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LES PATISSIERS

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La réclame qui, en parlant aux yeux, essaie de forcer les passants à regarder les étalages, est bien antérieure à notre époque. S'il suffisait à ceux qui, comme les boulangers et les bouchers, vendaient des aliments de première nécessité, d'indiquer la nature de leur commerce par un signe extérieur très simple et compris de tous, il n'en était pas de même des industriels qui s'adressaient pour ainsi dire au caprice. Les pâtissiers paraissent avoir été parmi ceux qui, les premiers, se sont ingéniés à attirer l'attention des clients et à leur inspirer le désir d'acheter des choses qui pouvaient passer pour des superfluités. À la fin du seizième siècle et au commencement du dix-septième, on les voit employer des procédés analogues à certains de ceux qui sont en usage de nos jours.

Vers 1567, leur enseigne était une lanterne qu'ils allumaient le soir pour éclairer leur boutique: elle était fermée, transparente, et ornée sur toute sa circonférence de figures grotesques et bizarres. C'était un des ornements que, dans l'origine, on avait employés sur la scène pour la représentation des Farces, Mystères et Sotties. On les en exclut par la suite, et je ne sais, dit Legrand d'Aussy, pourquoi les pâtissiers s'en emparèrent. À cause de ces personnages on les appela des lanternes vives; dans une de ses Satires, Régnier leur compare une vieille qui

… Sembloit, transparente, une lanterne vive

Dont quelque paticier amuse les enfans,

Où des oysons bridez, guenuches, elefans,

Chiens, chats, lievres, renards et mainte estrange beste

Courent l'une après l'autre…

Au commencement du règne de Louis XIV, les maîtres pâtissiers dressaient encore leurs chandelles derrière de longues pancartes faites d'un papier transparent, tout couvert de figures d'hommes et de bêtes grossièrement enluminées. La rue sombre s'éclairait de cette fantasmagorie, dont les ombres fantastiques s'agitaient et dansaient sur les blanches parois des maisons d'en face.

Cette mode disparut vers la fin du dix-septième siècle, et à l'époque de la Révolution la devanture du pâtissier était très simple. On passait vingt fois devant, dit Ant. Caillot, sans y faire nulle attention. Les boutiques de Lesage, rue de la Harpe, et celle du Puits-Certain ne se distinguaient pas beaucoup de celle d'une fruitière qui les avoisinait. Sous l'Empire, les pâtissiers soignèrent davantage la mise en scène, et peu à peu leur étalage devint à peu de chose près ce qu'il est aujourd'hui, montrant des friandises de toutes sortes, de formes et de couleurs variées, coquettement disposées. En même temps certains s'ingéniaient, par des procédés particuliers, à attirer la clientèle. C'est ainsi que lorsqu'on frappa les petites pièces de cinq francs en or, l'un d'eux se fit une sorte de célébrité en annonçant que, parmi ses pâtés, l'acheteur avait quelque chance de trouver une pièce d'or.

Du temps de Louis XIII l'intérieur des boutiques était aussi très orné, ainsi qu'on peut s'en convaincre en regardant la belle estampe d'Abraham Bosse, qui a été bien souvent reproduite. Certains pâtissiers semblent avoir été les précurseurs des restaurants à clientèle galante. Dans l'arrière-boutique de quelques-uns, et dans celle des rôtisseurs, était toujours, dit l'Histoire des Hôtelleries, quelque petit réduit bien sombre, tout disposé pour le mystère et le tête-à-tête, enfin un vrai cabinet particulier. Une petite porte donnant sur une ruelle étroite et peu éclairée conduisait à la mystérieuse chambrette. La femme novice en fait de débauche ne manquait point de passer par cette entrée discrète; mais celle chez qui une vieille habitude avait fait taire tout scrupule et tout remords dédaignait la porte clandestine, et elle entrait bravement chez le pâtissier par la porte commune. De là vint le proverbe: Elle a toute honte bue, elle a passé par devant l'huis du pâtissier, qui désignait encore au commencement du siècle dernier une personne effrontée, et que l'on avait fini par appliquer aussi bien aux débauchés qu'aux femmes sans vergogne; il a survécu aux causes qui lui avaient donné naissance, et il a même revêtu en Limousin une forme qui prouve qu'on n'en comprend plus l'origine:

A passat davans lou fourn del pastissier, N'a pus ni crenta ni dangier.

