Читать книгу Contre vent et marée - Paul Réveillère - Страница 5
I
ОглавлениеPeu de mois avant mon entrée à l’école navale, je dus assister à un bal donné par une vieille tante qui jouissait de quelque fortune et de beaucoup de considération. Quel ennui pour un sauvage!... Ma vie s’était écoulée à la campagne, où mon père passait le temps dont mon éducation lui permettait de disposer. Au lieu de promener dans un salon l’ennui et l’embarras de ma gauche personne, j’aurais mieux aimé lutter avec des paysans dans une assemblée. chacun prend son plaisir où il le trouve. Si je ne tenais guère à une raie bien faite et des cheveux bien lissés, je mettais mon amour propre à courir pieds nus, dans les champs où la moisson venait de tomber sous la faucille, sur les pointes des chaumes fraîchement coupés.
Partout je voyais des visages moqueurs. Dieu sait si l’on songeait à moi; mais la vanité revêt les formes les plus diverses: la mienne consistait, en ce moment, à étonner de mon ridicule, et je me demandais naïvement si ma retraite derrière un rideau n’avait pas produit un trop grand émoi. De ma cachette, je contemplais avec une colère jalouse les groupes des danseurs. L’aisance et la grâce de mon frère aîné me transportaient d’admiration; la distinction avec laquelle il portait ses épaulettes d’enseigne lui valait, parmi les demoiselles à marier, plus d’un sourire. Quant à lui, absorbé par une gracieuse blonde aux yeux noirs, il restait indifférent à toutes ces jolies mines provocantes.
La belle blonde paraissait fort sensible à ces hommages. Elle et mon frère, tout entiers l’un à l’autre, oubliaient la foule qui les entourait.
Après une valse fort animée, les deux amoureux s’assirent près de mon asile, et malgré moi, je devins leur confident.
–Vous consentez donc, dit mon frère, à cette grande démarche?
–Si je consens!... Faut-il vous avouer aussi tout mon désir du succès?
–Je tremble de voir ma demande ropoussée.
–Pourquoi?... Mes parents adorent leur unique enfant; je n’ai point fait mystère de mon penchant pour vous. Vous portez les épaulettes d’un corps auquel mon père est fier d’avoir appartenu. Nos familles d’aisance égale se connaissent et s’estiment depuis longtemps. Pour tout vous dire enfin, on ne voit point vos assiduités de mauvais œil.
–Puissiez-vous dire vrai!... Je ne supporterais pas sans mourir la douleur de vous voir à tout autre que moi.
–A un autre que vous.... jamais!
–Vous me le promettez.
–Je le jure.
–Mon frère se leva.
Les deux jeunes gens se quittèrent à peine de la soirée.
Je n’étais pas seul à les observer. Un sombre personnage, décoré de plusieurs ordres, au front dégarni, au port orgueilleux, les considérait avec une obstination méchante. Je m’informai du nom de ce malveillant inquisiteur. On l’appelait le comte de D***; la voix publique le désignait comme l’un de nos meilleurs amiraux: sa fortune passait pour immense.