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Bébelle—Pantalon crotté

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Au moment où j'avais aperçu la Cauchoise, le souvenir de M. Louaisot de Méricourt traversait justement mon esprit.

Et ce n'était pas la première fois.

Pourquoi la pensée de cet homme me suivait-elle ainsi?

Je ne lui connaissais d'autre lien avec l'affaire Thibaut que le fait d'avoir pu me fournir l'adresse de ce dernier. C'était là précisément son métier, et j'étais entré chez lui comme dans la boutique où s'achètent les choses de cette sorte. M'aurait-il d'ailleurs fourni l'adresse pour quelques francs s'il avait eu un intérêt, même minime à séquestrer ou à cacher Lucien? Mais les pressentiments et les soupçons vont et viennent. Bien rarement saurait-on dire de quel nuage ils tombent. Je montai dans un coupé de louage, après avoir indiqué au cocher la rue du Helder et mon numéro.

Je voulais seulement déposer chez moi mon paquet de papiers avant de courir au restaurant voisin, car j'étais à demi mort de famine. Lucien avait déjeuné, mais moi je restais sur les quelques gouttes de thé, avalées à la hâte avant ma visite au bureau de M. Louaisot. Comme je rentrais, mon concierge me dit qu'il était venu un monsieur pour me voir.

Ceci était presque un événement. Personne ne savait mon retour à Paris, où je n'étais du reste qu'en passant. Je ne recevais aucune visite. Mon concierge ne connaissait pas le monsieur qui n'avait pas voulu laisser son nom, disant qu'il demeurait dans le quartier et qu'il repasserait. Je ne pus obtenir à son sujet que des renseignements très vagues, assez ressemblants à ces funestes portraits, supplice de la gendarmerie, que les employés municipaux dessinent à la plume au bas des passeports. Ces choses portent le nom menteur de signalement. Les signalements sont au nombre de quatre. Chacun d'eux s'adapte à un quart de l'humanité. Il y en a pourtant un cinquième pour les nègres, et c'est le seul qui soit reconnaissable.

Ils coûtent deux francs pour l'intérieur, dix francs pour l'étranger: savez-vous rien de plus lugubre que le comique administratif? Après avoir écouté la description de mon concierge, je n'en étais pas plus avancé. Aucune idée ne s'éveilla en moi par rapport au visiteur inconnu. Ce n'était personne et c'était tout le monde. Mais pendant que je montais l'escalier de mon entresol, une jolie petite voix clairette me cria d'en haut:

—Bonsoir, Monsieur, comment te portes-tu? Je suis sur le carré parce que papa et maman se tapent.

Je levai la tête et j'aperçus le sourire échevelé de Bébelle.

—Bonsoir. Bébelle!

Bébelle, mon amie, était un bijou de sept ans, héritière unique du cinquième, sur le derrière.

Son père, prote d'imprimerie, et sa mère, artiste en éventails, pouvaient passer pour des cœurs d'or, très vifs de caractère.

Deux tourtereaux hérissés.

Ils s'aimaient très sincèrement; mais de temps en temps ils se renfermaient pour s'expliquer à bras raccourcis, et alors Bébelle se réfugiait chez moi.

—As-tu vu le monsieur qui est venu me demander, Bébelle, ma chérie?

J'étais sûr de mon affaire, Bébelle voyait tout.

—Parbleu! me répondit-elle.

Elle ajouta:

—Puisque je revenais du lait, avec la boîte.

—Pourrais-tu me dire comment il est fait?

—Parbleu, il est mal fait... puisqu'il a les jambes si longues, si longues que j'ai eu envie de passer à travers, pendant qu'il se dandinait devant la loge... avec des lunettes d'or... et crottées, ses quilles, jusqu'en haut de sa culotte noire. Veux-tu que j'aille jouer chez toi, Monsieur, avec les images?

—Non, je vais dîner dehors.

—Alors, ça m'est égal, je suis bien sur le carré. D'ailleurs, c'est presque fini chez nous, car maman pleure.

Bébelle n'en donnait que cela.

Il y en a qui deviennent tout de même de chères créatures, mais je ne prends pas sous mon bonnet de recommander ce genre d'éducation aux familles.

J'entrai chez moi et je refermai ma porte. Croiriez-vous que j'avais presque oublié ce grand appétit qui me talonnait depuis Belleville?

Ces longues jambes vêtues de noir et que la boue tigrait du haut en bas, me ramenaient à mon idée fixe.

J'avais admiré le pantalon noir crotté de M. Louaisot de Méricourt et la longueur inusitée de ses jambes, pendant qu'il mangeait avec tant de plaisir son morceau de rôti sous le pouce.

Était-ce lui qui m'avait demandé? Dans quel but?

Je haussai les épaules en jetant le dossier sur la tablette de mon secrétaire.

Il n'y avait pas apparence que ce pût être lui.

Mais, au lieu de sortir, j'allumai ma lampe et j'ouvris le dossier.

Il pouvait être alors huit heures du soir. Douze heures me séparaient de mon thé du matin.

Quand minuit sonna, j'étais encore assis auprès de mon bureau et je lisais avec une avidité croissante les papiers à moi confiés par mon pauvre camarade Lucien Thibaut.

La majeure partie de ces papiers sera mise ici textuellement sous les yeux du lecteur, et j'analyserai les autres au cours de notre récit.

Le dernier vivant

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