Il a passé devant le four du pâtissier, il n'a plus ni

crainte ni vergogne.

Dans ce proverbe, dit encore l'Histoire des Hôtelleries, le pâtissier, complice des désordres, devait y prendre sa bonne part du blâme. Dieu sait de combien de tromperies, de combien de mauvais repas le peuple se vengeait par ce quolibet! Les duperies des pâtissiers et des rôtisseurs étaient alors si nombreuses, si flagrantes, si grossières, que la police d'alors, qui n'avait pas ses cent yeux d'aujourd'hui, les avait pourtant toutes appréciées et condamnées dans ses ordonnances détaillées. Défense était faite aux traiteurs et rôtisseurs d'écrêter les vieux coqs et de les faire ainsi passer pour des chapons; ordre leur était donné de couper les extrémités des oreilles aux lapins clapiers, pour qu'on ne les confondît pas avec les lapins de garenne, et de couper la gorge aux canards barboteux, afin qu'on les distinguât bien des canards sauvages. Ils devaient aussi vendre toujours des lapins avec leurs têtes, «à l'effet, dit l'ordonnance, d'empêcher qu'ils ne vendissent des chats pour des lapins». S'il arrivait que, malgré l'édit royal, un rôtisseur donnât un chat pour un lapin, certaine sentence du Parlement, confirmée par un arrêt de 1631, le condamnait en guise d'amende honorable, à se rendre sur le bord de la Seine en plein jour et en public, d'y jeter ces chats écorchés et décapités et de crier à haute voix, comme meà culpà: «Braves gens, il n'a pas tenu à moi et à mes sauces perfides que les matous que voici ne fussent pris pour de bons lapins.»

Cette prédilection pour les chats n'était pas spéciale aux pâtissiers de Paris; l'auteur de l'Art de voler, le jésuite portugais Vieyra, prétend que ceux de son pays glissaient des abatis de chat dans leurs pâtés. Les restaurateurs à bon marché ont, à ce qu'on assure, conservé avec soin cette tradition des pâtissiers.

Au moyen âge le peuple les accusait de bien plus grands méfaits; un passage du roman picaresque Don Pablo de Ségovie, fait clairement allusion à l'opinion très répandue en Espagne, d'après laquelle ils se réservaient la meilleure partie des criminels privés de sépulture. À Paris, on avait démoli une maison de la rue des Marmouzets, avec défense de la reconstruire, parce que, dit le Livre à la Mode, le pâtissier qui l'occupait «faisoit ses pastez de la chair des pendus qu'il alloit détacher du gibet». Il y avait une autre légende beaucoup plus tragique, qui avait couru le moyen âge, qu'on avait localisée à Dijon, et à Paris, dans cette même rue de la Cité. Voici comment la raconte le bibliophile Jacob; il a quelque peu brodé sur le texte du Théâtre des Antiquités de Paris, où le P. Dubreül la rapporte, bien plus simplement en disant que c'était un bruit qui a couru de temps immémorial en la cité de Paris. Mais son récit résume en même temps plusieurs faits intéressant le métier: À la fin du XIVe siècle il y avait un barbier et un pâtissier qui augmentait chaque jour sa clientèle et sa fortune, se gardait de toute contravention aux ordonnances de la police du Châtelet, tandis que les maîtres de son métier commettaient «fautes, méprentures et déceptions, au préjudice du peuple et de la chose publique, au moyen desquelles fautes se peuvent encourir plusieurs inconvénients ès-corps humain». On ne lui reprochait pas d'avoir fait un seul pâté de «chairs sursemées et puantes», ni de poisson corrompu, ni un seul flanc de lait tourné et écrémé, une seule rinsole de porc ladre, une seule tartelette de fromage moisi. Il n'exposait jamais de pâtisserie rance ou réchauffée; il ne confiait pas sa marchandise à des gens de métiers honteux et déshonnêtes. Aussi estimait-on singulièrement les pâtés qu'il préparait lui-même; car, malgré la vogue de son commerce, il n'avait qu'un apprenti pour manipuler la pâte, et cela sous prétexte de cacher les procédés qu'il employait pour l'assaisonnement des viandes. Cependant des bruits sinistres avaient plus d'une fois circulé dans la rue des Marmouzets, et l'on parlait d'étrangers massacrés la nuit. Un soir, des cris perçants sortirent du laboratoire du barbier chez lequel on avait vu entrer un écolier qui arrivait d'Allemagne. Cet écolier se traîna sur le sol, tout sanglant, le cou mutilé de larges blessures. On l'entoura, on l'interrogea avec horreur, il raconta comment le barbier l'avait attiré dans son ouvroir, en promettant de le raser gratis. En effet, il n'avait pas plutôt livré son menton à l'opérateur qu'il sentit le rasoir entamer sa peau; il cria, il se débattit, il détourna les coups de la lame tranchante, et parvint à saisir son ennemi à la gorge, à prendre l'offensive à son tour et à précipiter le barbier dans une trappe ouverte qui attendait une autre victime. On ne trouva plus le barbier, la trappe était refermée; mais quand on descendit dans une cave commune aux deux boutiques, on surprit le pâtissier occupé à dépecer le corps de son complice le barbier, qu'il n'avait pas reconnu en l'égorgeant; c'est ainsi qu'il composait ses pâtés, meilleurs que les autres, dit le père Dubreül, d'autant que la chair de l'homme est plus délicate, à cause de la nourriture, que celle des autres animaux. En punition de ce crime, la maison fut démolie, et une pyramide expiatoire fut élevée à la place.

