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III

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Je passai dans les Antilles quatre joyeuses années attristées, il est vrai, par la mort de mon frère et de mon père qui lui survécut peu. La disparition de son fils, sous des glaces rompues, l’avait plongé dans un morne désespoir.

La frégate sur laquelle j’étais embarqué rentra au port de Lorient, où je trouvai ma nomination d’enseigne. Grande fut ma joie de jouir enfin du titre d’officier; mon âge n’était déjà plus en rapport avec cette vie d’aspirant de marine qui demande beaucoup de jeunesse.

Je me hâtai de prendre la tenue de mon grade, et je fis route pour ma chère ville de Brest, où ma mère m’attendait impatiemment.

La douleur l’avait bien vieillie; sa foi religieuse, son amour pour moi la soutenaient; son noble visage respirait toujours la même bonté, la même inaltérable énergie.

Elle me serra sur son cœur; émue, elle sentait le chagrin se mêler à sa joie. Mon uniforme lui rappelait un souvenir bien amer; aussi en m’embrassant, ne trouva-t-elle que ces paroles:

–Mon Dieu, que tu lui ressembles!... Je crois voir mon pauvre Paul!...

Quand le soir vint, elle me dit:

–Tu me pardonneras ma tristesse, n’est-ce pas mon enfant! Je suis bien heureuse de te revoir, et cependant ta vue me rappelle un pénible passé qui te rendrait plus cher au cœur de ta mère, s’il ne t’appartenait pas tout entier. J’ai besoin de prier; va rejoindre tes amis; à ton âge, on vit de distractions et de plaisir. Les grandes peines viennent toujours assez tôt.

J’insistai vainement pour rester près d’elle; elle me répéta:

–Va te distraire, cher enfant, et laisse-moi remercier Dieu de m’avoir rendu mon fils sain et sauf.

L’esprit mobile des jeunes gens passe avec une étonnante rapidité par les impressions les plus opposées; quelques moments à peine après cet entretien, je partageais la gaieté de trois bons camarades venus à mon secours pour arroser mes épaulettes. L’un d’eux, gros blond au visage rutilant, minutait la carte du souper; tandis qu’un créole au teint mat réfléchissait au choix de faciles beautés destinées à orner notre festin.

Le gros rougeaud disait silencieusement:

–Faire séjourner au moins une heure le foie gras dans la glace. fi d’un pâté tiède et mou!

Le créole passait en revue la salle:

–J’aperçois Fleur-de-Mai, la noire juive de Haguenau, les deux sœurs Trotte-Menu, deux brunettes fort appétissantes. Mais qu’as-tu donc avec ta mine de déterré et ton air de chien de faïence?

Ces dernières paroles ne purent m’arracher à la stupeur dans laquelle j’étais plongé. Une sueur froide me couvrait le corps, mes pupiles dilatées ne pouvaient se détourner de la loge d’en face.

Le blond disait au brun:

–Pourquoi donc reste-t-il ainsi pétrifié devant la dame pâle, elle n’a pas une tête de Méduse cependant?

Certes la dame pâle, ainsi appelait-il la comtesse de D***, n’avait pas une tête de Méduse; grande, au contraire, était son étrange beauté. Une toilette noire, des ornements de deuil, faisaient ressortir l’imaginable blancheur de son visage.

Mon trouble fut au comble, quand elle tourna vers moi ses yeux semblables à deux diamants noirs.

En proie à une hallucination complète, je voyais tour à tour la blonde et rose jeune fille du bal tournoyer au bras d’une enseigne et la froide mariée revenir de l’autel avec ses allures de morte.

Une mutuelle fascination nous clouait sur nos sièges. Enfin elle se leva lentement, et sortit de la loge, les regards toujours fixés sur moi.

–Pardonnez-moi de vous quitter, dis-je à mes amis, remettons le souper à un autre jour; vous m’excuserez quand vous saurez quels souvenir éveille en moi la vue de cette femme.

Et je me dirigeai vers le cours d’Ajot, où je me promenai de longues heures.

Le génie noir et le génie blanc, qui se disputent toute âme humaine, se livraient en mon cœur un combat acharné.

La possession de cette femme si belle n’assouvirait-elle par deux passions à la fois, la vengeance et la volupté? Je pressentais un pouvoir irrésistible dans ma ressemblance avec le bien-aimé, ressemblance complétée par l’identité de situation et de costume. L’impression profonde, produite par notre rencontre au théâtre, me semblait un présage certain du succès.

Le mauvais génie l’emporta et je fis le serment de tout tenter pour tenir en ma puissance cette beauté fatale.

Contre vent et marée

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