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INSTRUCTION

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C'est ung bon mestier pour gaigner

Et décent à vie humaine;

La science n'est pas villaine.

Vos enfants y povez bien mettre.

Ils apprendront bien ceste lettre

Ou aultre mestier pour bien vivre;

Bon faict ses parens ensuyvre.

Des proverbes, dans lesquels se glissent parfois des traits de malice, constatent que le métier est bon: Three dear years will raise a baker's daughter to a portion. Trois années de cherté font une dot à la fille du boulanger. Un autre dicton du même pays d'Angleterre n'était pas moins favorable:

A baker's wife my bite of a bun A brewer's wife my drink of a tun, A fisher manger's wife my feed a conger: But a serving-man's wife my stawe for the hunger.

La femme du boulanger peut goûter au pain,—Celle du brasseur peut boire au tonneau,—Celle du pêcheur se nourrir de congre,—Mais la femme d'un domestique doit attendre pour apaiser sa faim.

Et un proverbe allemand disait que les animaux domestiques eux-mêmes des boulangers n'étaient pas malheureux. Für Müllers Henne, Bäckers Schwein und der Wittfrau Knecht soll man nicht sorgen. Il est inutile de s'inquiéter de la poule du meunier, du porc du boulanger et du valet de ferme de la veuve.

[Illustration: Boulanger mettant le pain au four

Gravure tirée du Jeu universel de l'Industrie (vers 1830).]

Lorsqu'un boulanger devenait riche par son industrie, ses achats intelligents et son assiduité au travail, le peuple ne voulait pas croire que sa fortune eût été acquise par des moyens honnêtes: Un boulanger de Bordeaux, nommé Guilhem Demus, passait pour posséder une main de gloire, à l'aide de laquelle il s'était enrichi. Lorsqu'on taxa les habitants aisés pour payer la rançon de François Ier, on l'imposa à cinquante écus. Il en mit trois cents dans son tablier et vint lui-même les offrir au roi, en lui disant qu'il en avait encore d'autres à son service. Celui-ci demanda à ceux qui l'entouraient qui était ce brave sujet. On lui apprit que cet homme devait sa fortune à un sortilège et que son offre n'avait rien d'étonnant, puisqu'il possédait la man de gorre, grâce à laquelle il pouvait se procurer des trésors. On prétend, maître, lui dit alors François Ier, que vous avez une main de gloire?—Sire, répartit Demus, man de gorre sé lèbe matin et se couche tard.

* * * * *

La boulangerie est un des seuls métiers dont il soit parlé avec quelque détail dans l'Histoire naturelle de Pline. Jusqu'à l'expédition des Romains contre Philippe, les citoyens fabriquaient eux-mêmes leur pain, et c'était un ouvrage que faisaient les femmes romaines, comme naguère encore en province bien des dames françaises. Les premiers boulangers que l'on vit à Rome furent ramenés de Grèce par les vainqueurs. À ces étrangers on adjoignit, dit de Lamare, plusieurs naturels du pays, presque tous du nombre des affranchis, qui embrassèrent volontairement ou par contrainte, un emploi si utile au pays. L'on en forma un collège, auquel ceux qui le composaient étaient nécessairement attachés, sans le pouvoir quitter sous quelque prétexte que ce pût être. Leurs enfants n'étaient pas libres de s'en séparer pour embrasser une autre profession, et ceux qui épousaient leurs filles étaient contraints de suivre la même loi. Aussitôt qu'il était né un fils à un boulanger, il était réputé du corps, mais il n'était obligé aux travaux qu'à l'âge de vingt ans accomplis. Les esclaves ne pouvaient entrer dans la corporation. On élevait à la dignité de sénateurs quelques-uns des principaux boulangers, principalement de ceux qui avaient servi l'État avec le plus grand zèle, surtout dans les temps de disette. Ils furent déchargés des tutelles, curatelles et toutes autres charges qui auraient pu les distraire de leur emploi. Ce fut encore pour la même raison qu'il n'y avait point de vacances pour eux, et que dans les temps où les tribunaux étaient fermés à tous les particuliers, les boulangers seuls partageaient avec le fisc le privilège d'y être admis pour la discussion de leurs affaires.