Ainsi qu'on l'a déjà vu, le métier des rôtisseurs et celui des pâtissiers se touchaient en plusieurs points. Autrefois, dit de Lamare, ceux-ci étaient également cabaretiers, rôtisseurs et cuisiniers, bien qu'il y eût à Paris une communauté de rôtisseurs aussi ancienne que celle des pâtissiers; mais il n'était permis à ceux de cette communauté que de faire rôtir seulement de la viande de boucherie et des oyes. C'est pour cela qu'ils furent nommés oyers et non rôtisseurs. Tout le gibier, toute la volaille et toute l'autre commune viande était préparée et vendue par des pâtissiers. Ces oyers, qui plus tard portèrent le nom de rôtisseurs et se confondirent par la suite avec les maîtres queues ou cuisiniers, étaient astreints à des règlements assez sévères: Il leur était défendu de rôtir de vieilles oies, de cuire des viandes malsaines, de faire réchauffer les plats de légumes ou potages portés en ville, de faire réchauffer deux fois la viande, de garder la viande plus de trois jours, le poisson plus de deux; en cas de contravention, ils étaient condamnés à l'amende et leurs mets étaient brûlés publiquement devant leur porte. Le serment prêté par les pâtissiers et cuisiniers de Saint-Quentin, lors de leur réception, portait qu'ils s'engageaient à garder et observer fidèlement les règles et ordonnances du métier, comme à savoir que, en premier lieu, ils n'habilleraient aucune viande pour entrer au corps humain que premier ne voulussent manger eux-mêmes.

Malgré cela, ils avaient la réputation de ne pas servir loyalement leurs clients, et Tabourot rapporte qu'on leur prêtait, ainsi que du reste à d'autres corps de métiers, une façon de répondre équivoque qui, suivant la casuistique du temps, leur évitait un mensonge:

De ces Entends-trois les Rostisseurs de Paris en vsent aussi souvent en vendant leur viande: car quand elle est dure, ils demandent à l'acheteur: «Combien estes-vous pour manger ce que vous achetez?» Si on leur respond: «Deux ou trois personnes». «Croyez, disent-ils, que vous avez assez de viande et qu'il y aura bien à tirer si vous mangez tout…»

Cinquante ans plus tard, ils n'avaient guère meilleure renommée, et Tabarin leur ordonnait ironiquement «de saler la viande et de la mettre six fois au feu.»

