'on en juge par les ouvertures que lui fit le Normand, l'événement l'avait servi à souhait.
Aussi rentra-t-il à Guermanton, radieux et triomphant.
Avec une exubérance de termes et de gestes extraordinaires, il raconta les péripéties de son voyage, la réception princière qu'on lui avait faite, mais il insista surtout sur l'impression étrange qu'il avait ressentie quand il avait vu surgir au milieu de ce site désolé, sur le perron du manoir délabré, la silhouette du baron, tout de noir vêtu, dans lequel il avait eu toutes les peines du monde à reconnaître l'ancien clubman.
Et comme le portrait physique qu'il faisait de son hôte tournait à la satire, Mme de Guermanton l'interrompit:
—Mais M. Pottemain, dit-elle, est très distingué par ses sentiments, à ce qu'on assure. Et à défaut des grâces de nos jeunes gens à la mode, dont il manque peut-être un peu, il est intéressant par ce veuvage prématuré qui a fait, de sa vie, un tête-à-tête avec un tombeau.
—On ne s'en douterait pas à l'entendre, reprit en riant M. de Charaintru; il doit avoir récemment chargé son cœur sur son dos, las qu'il était de le porter en écharpe, et je ne serais pas surpris que la besace de devant fût ouverte et prête à accueillir de nouveaux sentiments. J'en juge par la question la plus extraordinaire qu'un veuf puisse poser, s'il n'a pas le projet de convoler en secondes noces.
—Racontez-nous cela bien vite! s'écria Mme de Guermanton.
—Voici, reprit le vicomte. Pottemain m'a demandé si je connaissais Mlle Pauline Marzet, quels étaient son origine, ses tenants et ses aboutissants. J'avoue avoir été tout d'abord assez embarrassé et il m'a fallu un instant pour comprendre qu'il s'agissait de mademoiselle, dont les traits aimables sont mille fois mieux gravés dans ma mémoire que son nom et sa généalogie.
—Voilà, dit Pauline, qui avait changé de couleur, un récit qui pèche contre la vraisemblance. Ce monsieur ne m'a jamais vue! Pour ma part, je serais curieuse de connaître le visage et l'histoire d'un homme assez fou pour songer à moi.
—Il prétend, au contraire, repartit Charaintru, vous avoir aperçue une fois, mademoiselle, et avoir conservé de cette vision une impression très vive. Quant à lui, si vous me demandez mon avis, il n'est pas très beau, comme je vous le disais tout à l'heure. D'autre part, puisque vous paraissez désirer être renseignée sur lui, Pottemain serait un baron d'assez fraîche date, si l'on en croit la chronique qui le donne pour arrière-petit-fils du citoyen Pottemain, sans-culotte normand redoutable, ayant mangé sous la Terreur de la chair fraîche d'aristocrate et du bien national à pleines dents.
—Encore vos médisances qui vont leur train! fit Mme de Guermanton. Mon Dieu, comme vous êtes inconsidéré dans vos propos!
—Allons, bon! dit Charaintru, j'ai encore mis, sans le savoir, les pieds dans un jeu de quilles. Au surplus, c'est mon habitude. Je passe pour n'avoir fait que ça toute ma vie. Il faut en accuser seulement ma sincérité. On peut la maudire, mais quand on m'a entendu, on sait le menu des choses.
—Permettez, dit Jacques, on le sait dans la mesure où vous le savez vous-même.
—Soit! Puisqu'il vous déplaît de voir ces dames aussi bien informées que moi, n'en parlons plus! Il me reste à remplir la seconde partie de ma mission... Du diable si je me doutais ce matin revenir de Bois-Peillot chargé d'une ambassade! Mon ami Pottemain aurait une offre à faire à M. de Guermanton et il m'a prié de vous demander officiellement s'il vous serait agréable de le recevoir?
—Mais sans aucun doute, repartit le châtelain. Pourquoi pas?
—J'avais pensé, continua Charaintru, à une partie de chasse que nous organiserions et au cours de laquelle nous pourrions rencontrer le baron, ceci pour masquer la solennité gênante d'une première entrevue.
—Soit, dit M. de Guermanton. Ce projet me paraît sage et nous le mettrons cette semaine à exécution.
