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V

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Je redoutais bien un peu notre première rencontre, dont l’amiral serait probablement témoin, mais je me rassurai en songeant au merveilleux sang-froid de la femme quand son amour est en jeu.

Le hasard–la fatalité plutôt–seconda mes projets. A mon arrivée au casino, je trouvai un appartement voisin de celui de la comtesse; la chambre du comte seule nous séparait.

Les dernières lueurs du crépuscule répandaient une clarté vague; l’orchestre jouait depuis quelques instants, quand l’amiral, accompagné de sa femme vêtue de noir,–à la mort de mon frère, elle avait pris le deuil pour ne le plus quitter–descendit au jardin. Les deux époux s’assirent dans l’ombre d’une tonnelle à l’épais feuillage. Quand je passai devant le berceau de verdure, un soupir réprimé me parvint à l’oreille. j’étais reconnu.

La soif de vengeance, le délire de la passion m’enfiévraient. la musique m’agaçait, la foule m’irritait; une querelle m’eût soulagé.

Que pensait-elle? Qu’est-ce que les deux époux pouvaient se dire?... Ah1si Satan achetait encore les âmes qu’il a maintenant pour rien, j’aurais vendu la mienne pour assister invisible à ce sombre tête-à-tête.

Enfin un galop bruyant annonça la fin de cet interminable concert. Mon cœur battit avec un redoublement de violence, quand la comtesse se dirigea vers le pavillon de l’hôtel. Certain d’être inconnu de l’amiral, je les suivis en fredonnant l’air du chevalier mort en Palestine, et j’entrai dans ma chambre au moment où mes voisins s’enfermaient chez eux.

Elle me savait près d’elle.

Assis près de ma fenêtre, je regardais machinalemeut les reflets de la lune sur la mer calme, tantôt bercé par le murmure des vagues sur les galets du casino, plus souvent absorbé par cette question. Et maintenant que faire?

Que faire? Ecrire? Mon pouvoir ne résidait-il pas tout entier dans ce regard où ma mère retrouvait celui de son cher mort.

Puis songeant aux conseils que Balzac donne aux maris de dormir agréablement, j’écoutais les ronflements du comte.

Le temps passait. L’amiral ronflait. La lune donnant en plein dans l’appartement souriait à la mer. et, peu à peu, je tombai dans un état intermédiaire entre la veille et le rêve.

Un léger bruit me rendit à moi-même. La porte s’ouvrit doucement pour laisser pénétrer une ombre blanche,–une femme en peignoir, les pieds nus, les cheveux flottants, éclairée par la lune.

Elle s’avança vers moi comme un fantôme.–

Sans embarras, sans hésitation, elle s’assit sur mes genoux et m’entoura de ses bras.

La fixité de ses regards, l’étrangeté de ses mouvements ne me permirent aucun doute. une hallucination me la livrait.

–Pourquoi, me dit-elle, as-tu tant tardé à venir?... il y a loin, sans doute, de France aux champs glacés du pôle, mais, quand ils veulent, les morts vont vite. Qu’as-tu, mon bien-aimé?... D’où vient cette froideur, pourquoi recevoir ainsi ton amie?

Des larmes roulèrent sur ses joues pâles.

–Tiens, reprit-elle étonnée. Je pleure, c’est la première fois depuis le jour de ce fatal hymen. Mais pourquoi ne me dis-tu rien?... Méchant, tu as mal jugé ton amie. Et cependant, ne t’ai-je pas dit au bal: Je jure de n’être qu’à toi. Va, je suis digne encore des caresses de mon bien-aimé. si j’ai eu la coupable faiblesse de me laisser traîner à cet autel maudit–Dieu sait si je l’ai expi–le soir, j’ai retrouvé toute mon énergie. Je ne suis femme que de nom. Pose tes lèvres sur les miennes, nul ne les a souillées. Si les glaces du nord ont refroidi ton cœur, mels-le contre le mien; celui-là renferme assez d’amour pour rendre la chaleur à ton corps inanimé.

–Parlez bas; votre mari peut s’éveiller.

–Eh bien, qu’il s’éveille. Que m’importe cet odieux comte, quand je suis près de toi!... Que peut-il contre toi?... Les morts n’ont rien à craindre des vivants. Et moi, ne suis-je pas morte aussi?... La crois-tu vivante, celle-là que le monde appelle la dame pâle? Non, je suis morte depuis longtemps, mais j’attends, avant de me coucher dans la tombe, ma nuit de mariée. Viens.

Elle me pressa tendrement, j’allais lui rendre ses caresses, quand une voix me cria sévèrement; arrête!...

Encore indécis, je la repoussai doucement.

–Pourquoi me repousser? reprit-elle, pardonne-moi. n’ai-je pas assez souffert. Tu as tort de me chanter la ballade de la fiancée infidèle; j’ai tenu mon serment.

Attendri, je pleurai. Les passions malsaines se turent devant des sentiments plus doux.

–Tu pleures, alors tu pardonnes. Viens à la couche nuptiale, je suis à toi. Depuis longtemps tout mon être t’appelle. Viens!... Puis tu retourneras aux glaces de ton pôle, et, moi, j’irai reposer dans le cercueil.

Je fis un effort suprême, et lui dis d’une voix grave en me levant:

–Madame, au nom de Dieu, revenez à vous même, je suis le frère de celui que vous avez aimé.

Elle passa les mains sur ses yeux, regarda autour d’elle effarée, ouvrant et fermant avec précipitation les paupières. L’étonnement, la douleur, la honte bouleversèrent ses nobles traits, puis elle tomba inanimée eu murmurant: «Son frère!.»

Je lui jetai de l’eau sur le visage. J’approchai mes lèvres des siennes sans percevoir aucun souffle; ma main, posée sur son cœur, ne sentit aucun battement.

Je frappai à la porte du comte.

–Monsieur le comte, lui dis-je, votre femme est chez moi, chez moi, *** dont le nom doit être pour vous un appel aux remords, elle y est morte sans tache, respectez-la et que Dieu vous pardonne.

Contre vent et marée

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