À la fin du siècle dernier, la plupart des pâtissiers étaient aussi rôtisseurs. «Poulardes, pigeons, on en trouve à toute heure chez eux et qui sont tout chauds, disent les Numéros parisiens; il est vrai qu'il y en a qui retournent à la broche ou au four plus d'une fois. Le four des pâtissiers est toujours prêt à recevoir le souper de ceux qui ne peuvent pas faire de cuisine à la maison. Outre le prix qu'on leur donne pour cela, les pâtissiers ont soin de dégraisser le gigot; cependant il y a un moyen sûr de les en empêcher: on n'a qu'à mettre de l'ail dans le plat qu'on porte au four; comme c'est un végétal qui n'est pas de mode à Paris, les pâtissiers se gardent bien d'y toucher.»

Mercier raconte que les gens de la suite de l'ambassadeur turc, au temps de Louis XV, ne trouvèrent rien de plus agréable à Paris que la rue de la Huchette, à raison des boutiques des rôtisseurs et de la fumée qui s'en exhalait toute l'année, sauf en carême. On disait alors que les Limousins y venaient manger leur pain sec à l'odeur du rôt; il paraît toutefois que les maîtres des boutiques ne prétendaient pas leur demander quelque chose pour cela, comme le «routisseur du Chastelet», dont Rabelais a raconté l'amusante histoire et qui voulait faire payer un faquin qui mangeait son pain à la fumée de son rôt.

* * * * *

Les pâtissiers avaient soin de choisir pour servir leurs clients des femmes jeunes et jolies. Restif de la Bretonne, qui a écrit une nouvelle intitulée «la Belle Pâtissière», disait que cette dénomination avait été donnée à Paris à tant de femmes de ce genre de commerce, qu'il n'était embarrassé que du choix. La beauté de Sophie, son héroïne, contribuait beaucoup plus que les petits pâtés de son père à faire venir des pratiques. Le bonhomme ne l'ignorait pas; aussi dès qu'il voyait arriver quelqu'un d'un peu distingué par la mise, il appelait sa fille à tue-tête et voulait que ce fût elle qui reçût l'argent. Aussi était-on sûr de la voir quand on venait exprès. Cette tradition s'est conservée: vers 1840, le Musée pour rire le constatait: Un pâtissier qui n'aurait pas une jolie femme à mettre au comptoir serait un homme fort imprévoyant. Deux beaux yeux sont de toute nécessité pour attirer une foule de jeunes gens qui, tout en se mourant d'amour, consomment effroyablement de petits gâteaux. Une pâtissière très fraîche fait digérer beaucoup de petites tartes qui ne le sont guère (fraîches), et un jeune homme occupé à lancer une oeillade assassine ne peut pas s'apercevoir que la confiture de sa tartelette a une barbe qui semble avoir été taillée sur le modèle de celle d'un sapeur de la garde nationale, sauf qu'elle n'est pas fausse.

Le personnel de toute boutique de pâtissier se composait alors du chef de l'établissement, personnage ayant du ventre et un bonnet de coton: ce qui ne l'empêche pas d'avoir une jolie femme, et du garçon pâtissier lequel se distingue de son chef immédiat par sa coiffure, qui consiste en un béret de laine blanc.

Le petit pâtissier ou patronet est un personnage qui joue un rôle important dans la comédie contemporaine des rues; on le trouve partout avec son petit béret de toile et son tablier blanc; les petites pièces comiques en font le spectateur obligé des accidents ou des manifestations.

La vocation d'un assez grand nombre de ces jeunes garçons a été motivée par l'espoir de manger des bonbons à discrétion. Monteil indique un moyen de leur faire passer cette envie, qui était en usage au XVIe siècle et qui a dû être souvent employé: Perrot se jetait sur toutes les pâtisseries de la boutique. Le pâtissier lui laissa d'abord manger de la pâtisserie tant qu'il voulût, ensuite il lui en fit manger à tous les repas, ou du moins plus souvent qu'il n'eût voulu.

Dans l'ouest de la France, beaucoup de pâtissiers étaient originaires de la Suisse, et l'on disait aussi souvent: «Je vais chez le Suisse», que: «Je vais chez le pâtissier».