En France, jusque vers l'époque de Charlemagne, on ne constate guère l'existence de boulangeries publiques; d'après la préface de l'édition du Livre des Métiers (1889), leur corporation, ainsi que toutes celles de France, s'est formée, et avant toutes les autres, par une sorte de confrérie ou société religieuse, et, sous le nom de talmeliers qu'ils portaient alors, on trouve la trace de leurs statuts avant le temps de saint Louis. Mais les plus anciens règlements que nous possédions sont ceux qui nous ont été conservés par le prévôt des marchands Estienne Boileau, au début des Registres des Métiers, recueillis vers l'an 1260. La partie qui concerne la boulangerie est la plus développée de toutes celles du Livre.

Celui qui voulait passer maître devait faire une sorte de stage de quatre années, pendant lequel il payait 25 deniers de coutume en plus, à Noël. À chaque paiement, il se faisait marquer, sur son bâton, une coche par l'officier receveur de la coutume; quand il avait ses quatre coches, il était en règle et l'on pouvait alors procéder à son installation. Le bâton des nouveaux talmeliers n'était pas celui de la confrérie; mais la cérémonie avait quelque analogie avec celle-là, en ce sens que le bâton était déposé chez le talmelier et que le candidat le présentait, comme garantie d'apprentissage, au moment de la réception. Les auteurs de la préface du Livre des Métiers se demandent, avec assez de vraisemblance, si le bâton à coches n'offrait pas un emblème de la maîtrise, un signe quelconque d'autorité? En tout cas ce bâton ou échantillon avait une grande importance, car le talmelier qui le perdait subissait une amende de douze deniers.

Lorsque l'apprentissage était terminé, et que la redevance avait été payée au roi ou au grand panetier, son représentant, qui était un des grands officiers de la couronne, le nouveau talmelier qu'il s'agissait de recevoir à l'état de maître ou ancien talmelier, se rendait à la maison du maître des talmeliers, où les gens du métier devaient se trouver présents. Ils attendaient tous à la porte de la maison. Le récipiendaire présentait au Maître un pot rempli de noix et de nieules (oublies) et son bâton marqué de quatre coches, en disant: «Maître, j'ai fait mes quatre années.» L'officier de la coutume donnait son approbation, puis le Maître rendait au nouveau talmelier son pot et ses noix. Celui-ci les jetait contre le mur de la maison, puis il entrait, suivi de ses compagnons, dans une salle où tous prenaient part au feu et au vin fourni par le Maître, au nom de la communauté, et les assistants buvaient ensemble à la prospérité de leur jeune confrère. Cette cérémonie avait lieu, chaque année, le premier dimanche de janvier. Les membres de la communauté ne pouvaient se dispenser d'y assister qu'en envoyant un denier pour les frais du repas. Faute de s'acquitter de cette obligation, ils s'exposaient à être interdits pendant quelques jours.

La mention d'une cérémonie semblable ne se trouve point dans d'autres métiers. Dès cette époque, on avait perdu l'idée respectueuse attachée aux emblèmes de la cérémonie décrite dans les règlements. Ce pot rempli de noix et d'oublies que le talmelier brisait contre le mur en signe d'émancipation, constituait un symbole dont on ne se rendait déjà plus compte. C'était un souvenir ancien d'une sorte d'hommage fait au grand panetier, dont la maîtrise pouvait être considérée comme un fief personnel et sine gleba, où les talmeliers se trouvaient ses vassaux; cérémonie curieuse, qui se rattache ainsi aux droits nombreux et bizarres que les seigneurs exigeaient en diverses circonstances de leurs vassaux. Cette coutume, déjà vieille au XIIIe siècle, montre que les talmeliers tenaient beaucoup à leurs anciens usages. Quand ils revinrent à leurs premiers statuts, dans le courant du XVIIe siècle, ils tentèrent encore de la faire revivre, en la modifiant, mais la société n'était plus assez simple pour respecter ces usages primitifs, et la description resta dans les textes sans que la cérémonie fût célébrée.

Il n'est pas parlé de chef-d'oeuvre dans le Livre des Métiers, où pourtant les statuts de la corporation sont très détaillés: mais on le trouve mentionné dans les règlements du XVIIe siècle. Pendant longtemps le chef-d'oeuvre fut un des pains de chapitre dont Henri Estienne disait: «S'il est question de parler d'un pain ayant toutes les qualités d'un bon et friand pain, ne faut-il pas en venir au pain de chapitre».