—Maintenant, je vous demande la permission d'aller quitter mon costume de cheval.
M. de Guermanton sortit derrière le vicomte.
Les deux dames, restées seules, gardèrent un instant le silence.
Tout à coup Pauline, rassemblant son courage, dit à brûle-pourpoint à la châtelaine:
—Le baron Pottemain serait-il par hasard le mari que vous me destinez?
—Pourquoi pas? répliqua tranquillement Mme de Guermanton.
—C'est aller un peu vite, hasarda Pauline, car enfin la réputation du baron et le portrait que vient d'en faire M. de Charaintru...
—Que dites-vous? répliqua vivement Jeanne. Quelle réputation a-t-il? Le connaissez-vous? Que son aïeul ait été un ogre, quelle influence cela peut-il exercer sur son caractère? Et de quel droit un bavard inutile, qui parle de tout à tort et à travers, vous imposerait-il une opinion toute faite, lui qui jamais n'a pu s'en faire une raisonnable sur quoi que ce soit? Quant au physique..., je prétends pour ma part que ces questions de figure, dont vous faites si grand cas, n'ont pas l'importance qu'on leur prête... Pour ma part, je reprocherai toujours à Bossuet d'avoir fait dépendre le sort de l'empire romain du nez de Cléopâtre... Pour un théologien, c'était outrager la Providence. On gagnerait gros, si l'on connaissait toujours l'humeur et la position des gens avant leur visage et l'on apprendrait plus à causer avec un inconnu pendant six mois à travers une porte qu'à le prendre pour mari sur la foi de la frisure, des gants glacés et des bottes vernies d'une première entrevue...
—Cependant, dit Pauline, l'impression première qu'on ressent à la vue de quelqu'un trompe rarement...
—Ces impressions s'évanouissent à l'user, dans la pratique de la vie... On finit par ne plus voir les figures. Le caractère lui-même s'en va aussi en fumée. Il ne reste de tout cela que des conditions générales plus ou moins bonnes d'existence commune. Le bien-être devient plus cher que les personnes, et le sentiment du devoir accompli éclipse l'amour...
—Me ferez-vous croire, madame, s'écria Pauline, que l'on ne se marie jamais en somme qu'en vue de se créer un avenir? Me ferez-vous croire que vous, à qui le ciel a départi le meilleur, le plus beau et le plus chevaleresque des époux, vous n'ayez vu en lui que la jonction de deux fortunes? Laissez-moi penser que vous avez commencé par le préférer à tous et par l'aimer!
—Je comprends, riposta ironiquement Mme de Guermanton, que vous préjugiez mal du baron sans le connaître. Règle générale, vous trouvez tous les hommes moins bien que mon mari!
—Je ne préjuge de rien, fit Pauline blessée par cette allusion, et j'ai hâte de me rencontrer avec le châtelain de Bois-Peillot, afin de me former une idée de son mérite extraordinaire. J'ai le cœur si libre, ajouta-t-elle avec hauteur, que si votre homme n'est pas un monstre, et à supposer qu'il soit exact que je lui plaise, je vous promets de l'épouser avec le plus grand empressement.
—A la bonne heure, dit Mme de Guermanton.
—Seulement, poursuivit Pauline, comme je me défie de mon propre jugement en cette grave matière, plutôt que de causer avec lui pendant six mois à travers une porte, j'essaierai de me faire une opinion sur son compte dans un plus bref délai et en le voyant, à l'œil nu, s'il se peut.
L'annonce d'un événement aussi inattendu et sa conversation avec la châtelaine avaient profondément troublé Pauline Marzet.
L'idée qu'on prêtait au baron Pottemain d'épouser une institutrice qu'il avait à peine entrevue, lui semblait à ce point invraisemblable qu'elle se demandait si tout ceci n'était pas le résultat des intrigues de Jeanne, qui voyait là assurément une occasion de l'éloigner définitivement de Guermanton.
Pour en avoir le cœur net, elle conçut le projet d'interroger M. de Guermanton.
L'occasion de l'entretenir seule à seul se présenta le lendemain dans l'après-midi.
