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LA FEMME

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Sans nulle faulte, compaignon,

Voulontiers je vous l'ouvriray.

Plus tard les oublieurs annonçaient qu'ils donnaient «deux gaufres pour un denier», et ils chantaient sur un ton lamentable des rimes équivoquées:

C'est moi qui suis un oublieux,

Portant oubli à ta saison!

Pas ne dois être oublieux,

Car j'en suis, c'est bien la raison.

Un autre de leurs cris était: «La joie! la joie! Voici les oublies!»

[Illustration: Laitière des environs de Paris. Oublieur de la Ville de Paris.]

Au XVIIe siècle, c'étaient les pâtissiers qui fournissaient aux oublieurs leur attirail et leur marchandise. Un passage de l'Histoire comique de Francion le constate et donne des détails curieux sur la façon dont le métier était exercé: «Je me sauvai dans la boutique d'un pâtissier que je trouvai ouverte. Craignant d'être reconnu par mes ennemis j'avois pris tout l'équipage d'un oublieux, et m'en allois criant par les rues: Où est-il? Je passai par devant une maison; l'on m'appela par la fenêtre et cinq ou six hommes sortant aussitôt à la rue, me contraignirent d'entrer pour jouer contre eux. Je leur gagnai à chacun le teston et, par courtoisie, je ne laissai pas de vider tout mon corbillon sur la table, encore que je ne leur dusse que six mains d'oublies; mais ils me jurèrent qu'il falloit que je leur disse la chanson pour leur argent.»

Au moment où fut publié le Dictionnaire de Trévoux (1732), c'était le profit des garçons pâtissiers de crier le soir, en hiver, des oublies. Quand ils avaient vidé leur corbillon, on leur faisait aussi dire des chansons.

D'après Restif de la Bretonne, ils «vendaient des oublies en faisant jouer à une petite loterie, comme on en voit encore sur les quais. Mais on ne sait pas à qui ces gens-là pouvaient vendre durant la nuit. Nos pères, bonnes gens à tous égards, avaient pour eux une sorte de considération, parce qu'une allusion superstitieuse à leur nom d'oublieur leur faisait faire une fonction singulière, celle de troubler le repos des citoyens aux heures les plus silencieuses de la nuit, en criant d'une voix sépulcrale:

Réveillez-vous, gens qui dormez!

Priez Dieu pour les Trépassés!

Oublies, oublies!»

L'usage de faire monter le soir après souper les oublieux engendra des abus et occasionna maintes scènes scandaleuses. Plus d'une fois un voleur en quête d'aventures, à défaut de meilleure aubaine, dévalisait le pauvre oublieux. Quelquefois il tombait dans une orgie de jeunes débauchés qui le prenaient pour souffre-douleur, l'insultaient, le battaient et quelquefois le renvoyaient moulu et dépourvu de tout. L'un d'eux fut même assassiné par des libertins de qualité qui couraient les rues la nuit. Quelques-uns de ces petits marchands finirent par s'affilier à des bandes de malfaiteurs et prirent une part assez active à différents vols. Ils indiquaient les êtres des maisons et fournissaient à leurs associés le moyen de s'y introduire. D'après Legrand d'Aussy, quand Cartouche forma cette troupe d'assassins qui pendant un temps remplit Paris de meurtres, quelques-uns de ces scélérats s'étant déguisés en marchands d'oublies pour commettre plus facilement leurs crimes, la police défendit aux oublieux les courses nocturnes. Ce règlement en diminua beaucoup le nombre. Ceux d'entr'eux qui continuèrent leur métier vendirent le jour, parcourant les quartiers et les promenades que fréquentait le peuple.

Lorsque les oublieurs disparurent, ils furent remplacés par des marchandes de plaisir qui se faisaient autrefois entendre de tous côtés dans les rues de Paris, et qui exerçaient leur industrie le jour et dans la soirée. En 1758, elles étaient assez populaires pour que, dans la Matinée des boulevards, l'une d'elles figurât parmi les marchands que Favart faisait défiler. Elle chantait ce couplet:

V'là la p'tit' marchand' de plaisir,

Qu'est-c' qui veut avoir du plaisir?

Venez, garçons; venez, fillettes,

J'ai des croquets, j'ai des gimblettes,

Et des bonbons à choisir.

V'là la p'tit' marchand' de plaisir,

Du plaisir, du plaisir.

Ces femmes étaient, par métier, forcées d'être aimables et de se laisser tout au moins courtiser; c'est ce que répond l'une d'elles à son amoureux qui lui en fait des reproches:

Dame, d'où vient qu'il est jaloux!

Ce n'est pas ma faute, voyez-vous:

Je suis marchande de Plaisir,

Je dois contenter le désir

Du monde et j'ons besoin d'pratique:

Je ne vis que de ma boutique.

Voyez voir, messieurs, si j'ons tort.

Bachot a beau m'aimer bien fort,

J'n'en pouvons faire davantage.

Dans la Matinée des boulevards, ce dialogue assez peu édifiant s'engage entre un «clincailler et sa fille» marchande d'oublies:

LE CLINCAILLER.—Écoute, écoute, Louison: as-tu déjà

beaucoup vendu, mon enfant?