[Illustration: Image de saint Honoré, gravée aux frais des boulangers (1720).]

Le projet de statuts proposé par les boulangers de Paris et autorisé en partie par les arrêts des 21 février 1637 et 29 mai 1663, réduit l'apprentissage à trois années, au bout desquelles le compagnon est, après constatation de ses certificats et de sa moralité, admis à faire un chef-d'oeuvre entier et complet de trois setiers de farine qui étaient convertis en pain blanc, brayé et coiffé de vingt-deux onces en pâte, et l'autre tiers en gros pain de sept à huit livres en pâte. Lorsque le chef-d'oeuvre était accepté, le compagnon passait Maître, et il n'est plus fait mention de la cérémonie dans laquelle un pot rempli de noix était présenté, puis brisé. Mais au bout de trois années, le nouveau Maître était tenu d'apporter, le premier dimanche après les Rois «un pot neuf de terre verte ou de fayence, dans lequel il y aura un romarin ayant sa racine entière, aux branches duquel romarin il y aura des pois sucrez, oranges et autres fruits convenables, suivant le temps, et ledit pot remply de pois sucrez et sera ledit nouveau Maistre assisté des jurez et anciens des autres maistres dudit métier. Cela fait, dira au grand Pannetier: Maistre j'ay accomply mon temps; et ledit grand Pannetier doit demander aux jurez s'il est vray; ce fait prendra l'avis des jurez et anciens maistres, si ledit pot est dans la forme qu'il doit estre, et s'il est recevable; et s'ils disent qu'oüy, ledit grand Pannetier doit recevoir icelui et lui en donner acte et de là en avant n'est tenu que de payer chacun an le bon denier, qui est le denier parisis, pour reconnaissance de leur maistrise, et doivent ceux qui seront défaillans d'apporter le bon denier dans ledit jour, un chapon blanc d'amende envers ledit grand Pannetier ou huit sols pour iceluy.» Cet usage de présenter le pot et les friandises ne tarda pas à tomber en désuétude. Dès le milieu du XVIIe siècle, on lui substitua, sous le nom d'hommage, qui rappelait l'origine féodale de la redevance, le paiement d'un louis d'or.

En Provence le boulanger est surnommé plaisamment Brulo pano, Gasto farino; à Paris criquet ou cri-cri est un des surnoms familiers des boulangers, qui sont aussi appelés mitrons, bien que ce nom soit plus spécial aux ouvriers. On a voulu faire dériver ce mot d'une assimilation de la coiffure des boulangers à la mitre. Le Moyen de parvenir donne une autre explication: Les valets des boulangers sont ainsi nommés pour ce qu'ils n'ont point de haut-de-chausses, mais seulement une devantière, telle ou semblable à celle des capucins qu'ils nomment une mutande, et qui en pure scolastique est appelée mitre renversée. La mitre couvre la tête et ce devanteau le cul, qui sont relatifs. Le diable était parfois surnommé le «boulanger»: il est aussi noir que le boulanger est blanc, et il met au four de l'enfer.

Les formulettes méprisantes adressées aux boulangers ne paraissent pas avoir été bien nombreuses. En Écosse quelquefois les enfants se mettent à crier sur leur passage:

Batchie, batchie, bow wow wow

Stop your heid in a ha' penny row.

Boulanger, boulanger, bow wow wow,—Mets ta tête dans un

pain d'un sou.

À Rome on condamna à être employés au service des boulangeries tous ceux qui étaient accusés et convaincus de quelques fautes légères, et afin que le nombre ne manquât pas, les juges d'Afrique devaient envoyer tous les cinq ans à Rome tous ceux qui avaient été condamnés à cette peine.