Elle donnait au fond du parc une leçon de botanique à Berthe et à Georges, lorsque subitement Jacques apparut au détour d'une allée.
Elle s'approcha et aborda carrément la question.
Était-ce bien sérieusement que, depuis la veille, Mme de Guermanton lui parlait de mariage comme d'une chose possible?
Quelle espèce d'intérêt pouvait bien avoir la châtelaine à l'entretenir d'un projet aussi invraisemblable, elle qui n'était qu'une orpheline pauvre?
Comme Jacques gardait le silence:
—Parlez-moi franchement, reprit-elle, vous qui ne m'avez jamais trompée. Servez-moi une dernière fois, vous que j'ai toujours loyalement servi! Dans quel dessein un homme aussi riche pourrait-il se décider à épouser une fille pauvre? Comment même y a-t-il pu songer? Et y songe-t-il seulement?
M. de Guermanton, tout en affectant dans sa marche lente et régulière de jouer avec les cheveux d'or de sa petite fille, se contenta de répondre:
—Vous me demandez un conseil? Eh bien, en conscience, si vous trouvez à vous marier, je vous conseille de vous marier.
—C'est bref, fit Pauline avec dépit. Depuis quelque temps vous me parlez beaucoup moins qu'à l'ordinaire. Je puis à peine vous arracher un mot sur les sujets qui me touchent le plus.
—Pauline, vous me faites beaucoup de peine! fit M. de Guermanton sur un ton d'affectueux reproche.
Pauline tressaillit et leva les yeux avec inquiétude. Elle vit que Jacques la regardait avec une fixité pleine de tendresse.
—Je vous en supplie, reprit-elle, expliquez-moi ce que je dois faire... et pourquoi je dois le faire.
—S'il le faut, je vous répondrai, repartit résolument M. de Guermanton, mais ce ne sera point devant mes enfants.
—Soit... il est aisé de les éloigner.
—Oh! non, pas à présent, dit Jacques avec une intention prudente, un peu plus tard, en présence de Mme de Guermanton.
—Mais Mme de Guermanton me hait! s'écria Pauline.
—Laissez-moi vous assurer que vous vous méprenez sur ses sentiments... Ils sont tout autres... Quant à l'explication que vous désirez, vous l'aurez, je vous le promets...
Elle eut en effet lieu, le soir après dîner, entre Jacques, la châtelaine et Pauline. Elle fut assez vive, mais concluante.
—En résumé, dit Jacques, après quelques escarmouches entre les deux dames, un veuf riche qui passe pour avoir rendu sa première femme heureuse, pense à vous, ne pouvant prétendre à trouver à la fois chez une seconde femme et les grâces que vous avez et la fortune que vous avez perdue. Je comprends, si vous voulez, que la proposition vous surprenne, car un veuf riche, sans enfants, trouve toujours à épouser la fortune en secondes noces. Mais il ne lui est pas défendu de préférer vos mérites à une seconde fortune qui lui est superflue. C'est donc affaire à votre modestie. Vous vous dites:
—La préférence de cet homme n'est pas justifiée.
Pour moi je ne la trouve que trop justifiée par les qualités que je vous reconnais et je m'explique facilement sa préférence. Ah! si c'était le contraire, si c'était vous qui eussiez songé la première à ce mariage, c'est lui qui aurait le droit de se défier. Car, soit dit entre nous, qu'y a-t-il de plus venimeux que la politique des filles pauvres? Mais vous qu'injustement, et depuis votre naissance, le destin a ruinée, vous qui, par tradition, saurez demain être riche sans que la tête vous tourne, je ne vois pas ce que vous appréhendez... Maintenant, Pauline, qu'il ne soit plus question entre nous de ce mariage... Je ne l'ai pas inventé, moi! Du moment que vous nous quittez, je n'accepte pas la responsabilité de votre bonheur. Et croyez pourtant qu'il m'est aussi cher que le mien...
—Une seule question, dit simplement Pauline. Vous qui me le souhaitez pour époux, le choisiriez-vous pour ami? Et encore des amis qui ne se conviennent plus peuvent se quitter, mais des époux...
—Je vous le dirai dans deux jours, quand nous l'aurons vu, fit avec hésitation le châtelain que cette question semblait embarrasser.