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PEUPLE FRANÇOIS

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Boullengiers payez de leurs gaiges

Seront, pour vray, quelque matin.

L'image populaire du Grand diable d'argent, qui remonte au XVIIe siècle, et dont on réimprime encore des imitations, parle ainsi du boulanger. On le voit:

Armé d'un terrible cordon.

Quiconque est ennuyé de vivre,

De lui peut prendre une leçon:

Il l'aura, s'il va par trop vite,

Et bientôt s'il vole toujours.

L'histoire des soulèvements populaires montre que la menace contenue dans ces vers devenait souvent une réalité; les émeutiers manquaient rarement d'envahir les boulangeries, en dépit des grilles de fer qui en garnissaient la devanture, et d'en enlever les marchandises. Là ne se bornait pas toujours leur vengeance: Monteil assure que pour un seul échevin pendu par le peuple, on pouvait citer cent boulangers et le double de meuniers. Au XVIIIe siècle, il y eut des émeutes pour le prix du pain, qui furent signalées par des excès; le 14 juillet 1725, tous les boulangers du faubourg Saint-Antoine furent pillés. Le 20 octobre 1789, la populace pendit à un réverbère de la place de l'Hôtel-de-Ville un boulanger de la rue du Marché-Palu, qu'une femme avait accusé d'avoir caché une partie de sa fournée.

Ceux qui savent que les idées populaires avaient jadis une tendance à revêtir la forme concrète du conte ou de l'exemple, qui avait, plus que tout autre, prise sur les imaginations peu cultivées, ne seront pas surpris des légendes qui avaient cours au sujet des boulangers. Les saints ou Dieu lui-même intervenaient pour punir ceux qui avaient poussé l'amour du gain jusqu'à dérober aux malheureux une partie de leur nourriture; ils étaient métamorphosés en oiseaux ridicules, méprisés ou moqueurs, condamnés à répéter, comme une sorte de reproche perpétuel aux gens du métier, les paroles que le coupable avait prononcées en commettant sa mauvaise action.

[Illustration: Opération de boulangerie au XVIIe siècle.

Cette gravure, qui est empruntée au livre de Franqueville, Miroir de l'art et de la nature (1691), est accompagnée d'une explication en français, en latin et en hollandais. Nous reproduisons la légende qui explique assez bien les différentes opérations du métier:

«Le boulenger 1 sasse la farine avec le sas ou bluteau 2, et le met dans la may (huche) 3 à pestrir: et il verse de l'eau dessus, il en fait une paste 4. Il la pétrit avec une spatule de bois 5, puis après il en fait des pains 6, des gâteaux 7, des miches 8, des craquelins 9. Ensuite il les met sur la pelle 10, et il les enfourne 11 par l'embouchure du four 12: mais avant de les enfourner, on racle le four avec un fourgon 13 la braise et les charbons qu'il ramasse en bas 14. C'est ainsi que l'on fait cuire le pain qui a de la crouste 15 par dehors et de la mie 16 par dedans.»]

Un boulanger du pays de Flandre, dans un moment de cherté, rognait tant qu'il pouvait la pâte de chaque pain, sans compassion pour les pauvres. Il ôtait ci, il ôtait là, en criant toujours: «Coucou, coucou, bon profit!» Mais Dieu avait pitié d'eux, et il arrivait que leur pâte s'élevait dans le four, s'améliorait et formait de beaux pains. Loin de s'en réjouir, le méchant continuait à écorner la pâte, toujours de plus en plus, en criant: «Coucou, coucou, encore trop, coucou! coucou, bon profit!» Le bon Dieu s'irrita et voilà qu'un beau jour le corps de cet homme se couvrit de plumes, ses mains se changèrent en ailes, ses pieds en pattes et il s'envola au bois, où dès que le printemps revient, il doit crier: Coucou, coucou! En Allemagne, un boulanger peu scrupuleux a aussi été métamorphosé. Il avait, à une époque de cherté, volé de la pâte aux pauvres gens, et lorsque notre Seigneur la bénissait dans le four, il l'en ôtait et en dérobait une partie en criant: Gukuk (regardez)! C'est le cri que répète le coucou; la couleur pâle et farineuse de ses ailes rappelle son origine; c'est aussi pour cela qu'on l'appelle Beckerknecht, garçon boulanger.