Les compagnons boulangers étaient, au XVIe siècle, assujettis à des règlements de police très sévères. Une ordonnance du 13 mai 1569 nous apprend qu'ils devaient être continuellement en chemise, en caleçon, sans haut-de-chausses, et en bonnet, dans un costume tel, en un mot, qu'ils fussent toujours en état de travailler et jamais de sortir, hors les dimanches et les jours de chômage réglés par les statuts: «Et leur sont faites défenses d'eux assembler, monopoler, porter épées, dagues et autres bâtons offensibles; de ne porter aussi manteaux, chapeaux et hauts-de-chausses, sinon ès jours de dimanche et autres fêtes, auxquels jours seulement leur est permis porter chapeaux, chausses et manteaux de drap gris ou blanc et non autre couleur, le tout sur peine de prison et de punition corporelle, confiscation desdits manteaux, chausses et chapeaux.»

Leur condition ne paraît pas avoir été très enviable autrefois. On a souvent réimprimé, dans la Bibliothèque bleue, un opuscule de huit pages qui remonte au commencement du XVIIIe siècle. Il est intitulé: La misère des garçons boulangers de la ville et des faubourgs de Paris, et un ouvrier y expose, en vers alexandrins, les inconvénients du métier; le tableau est quelque peu poussé au noir.

Campé dessus mon Four avec ma ratissoire,

J'endure autant de mal que dans un Purgatoire…

Un corps comme le mien qui n'est point fait de fer

Est par trop délicat pour un si rude enfer.

On n'a point fait pour nous l'ordre de la nature;

La nuit, temps de repos, est pour nous de torture…

On commence chez nous dès le soir les journées,

On pétrit dès le soir la pâte des fournées:

Arrive qui voudra, faut, de nécessité,

Passer toutes les nuits dans la captivité…

Entre tous les métiers j'ai bien choisi le pire,

Les autres compagnons n'ont souvent rien à faire

Qu'un ouvrage arrêté, limité d'ordinaire;

N'ayant point d'autre mal quand on arrive au soir

Qu'à se bien divertir, goguenarder, s'asseoir.

Les ouvriers boulangers et cordonniers ont été exclus du droit au compagnonnage, parce que, disent ceux des autres corps d'état, ils ne savent pas se servir de l'équerre et du compas. Ils ont formé leur association en 1817; le titre de compagnon leur a été contesté, et par dérision on ne les désigne que sous le nom de «soi-disant de la raclette».

Cette exclusion a parfois donné lieu à des rixes sanglantes. Au mois de mai 1845, les compagnons boulangers de la ville de Nantes voulant célébrer leur fête patronale, résolurent de se rendre à l'église le jour de la Saint-Honoré, revêtus pour la première fois des insignes et des rubans du compagnonnage, dont les autres compagnons avaient la prétention de leur interdire le port. Les compagnons des autres professions, à l'exception des cordonniers, résolurent de s'y opposer de vive force. Ils écrivirent dans tout le département, et il leur vint de nombreux auxiliaires qui, pour se reconnaître, adoptèrent pour signe de ralliement trois grosses épingles piquées d'une manière apparente sur le revers gauche de l'habit. Le maire de la ville avait jugé prudent de retirer momentanément aux boulangers l'autorisation d'arborer leurs couleurs. Le jour de la solennité, ils quittèrent paisiblement et dans le meilleur ordre le domicile de leur mère. Des groupes nombreux, les attendaient près de là dans la Haute Grande Rue, et lorsqu'ils y débouchèrent, quelques murmures approbateurs de ce qu'ils ne portaient pas de rubans, furent bientôt suivis des cris de: Ils ont des cannes! Pas de cannes! À bas les cannes! Et comme dans le compagnonnage on a vite passé de la parole au geste, les boulangers voient aussitôt une meute ardente fondre sur eux pour leur arracher leurs joncs. À cette brusque attaque, ils opposent une vive résistance; mais, accablés par le nombre, ils sont désarmés, dispersés et forcés de chercher un refuge dans les maisons voisines. La gendarmerie dut intervenir, et le maire défendit à tous les compagnons de paraître sur la voie publique avec des insignes quelconque.

Les dissidents du compagnonnage sont appelés les Rendurcis. À l'époque actuelle, les compagnons boulangers portent des anneaux auxquels est suspendue une raclette.