Ce nom de pâtissier a été quelquefois pris en mauvaise part: appeler quelqu'un «sale pâtissier», c'était l'accuser de maladresse ou de quelque défaut. À Marseille, on disait d'un mauvais ouvrier: «Es un pastissier»; cette épithète s'appliquait aussi à celui qui s'embrouillait au milieu d'un discours ou qui bredouillait.

[Illustration: des Patez, des Talmouses totes chaudes

(Collection G. Hartmann.)]

Les pâtissiers ne se contentaient pas d'essayer d'attirer les clients à leur boutique; ils envoyaient par les rues des garçons chargés de crier la marchandise. Dès le XVIe siècle, le pâtissier ambulant est au premier rang des personnages populaires. Plusieurs des quatrains des Crys d'aucunes marchandises que l'on crye parmy Paris (vers 1540), le mettent en scène avec ses congénères:

Puis ung tas de frians museaulx

Parmi Paris crier orrez,

Le iour: «Pastez chaux! pastez chaulx!»

Dont bien souvent nen mengerez.

Et se crier vous entendez

Parmy Paris trestous les cris,

Crier orrez les eschauldez,

Qui sont aux oeufs et au beurre paitris.

Assi on crie les tartelettes,

À Paris, pour enfans gastez,

Lesquelz sen vont en ses ruettes

Pour les bouter dessoubz le nez.

L'édition des Cris de Paris, publiée à Troyes à la fin du XVIIe siècle, donne plusieurs quatrains où figurent des cris de pâtissiers ambulants:

A ma Brioche, chalant, Quatre pains pour un tournois! Je gagne peu de monnoye, Et si vai toujours parlant.

Pour un tas de friands,

Tous les matins je vais crians:

Eschaudez, gasteaux, pastez chauds!

L'Hospital, lorsqu'il était chancelier, interdit la vente des petits pâtés qui se colportaient et criaient dans les rues. Le motif qu'il allègue dans son ordonnance est qu'un pareil commerce favorise d'un côté la gourmandise et de l'autre la paresse.

Il est probable que cette défense ne subsista pas longtemps. Dans ses Tracas de Paris, Colletet assigne à ces crieurs une bonne place parmi les gens importuns:

Le bruit que font les Paticiers,

J'entens ces petits officiers

Qui portent pastez à douzaine

Et qui vont criant à voix pleine:

Petits pastez chauds et boûillans!

Réveille bien des sommeillans.

La Foire Saint-Germain, comédie de Regnard (1695), fait dialoguer assez plaisamment Arlequin et un crieur de petits gâteaux:

LE CRIEUR.—Ratons tout chauds, tout fumants, tout sortant

du four, à deux liards, à deux liards!

ARLEQUIN.—Hé l'homme aux ratons! voyons ta marchandise.

LE CRIEUR.—Tenez, monsieur, les voilà, tout chauds.

ARLEQUIN.—Donnes-tu le treizième?

LE CRIEUR.—Oui, monsieur.

ARLEQUIN.—Eh bien! je le prends, demain, j'en achèterai une douzaine.

Au XVIIIe siècle, les pâtissiers ambulants parcouraient les rues, portant leur marchandise sur un éventaire et s'efforçaient d'attirer l'attention en criant: «Échaudés, gâteaux, petits choux chauds, tout chauds, tout chauds! Petits pâtés bouillants!» ou bien: «Gobets, craquelins, brides à veaux pour friands museaux, qui en veut!»

Sous l'Empire, la belle Madeleine, marchande de gâteaux de Nanterre, occupa longtemps Paris. En 1811, Gouriet lui donnait place dans sa galerie des Personnages célèbres dans les rues de Paris. Toute sa personne, dit-il, est si remarquable, qu'elle-même, s'il arrive à quelqu'un de la regarder avec un peu d'attention, elle lui dit aussitôt: «Eh bien! quoi! c'est moi, c'est Madeleine. Allez, mon enfant, je suis connue dans tout Paris». Elle a été représentée sur plusieurs théâtres: des poètes lui ont adressé des couplets, même des madrigaux; son portrait se voit à presque tous les cadres d'échantillons des peintres en miniatures. Tous les matins, on voit Madeleine passer en chantant et en criant ses gâteaux de Nanterre sur un air dont on lui attribue la musique et les paroles:

C'est la belle Mad'leine (bis), Qui vend des gâteaux. Des gâteaux tout chauds, La bell' Mad'leine. Elle a des gâteaux (bis), La bell' Mad'leine, Elle a des gâteaux. Qui sont tout chauds.