D'autres traditions attribuent la métamorphose du boulanger en oiseau ridicule, non à un vol de pâte, mais à un manque de charité. Un jour, rapporte Grimm dans la Mythologie allemande, le Christ passant devant la boutique d'un boulanger, sentit le pain frais; il envoya un de ses disciples pour en demander un morceau; le boulanger le lui refusa; mais sa femme et ses filles, plus compatissantes, lui donnèrent en cachette du pain. Le boulanger fut changé en coucou; sa femme et ses filles allèrent au ciel, où elles devinrent sept étoiles qui sont les Pléiades. Une autre boulangère, héroïne d'un conte grec, donne à une pauvresse la moitié d'un pain et celle-ci lui dit:

Un roi tu épouseras,

Et reine tu seras.

Après une suite d'aventures, elle devient en effet reine.

Mais toutes les femmes n'étaient pas aussi charitables, surtout les vieilles, dont l'âge a endurci le coeur, et elles sont punies de leur avarice. On raconte, en Norvège, que lorsque Notre-Seigneur et saint Pierre voyageaient sur terre, ils arrivèrent, après avoir fait une longue route et ayant grand'faim, chez une vieille femme qui était à boulanger. Notre-Seigneur lui demanda de lui faire un petit pain. Elle y consentit, prit un morceau de pâte et se mit à le façonner; mais à mesure qu'elle y touchait, il grossissait et il finit par couvrir tout le moule. Elle dit alors qu'il était trop gros pour eux; elle en prit un second qui grossit également, puis un troisième, et plus la pâte augmentait, plus devenait grande sa cupidité. Elle finit par ne plus vouloir rien leur donner. Alors Notre-Seigneur la changea en pivert et lui dit: «Désormais, tu chercheras ta nourriture entre l'écorce et le bois, et tu ne boiras que quand il pleuvra.» En Danemark, une vieille femme que Jésus enfant avait trouvée occupée à boulanger, et qui s'était montrée aussi peu charitable, bien que la pâte se fût multipliée sous ses doigts, est métamorphosée en vanneau. Les Bohémiens racontent aussi qu'un jour que Jésus-Christ, n'ayant rien mangé depuis longtemps, traversait un village, une femme se cacha pour ne pas lui donner du pain; quand il fut passé, elle mit la tête à la fenêtre et cria: «Coucou!» mais aussitôt elle fut changée en oiseau et condamnée à répéter, par pénitence, le cri qu'elle avait poussé par moquerie.

La législation d'autrefois était particulièrement sévère pour les boulangers. Le Livre des Métiers énumère longuement leurs devoirs; une grande partie du second volume du Traité de la police de de Lamare, est consacré à détailler les nombreuses contraventions auxquelles les exposait la moindre infraction aux obligations multiples imposées à l'exercice de la profession, et à relater les jugements rendus contre ceux qui s'en écartaient.

En 1577 Henri III arrête en son conseil un règlement très développé qui, entre autres prescriptions, ordonnait à tous les boulangers de tenir en leurs fenêtres, ouvroirs ou charrettes, des balances et poids légitimes afin que chaque acheteur pût peser par lui-même le pain; il leur était en outre prescrit d'imprimer dessus leurs marques particulières, afin de discerner les pains que feraient les uns et les autres pour en répondre. Au milieu du XVIIIe siècle, le Code de police ajoutait que les balances devaient être «suspendues à une hauteur suffisante pour que les bassins ne reçoivent point de la table des contre-coups ménagés au profit du vendeur, par une adresse frauduleuse».