Voici comment, vers 1850, avait lieu l'enterrement d'un compagnon boulanger. Les hommes, dit Agricol Perdiguier, sont proprement vêtus, parés de rubans rouges, verts, blancs, de quelques insignes noirs, portent en main une haute canne, défilent deux à deux et forment une longue suite. Les pas battent en marchant, les cannes résonnent sur le pavé, les couleurs flottent au vent, tout est grave et silencieux. Ils entrent dans le cimetière, se dirigent vers une fosse fraîchement creusée. Arrivés là ils se forment en cercle. Le cercueil est déposé au centre. Deux compagnons s'en approchent, se mettent vis-à-vis l'un de l'autre, le pied gauche en avant, le droit en arrière; ils ne sont séparés que par le cadavre et le bois qui le renferme. Ils se regardent, se fixent avec des yeux mélancoliques. Ils ont chacun une grande canne, qu'ils tiennent de la main droite, près de la pomme, de la gauche, vers son milieu. Ils la penchent contre terre, puis il la relèvent lentement, lui font d'écrire une courbe, jusqu'à ce que son extrémité inférieure pointe vers le ciel. Ce mouvement est accompagné de cris plaintifs de la part des deux compagnons. Le mouvement des bras, des cannes et des cris recommence. Tout à coup chacun d'eux se frappe la poitrine de sa main gauche; ils se penchent à la fois l'un vers l'autre, forment au-dessus du cercueil une sorte d'arc, une espèce d'ogive et se parlent à l'oreille. Ils se redressent, recommencent leurs mouvements de bras, leurs cris et se parlent encore à l'oreille. Tout cela se répète et se répète encore. Ce dialogue incompréhensible dure assez longtemps. On descend le cercueil dans la fosse. Un compagnon se place à côté. On prend un grand drap noir à fleur de tête qui dérobe à tous les regards le vivant et le mort. À ce moment, il sort de la terre un profond gémissement. Aussitôt tous les compagnons qui s'en sont rapprochés répondent ensemble par un cri long et lugubre. Enfin les cris finissent, la terre tombe avec un bruit sourd sur le cercueil, la fosse est comblée, les compagnons se retirent.

À Rome, Vesta, en sa qualité de déesse du feu, était la patronne des boulangers; son image, que nous reproduisons d'après le Magasin pittoresque, la représente assise et ayant à côté d'elle une sorte d'autel entouré d'épis de blé, sur lequel a été déposé un pain rond; à la fête des Vestalies, le 8 juin, qui était celle des boulangers, on promenait dans les rues des ânes couronnés de fleurs et portant des colliers de petits pains.

Les Romains avaient surnommé Jupiter Pistor, c'est-à-dire Boulanger, en mémoire de ce que lors de l'assaut du Capitole, il avait inspiré aux assiégés de jeter du pain dans le camp des Gaulois, pour leur faire croire que la place était bien approvisionnée.

La confrérie des boulangers de Paris eut d'abord pour patron saint Pierre aux Liens, que le livre des Métiers appelle saint Pierre en goule Aoust; cette fête avait peut-être été choisie parce qu'elle arrive le premier jour du mois où l'on fait la principale récolte des blés. Ils eurent encore une dévotion particulière et fort ancienne à saint Lazare, fondée sur le danger de devenir lépreux auquel les boulangers à cause du feu étaient plus exposés que les autres. Ils secoururent dans un temps de disette la maladrerie de saint Lazare et s'obligèrent à lui fournir pour chacune de leurs boutiques un petit pain, dit pain de fenêtre, par semaine. À cause de ce don les boulangers lépreux y étaient reçus quel que fût leur pays d'origine. Vers le commencement du XVIIe siècle, ce pain fut remplacé par une redevance en argent, qui fut d'abord un denier parisis, dit denier de saint Lazare, payé chaque semaine, puis par une somme annuelle, que chaque boulanger payait le jour de la Saint-Jean. Ils avaient une chapelle en l'église Saint-Lazare, où ils avaient fondé une messe basse tous les vendredis de l'année à perpétuité, et un service solennel le dernier dimanche du mois d'août, où tous les boulangers se trouvaient et rendaient le pain bénit.