Elle a le teint fort brun, la bouche grande, les yeux saillants, le regard un peu égaré. Dès que sa chanson est finie, elle pose son panier à terre et dit aux femmes: «Des gâteaux tout chauds! mesdames; mesdames, régalez-vous, c'est la joie du peuple».

Trente ans après, elle continuait à se montrer par les rues; elle s'appelait toujours la Belle Madeleine, quoi qu'elle fût devenue vieille et laide à faire peur. Elle vendait ses gâteaux en chantant sur l'air Grâce à la mode:

La bell' Mad'leine.

Elle a des gâteaux (bis). La bell' Mad'leine, Elle a des gâteaux, Qui sont tout chauds.

On voyait avant 1850 des marchands de gâteaux de Nanterre près des grilles des jardins publics, criant: «Voyez les beaux gâteaux de Nanterre». Pour les échaudés, on criait: «Échaudés, ces beaux échaudés!»

À la même époque, le marchand et la marchande de gâteaux criaient:

«Deux liards, deux liards, deux liards, deux pour un sou!» ou

«Chaud, chaud, chaud et bon; chaud! Quèt! pour un sou, quèt, quèt!

un liard la pièce et quèt (quatre) pour un sou, quèt!»

[Illustration: À quelle sauce la voulez-vous? Caricature contre

Louis-Philippe.]

À voir, dit Kastner, la blanche vapeur qui enveloppait la boutique portative de pâtisserie que l'on venait de dresser, il ne semblait pas douteux que les gâteaux ne fussent tout chauds, tout bouillants; mais cette vapeur provenait simplement d'une fumigation continuelle entretenue sur la table à claire-voie au moyen de vapeur d'eau bouillante.

Les crieurs de pâtisserie ont à peu près disparu. Vers 1840, il y eut à Paris plusieurs petites boutiques qui eurent une vogue considérable et dont la comédie et la caricature s'emparèrent. Voici ce que dit Paul de Kock du plus célèbre d'entre eux:

«Un très modeste pâtissier vint s'établir sur le boulevard Saint-Denis; sa très modeste boutique n'aurait pas pu contenir trois personnes, aussi n'entrait-on pas: on se tenait dehors, et quelquefois on faisait queue pour acheter de la galette, car c'est presque l'unique pâtisserie dont il faisait le débit, mais il en vendait depuis le matin jusqu'à minuit et quelquefois plus tard encore. Une galette n'avait pas le temps de paraître, et le pâtissier n'avait qu'à couper. Cric, crac, de tous côtés on tendait la main pour recevoir une part de deux sous ou d'un sou… et la galette qui venait d'être détaillée était remplacée aussitôt par une autre, car dès qu'il n'y en avait plus il y en avait encore et le pâtissier recommençait à couper. Il ne faisait pas autre chose depuis que sa boutique était ouverte jusqu'au moment où il la fermait, aussi lui avait-on donné le sobriquet de Coupe-Toujours.» Sa vogue fut remplacée et surpassée par celle de la galette du Gymnase, bien déchue aujourd'hui.

Les pâtissiers, qui avaient saint Michel pour patron, faisaient, le jour de la fête, chanter deux messes et célébrer un service solennel, puis ils retournaient à leur travail. Ils se plaignirent au prévôt en disant que les autres corps de métiers avaient le temps, le jour de leur fête, de décorer les «bastons» de leurs saints, tandis que eux ils ne le pouvaient pas. Cette réclamation fut écoutée, et à partir de 1485 il leur fut permis de chômer. Ils observaient une cérémonie bizarre, probablement ancienne: ils se rendaient en pompe à la chapelle de leur patron qui faisait partie de l'église Saint-Barthélemy. Les uns s'habillaient en diables, les autres en anges, et au milieu d'eux on voyait saint Michel agitant une grande balance, et traînant après lui un démon enchaîné qui faisait cent niches aux passants et frappait tous ceux qu'il pouvait attraper. Tous étaient à cheval, accompagnés de tambours et suivis de prêtres qui portaient le pain bénit. Une ordonnance de l'archevêque de Paris, du 10 octobre 1636, interdit cette procession, qui avait donné lieu à quelques désordres.