[Illustration: Histoire d'un Boulanger de Madrid qui a esté chastié pour avoir vendu son pain trop cher]

Les peines qui frappaient les contrevenants étaient fort sévères: elles emportaient la confiscation de la marchandise, la démolition des fours ou l'ordre de les murer pendant un temps déterminé, l'amende pécuniaire, l'amende honorable, la perte du métier, et, au moyen âge, la flagellation publique. Les condamnations sont très nombreuses à Paris au XVIe et au XVIIe siècle. En 1491, trois boulangers appelèrent de la sentence du prévôt qui les avait condamnés «à être battus avec des verges par les carrefours de Paris», pour avoir contrevenu aux ordonnances. En 1521, quatre boulangers furent condamnés par sentence du prévôt, que confirma un arrêt du Parlement, «à estre menez par aucuns sergents depuis le Châtelet jusques au parvis Notre-Dame, lesdits hommes nuds testes, tenans chacun un cierge de cire du poids de deux livres, allumé, et illec requerir pardon et merci à Dieu, au Roy et à la justice, desdites fautes et offenses par eux commises; et ce fait, estre menez en ladite église et illec présenter et offrir lesdits cierges pour y demeurer jusqu'à ce qu'ils fussent bruslez et consumez. Et en outre auroit esté ordonné estre crié à son de trompe, par cri public, par tous les carrefours de cette ville de Paris que tous boulangers eussent à faire leurs pains du poids, blancheur et qualité suivant l'Ordonnance, sur peine d'estre battus et fustigez par les carrefours de Paris et autrement plus grièvement punis à la volonté de justice». En 1541, un boulanger de Paris, chez lequel on avait trouvé des pains ayant six onces de moins que le poids légal, est condamné à faire amende honorable devant le portail de l'église Notre-Dame, tenant un cierge d'une livre de cire, à demander pardon à Dieu et à la justice, à payer une amende de huit livres parisis, et à subir un emprisonnement. En 1739, le boulanger chargé de la fourniture du grand et du petit Châtelet est condamné à deux mille livres d'amende pour avoir altéré le pain des prisonniers. En 1757, à un moment de disette, on intima l'ordre aux boulangers du Havre de cuire et d'être toujours nantis de pain à peine de trois jours de carcan, trois heures chaque jour, à l'effet de quoi il en fut planté un sur la place de la mairie.

À Augsbourg, en Allemagne, le boulanger pouvait, en certains cas, être mis dans un panier au bout d'une perche et plongé dans un étang d'eau bourbeuse. À Constantinople, au IXe siècle, le boulanger qui enfreignait les ordonnances concernant sa profession, était, suivant la gravité de la contravention, fouetté, avait la barbe et les cheveux rasés, et était promené lentement «en triomphe», à travers la ville, c'est-à-dire monté sur un âne ou sur un chameau, et quand il avait subi les huées et les outrages de la foule, il était banni à perpétuité.

Il est vraisemblable que la ridicule promenade sur l'âne fut appliquée au moyen âge dans une grande partie de l'Europe aux boulangers coupables. Je n'en ai pas trouvé la constatation en France: mais un placard du XVIIe siècle, reproduit page 9, qui fait partie de ma collection, montre qu'à cette époque il était encore eu usage en Espagne.

Si le peuple faisait des boulangers une sorte de bouc émissaire et leur reprochait des faits qui, souvent, tenaient à des causes économiques dont ils étaient les premiers à souffrir, s'il les accusait d'accaparer les grains, de donner peu de pain pour beaucoup d'argent, il était loin au fond de mépriser la profession; il la regardait au contraire comme l'une de celles qui donnaient le plus de profit à ceux qui l'exerçaient.

D'après une légende anglaise, lorsque le bon roi Alfred voulut établir un roi des métiers, il n'oublia pas de convoquer les boulangers. Dans le Dict des Boulenguiers, la boulangerie est comparée à tous les autres états, et l'on montre sa supériorité en disant que c'est elle qui nourrit le genre humain et fait gagner le ciel par l'aumône.

Un des personnages de la Moralité des Enfants de Maintenant, en fait aussi l'éloge:

Légendes et curiosités des métiers

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