Mais leur principal patron était et est encore saint Honoré, évêque d'Amiens au VIIe siècle, dont la fête est célébrée le 16 mai, et leur confrérie était depuis longtemps établie dans l'église Saint-Honoré, lorsqu'ils obtinrent de Charles VII des lettres de confirmation en 1439. C'est l'image de ce saint qui figure le plus souvent sur les méreaux ou les bannières; il est en costume d'évêque et tient à la main droite une pelle de four sur laquelle sont trois pains. La bannière des boulangers d'Arras était d'azur à un saint Honoré mitré d'or, tenant à dextre une pelle d'argent chargée de trois pains de même et une crosse aussi d'or. Elle fut adoptée par les boulangers de Paris dont l'ancienne bannière portait deux pelles en croix sur le pellon de chacune desquelles étaient trois pains ronds.

On voit, au Cabinet des estampes, plusieurs images de la confrérie de Saint-Honoré; celle que nous reproduisons, un peu réduite, a été gravée aux frais de la corporation, en 1720.

[Illustration: Bannière des Boulangers d'Arras. Bannière ancienne des Boulangers de Paris.]

En Belgique, les boulangers ont adopté pour patron saint Albert, évêque de Liège, vers 1192; il est représenté debout, en costume épiscopal, tenant, comme saint Honoré, une pelle à four et trois pains fixés dessus. Saint Albert, dit la légende, était un personnage de noble origine, qui pour mieux se livrer à l'oraison, s'était retiré sur une montagne, où il exerçait l'état de boulanger. Son âne portait à la ville, sans être guidé, les pains que le maître avait cuits, les vendant à prix fait et rapportant l'argent dans une bourse attachée à son col.

À Paris, les maîtres boulangers et les compagnons font leur fête à part. Voici comment, il y a une quinzaine d'années, était célébrée celle des maîtres. Le jour de la Saint-Honoré, la corporation se réunit à son siège social pour se rendre à l'église de la Trinité où doit être chantée une grand'messe. En tête marchent quatre tambours précédant une musique; puis viennent les chefs de la corporation précédés d'une bannière; derrière sont portées des brioches qui sont offertes en guise de pain bénit. Les maîtres sont entourés de jeunes filles en blanc. Derrière eux marchent les garçons boulangers en habit de fête, ayant à la boutonnière le ruban vert brodé d'épis d'or, insigne de la corporation.

En 1863, Vinçard décrivait ainsi la fête des compagnons: Dès le matin de la fête, les compagnons et les aspirants se rendent chez la mère. Le cortège, musique en tête, part ensuite en bon ordre; les compagnons parés de rubans et précédés d'un énorme gâteau porté par quelques-uns d'entre eux, se rendent à l'église Saint-Roch, où ils font célébrer une messe. Le service fini, ils vont chez le restaurateur faire leur banquet auquel, sauf la mère, aucun étranger ne peut assister. Après le repas, ils donnent un bal, pour lequel de nombreuses invitations ont été envoyées, et où se trouvent réunies différentes députations des autres corps de métiers. Sur les billets d'invitation sont représentés les outils professionnels: une paire de balances, une étoile lumineuse placée au-dessus de deux mains entrelacées. Un tablier est au bas, avec des épis de blé, et des feuilles de laurier. À chaque coin et au milieu du dessin sont tracées des lettres symboliques se rapportant au compagnonnage. Le tout est surmonté d'une devise qui fut d'abord: Honneur et gloire aux enfants de Maître Jacques, et a été, depuis 1861, remplacée par celle-ci: Respect au devoir; Honneur et gloire au travail. Le bal donné par les boulangers est surtout remarquable par la tenue, la convenance et l'urbanité de ceux qui y prennent part.

En 1890, les compagnons et aspirants boulangers du Devoir du Tour de France, décorés aux couleurs nationales et musique en tête, partirent à deux heures de chez la mère pour se rendre à l'Élysée Ménilmontant, où ils avaient organisé une fête, suivie d'un bal qui ne se termina que fort tard dans la nuit, au milieu des chants joyeux de la boulangère.

À Lille, au moment de la fête annuelle, les valets des corporations ou des sociétés offrent aux sociétaires des images appelées blasons, où figurent généralement les saints sous le patronage desquels ces associations sont placées; celle des boulangers représente saint Honoré.

[Illustration: Image de saint Honoré, offerte à Lille par les valets de la corporation.]