En Champagne, les pâtissiers qui avaient leurs étaux à Troyes, fournissaient au bourreau, chaque samedi de carême, deux maillées d'échaudés.

La caricature a fait de nombreuses allusions à la pâtisserie et surtout à l'un de ses produits, la brioche, dont le nom est, comme on sait, synonyme de faute ou de bourde. Une gravure, vers 1830, représente Polignac en pâtissier à la porte d'une boutique qui a pour enseigne: «À la renommée des boulettes»; Traviès caricaturait Charles X avec cette inscription: «À la renommée des fameuses brioches, Charlot, premier pâtissier de la cour». Quelques années plus tard (1833), Louis-Philippe est à son tour déguisé en pâtissier fabricant de brioches. En 1848, le Journal pour rire montrait une députation de pâtissiers qui «vexés de voir tout le monde faire des brioches, profitent de la liberté et de l'égalité, pour demander le monopole des boulettes».

La fabrication du pain d'épice peut passer pour une des variétés de la pâtisserie. À Reims, les pains d'épiciers eurent leur règlement le 2 août 1571. Les apprentis, pour parvenir à la maîtrise, devaient faire un pain d'épice de six livres en présence des maîtres-jurés. Lorsque Marie Leckzinska traversa la Champagne pour épouser Louis XV, des notables allèrent lui offrir douze coffrets d'osier contenant du pain d'épice de douze à la livre et des croquants pliés.

Au XVIe siècle, des marchands ambulants allaient l'offrir par les rues; voici le quatrain qui leur est consacré dans les Crys d'aucunes marchandises que l'on crye parmy Paris:

On crie, sans quelque obices,

De cela ne faut point doubtez,

Le pain qui est petry despices,

Qui flumes fait hors bouter.

Sous Louis XIV ils criaient:

Pains d'espices pour le coeur! Dans Senlis je vais le quérir. Qui d'avoir en aura désir, Je lui en donnerai de bon coeur.

Et au XVIIIe siècle: «Voilà le bon pain d'épice de Reims!»

Au milieu de ce siècle, le Pain d'épice était colporté de compagnie avec le croquet dans une charrette au milieu de laquelle s'élevait une grosse brioche ou une appétissante galette surmontée de petits drapeaux tricolores. Le marchand débitait d'un ton sec et bref la phrase suivante: «Excellent pain d'épic', excellent crrrrrroquet!» ou faisait entendre un susurrement indescriptible: «A' s' l' moss; l'moss à cinq!» ce qui voulait dire à cinq sous le morceau. L'un d'eux, qui exerçait sa petite industrie à l'entrée des Champs-Élysées, vers 1840, avait joint à son commerce l'attrayante spécialité du sucre d'orge, et voici son boniment: «Ach'tez, messieurs, le restant de la vente; tout est renouvelé! Un sou l'bâton à la fleur d'oranger, au citron; un sou! Ils sont clairs comme de l'eau de roche, et gros comme des manches à balai».

[Illustration:

Quand ie bat le pavé, criant: «Oublie, oublie!»

Je ne redoute point ny les chiens ny les lous,

Mais ie crains seulement pour ce que ie publie

Commençant à marcher l'heure propice aux filous.

]

Actuellement, on ne crie plus les pains d'épice; mais ils sont l'objet d'un commerce important, vers le mois d'avril. Dans la semaine de Pâques s'ouvre la foire aux pains d'épice, où l'on en vend de toutes formes; il en est qui représentent des monuments, des bonshommes, des animaux; parmi ceux-ci le plus en vogue est le cochon. Il est orné d'inscriptions facétieuses, ou porte des noms de baptêmes variés qui permettent d'offrir aux enfants et aux grandes personnes un petit cochon qui s'appelle comme eux. En revenant de la foire beaucoup de gens le portent suspendu par une ficelle à leur cou.