LA PETITE MARCHANDE.—Non, papa; mais voilà un louis qu'un

monsieur m'a donné pour remettre tantôt un billet à une

dame qu'il doit épouser, et qu'il m'a fait connaître.

LE CLINCAILLER.—Donne, c'est toujours quelque chose; les

honnêtes gens se soutiennent comme ils peuvent. Mais

auras-tu assez d'adresse pour t'acquitter de la commission?

LA PETITE MARCHANDE.—Oh que oui, papa; ce n'est pas mon

coup d'essai.

Ce nom de «plaisir» appliqué aux gaufres prêtait à des allusions et à des équivoques galantes. La chansonnette du Marchand d'oublies rentre dans cet ordre d'idées:

Jouez à mon petit jeu,

Mon aimable fille,

Approchez-vous donc un peu

Et tournez l'aiguille.

Tourner depuis quelque temps

Est chose commune,

En tournant combien de gens

Ont fait leur fortune.

Jeunes amans qu'en secret

L'Amour accompagne,

Tirez avez votre objet,

À tout coup l'on gagne.

De mes avis faites cas,

Fillettes jolies,

Et surtout n'oubliez pas

Le Marchand d'oublies!

Les peintres et les dessinateurs y virent un motif à allégories et firent des compositions dans le genre de celle de la page 29. Il courut à la même époque une assez jolie chanson intitulée l'Amour marchand de plaisirs, dont voici quelques couplets:

L'Amour courait, cherchant pratique,

De plaisirs il était marchand.

Pour achalander sa boutique,

Il s'en allait partout, criant:

«Dans la saison d'aimer, de plaire;

Régalez-vous, il faut jouir;

Étrennez l'enfant de Cythère:

Mesdames, voilà le plaisir!

Régalez-vous, mesdames,

Voilà le plaisir!

[Illustration: L'Amour marchand de plaisirs, d'après le dessin de

Perrenot.]

Le temps s'envole, et sur sa trace

Fuient beauté, jeunesse et désirs;

Comme un éclair le plaisir passe;

Au passage il faut le saisir.

Fillettes, dont le coeur palpite,

Régalez-vous, pourquoi rougir?

Au plaisir l'Amour vous invite,

Fillettes, voilà le plaisir!

Régalez-vous, mesdames,

Voilà le plaisir!

Mon adresse est chez le Mystère,

À l'enseigne du Rendez-vous;

Venez, venez, j'ai votre affaire;

J'ai du plaisir pour tous les goûts.»

Bientôt le plaisir fut si preste,

Tant de chalands vinrent s'offrir,

Qu'Amour criait: «Au reste, au reste!»

Hâtez-vous ou point de plaisir:

Régalez-vous, mesdames,

Voilà le plaisir!

Kastner trouvait que le cri: Voilà l'plaisir, mesdames! voilà l'plaisir! était une des plus jolies phrases mélodiques qu'il connût. Elle est, dit-il, gracieuse, expressive, élégante, bien déclamée et toujours d'un effet agréable, lors même qu'elle laisse quelque chose à désirer pour l'exécution. Ce sont les jeudis et les dimanches que la gentille et accorte marchande fait sa plus longue tournée. Le corps légèrement incliné d'un côté, par suite du poids de son grand panier qui pèse sur sa hanche du côté opposé, et tenant à la main un grand cornet de carton où sont empilées l'une dans l'autre les oublies roulées en volutes et portant sur le dos des figures, des devises, des emblèmes saints ou profanes, elle se rend dans les lieux où il y a foule et où elle ne pourrait crier longtemps sans importuner les promeneurs ou sans se fatiguer beaucoup elle-même; elle cesse de faire entendre sa voix et se sert, pour exciter l'attention des passants, d'un instrument de percussion analogue au tarabat des Israélites. Il est formé d'un morceau de bois carré muni en haut d'une sorte de poignée; il porte sur ses faces une pièce de fer également semblable à une poignée; celle-ci étant mobile exécute, lorsqu'on remue le morceau de bois, des mouvements de va-et-vient qui lui permettent de frapper le bois de côté et d'autre, et de produire par là une suite de coups assez forts pour être entendus à distance. Les marchandes de plaisir appellent parfois cet instrument le dit-tout, parce qu'il parle

pour elles et leur épargne la peine de crier leur marchandise.

De nos jours les marchandes de plaisirs sont en général vieilles; on les entend crier: «Voilà l'plaisir, mesdames, voilà l'plaisir!» Autrefois les gamins ne manquaient pas de parodier la modulation qu'elles donnaient à leur cri en chantant:

N'en mangez pas, mesdames, ça fait mourir!

À Marseille, les marchands d'oublies criaient: Marchands d'oublies! Oublies à la joie! et pendant les premières années de la restauration:

Marchand d'oublies,

Vive Louis,

Oublies à la joie,

Vive le roi!

À la fin du second Empire, la mère Plaisir était très connue sur le boulevard Saint-Michel; elle était grande et grosse, de bonne humeur, et elle modulait avec une voix bien timbrée son cri:

Voilà l'plaisir, mesdames,

Régalez-vous!

Elle avait sur la rive gauche une petite notoriété à laquelle elle n'était pas insensible; plusieurs chroniqueurs parlèrent d'elle, et son portrait fut gravé à l'eau-forte.

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