Les boulangers jouaient un rôle à part dans certaines fêtes publiques auxquelles ils assistaient en corps. Une estampe reproduite dans Lacroix, Institutions et costumes an XVIIIe siècle, représente les boulangers de Strasbourg qui, dans le défilé des corporations devant le roi Louis XV, le 9 octobre 1744, ils exécutent des jeux, des danses et des exercices avec épées; l'un d'eux est monté sur une sorte de pavois formé par les épées.

À Béziers, lors de la fête de la Caritach, les boulangers, montés sur un des chariots des corps de métiers, jetaient de petits pains aux spectateurs qui tendaient leurs chapeaux.

Il est d'usage en certains pays que les boulangers fassent, au début de l'année, un cadeau à leurs pratiques. En Bourgogne, si le boulanger a apporté son offrande au client avant qu'on lui ait donné quelque autre chose, c'est un signe de chance pour la maison.

En France, tout au moins à notre époque, les enseignes des boulangeries n'ont guère d'emblèmes présentant quelque originalité: le plus commun est une gerbe de blé de petite dimension. Voici quelques sculptures avec des inscriptions pieuses relevées sur d'anciens moulins d'Edimbourg qui appartenaient aux boulangers de cette ville. Ils figuraient sur le programme de la fête de l'Association écossaise des maîtres boulangers d'Edimbourg (1894).

[Illustration: Tu mangeras ton pain À la sueur de ton front.

Dieu bénisse les boulangers d'Edimbourg qui ont fait bâtir cette maison.

Béni soit Dieu pour tous ses dons.]

Les récits populaires que nous avons rapportés appartiennent à un genre très à la mode au moyen âge, celui des exemples ou moralités: les boulangers cupides et les vieilles femmes avares y sont punis par des métamorphoses. Deux légendes siciliennes sur l'origine des taches de la lune se rattachent aussi à la boulangerie. Jadis la Lune était la fille d'un boulanger; un jour qu'elle importunait sa mère, occupée à une fournée, pour avoir un gâteau, celle-ci impatientée, la frappa de son écouvillon, c'est pour cela que la lune a la figure barbouillée; suivant un autre récit, le coup fut frappé par la mère un jour d'été que sa fille ne s'occupait que de sa toilette au lieu de lui aider à nettoyer le four.

On raconte, en Haute-Bretagne, qu'un jour Lucifer vint sur terre pour faire marché avec divers ouvriers; quand il arrive chez le boulanger, celui-ci l'invite à entrer dans son four sous prétexte de le visiter; dès qu'il y est, il asperge le four d'eau bénite, et ne consent à laisser le diable s'en aller qu'après lui avoir fait signer un écrit dans lequel il renonce à tout pouvoir sur lui. Quand le boulanger meurt, il est repoussé par le portier du Paradis: mais saint Yves, gardien du Purgatoire, l'y recueille dans un coin en lui disant: «C'est singulier que vous n'ayez pas trouvé de place en Paradis, ordinairement les fourniers n'ont pas mauvaise réputation».

Un conte des environs de Saint-Malo met en scène un matelot, un perruquier et un boulanger, tous les trois amoureux d'une fille que la mère veut marier à celui qui aura les mains les plus blanches: comme le récit est fait par un marin, c'est le matelot qui triomphe, parce que dans sa main goudronnée il a mis une pièce d'argent, plus blanche que la poudre du perruquier et que la pâte de la main du boulanger.

Dans les récits populaires assez nombreux, où il est parlé des boulangers, ils n'y figurent en général que comme personnages secondaires, ou bien leur rôle a si peu de lien avec la boulangerie que dans des variantes, souvent du même pays, ils sont remplacés par des gens exerçant un métier différent.

L'aînée des «Soeurs jalouses de leur cadette» souhaite d'avoir pour mari le boulanger du sultan, afin, dit le conte des Mille et une nuits, de pouvoir manger à discrétion de ce pain si délicat qu'on appelle le pain du sultan; la plus jeune des «Trois filles du boulanger», héroïne du conte breton qui appartient aussi au cycle des soeurs méchantes et jalouses, souhaite de devenir la femme du roi, et elle l'épouse en effet. En Portugal, le fils paresseux d'un boulanger réussit, à l'aide d'animaux auxquels il a rendu service, à devenir le gendre du roi, mais ses aventures n'ont aucun rapport avec la boulangerie.

Légendes et curiosités des métiers

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