* * * * *

Les marchands d'oublies, disparus depuis plus de cent ans, se rattachaient, dit le bibliophile Jacob, aux pâtissiers, tout au moins dans la dernière période. Anciennement les oublayers, oblayeurs et oublieurs étaient des pâtissiers qui ne fabriquaient pas de pâtisseries grasses. Ce titre, qui survécut à leur première institution, dérivait des oblies ou hosties, oblatæ, qu'ils avaient seuls le droit de préparer pour la communion. C'était surtout aux jours des pardons, indulgences accordées par le Pape ou l'évêque, c'était aux pèlerinages de saints et aux processions du jubilé que les oublayers débitaient une prodigieuse quantité de pâtisseries au sucre et aux épices, enjolivées d'images et d'inscriptions pieuses, appelées gaufres à pardons. Ces jours-là ils établissaient leur fournaise à deux toises l'une de l'autre, autour des églises, et attiraient par leurs cris les fidèles alléchés de loin par l'odeur succulente de la pâte chaude, qui se mêlait à l'odeur de l'encens. Il fallait que les oublayers fussent hommes de bonne vie et renommée, sans avoir été repris de vilain blâme. Il leur était défendu d'employer aucune femme pour faire pain à célébrer en églises. Ils étaient tenus de se servir de bons et loyaux oeufs; ils avaient le privilège de travailler le dimanche.

Monteil fait ainsi parler un oublieur, qui décrit assez bien comment s'exerçait la profession au XIVe siècle: C'est dans le carnaval, au coeur de l'hiver, que nous gagnons quelque chose. Le couvre-feu a sonné; il est sept heures du soir; il gèle à pierre fendre. Voilà le bon moment pour remplir notre coffin d'oublies, le charger sur nos épaules et aller crier dans les rues: Oublies! oublies! Les enfants, les servantes nous appellent par les croisées; nous montons; souvent nous ignorons que nous entrons chez des Juifs, et nous sommes condamnés à l'amende. Quelquefois il se trouve d'enragés jeunes gens qui nous forcent à jouer avec nos dés argent contre argent; on nous met encore à l'amende. Le jour, si nous amenons avec nous un de nos amis pour nous aider à porter notre marchandise, si nous étalons au marché à moins de deux toises d'un autre oublieur, à l'amende, à l'amende. On dit d'ailleurs et l'on croit assez communément qu'il suffit de savoir faire chauffer un moule en fer et d'y répandre de la pâte pour être maître oublieur; ah! comme on se trompe! Écoutez le premier article de nos statuts: «Que nul ne puisse tenir ouvrouer ni estre ouvrier, s'il ne fait en ung jour au moins cinq cents grandes oublies, trois cents de supplications et deux cents d'entrées.» Tout cela revient à plus de mille oublies; or, pour les faire en un jour, même en se levant de bonne heure, il faut être très exercé, très habile, très leste.

C'était surtout le soir, comme aujourd'hui le marchand de plaisir, que l'oublieur courait les rues et s'installait dans les tavernes. Quelquefois celui qui jouait avec lui avait la chance de gagner tout ce qu'il portait: alors le corbillon lui revenait de droit et, en signe de triomphe, il l'appendait à l'huis de la taverne. Au XVe siècle, Guillaume de la Villeneuve décrit ainsi le métier:

Le soir orrez sans plus atendre

À haute voix, sans delaier

Diex, qui apele l'oubloier?

Quant en aucun leu a perdu,

De crier n'est mie esperdu

Près de l'uis crie où a esté,

Aide Diex de maisté

Com de male eure je sui nez

Com par sui or mai assenez.

Ce personnage était assez populaire pour figurer dans les comédies allégoriques: Gringore introduit dans une de ses pièces, La Farce du Bien mondain, une femme nommée Vertu, qui entre en scène ayant un corbillon sur ses épaules et criant:

Oublie! oublie! oublie!

Légendes et curiosités des métiers

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