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Pièce numéro 14

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(De l'écriture de Lucien Thibaut. Non signé. Sans date.)

J'ai besoin de parler. J'en mourrais. Il y a au fond de moi une voix que j'étouffe et qui voudrait crier: «Je l'aime, je l'aime!»

Je l'aime comme on respire. Elle est le souffle de ma poitrine. Elle est ma vie. Oh! je l'aime! En écrivant cela toutes les fibres de mon être frémissent de volupté.

À qui fais-je mal en l'aimant plus que moi-même? Quels sont les ennemis inconnus qui s'acharnent à torturer mon bonheur?

Je demandais un frère autrefois. Un frère me dirait que je me perds, ou peut-être que je le déshonore. Qui sait? je ne veux pas de frère.

Je t'écris encore, Geoffroy, mais c'est parce que tu ne me répondras pas. Je n'aurai de toi ni conseils accablants, ni reproches amers.

Ce n'est pas à toi que vont mes plaintes, c'est à un Geoffroy que je crée et que tu ne connais pas, un Geoffroy amoureux et malheureux, capable de prêter l'oreille au chant délicieux de ma douleur....

Elles demeurent dans une toute petite maison qui dépend d'une ferme, à laquelle appartient le champ où je la rencontrai pour la première fois.

La ferme s'appelle le Bois-Biot.

La pauvre mère est bien malade, elle s'en va doucement. Jeanne s'accroche à elle et l'enveloppe d'une longue caresse qui s'efforce en vain de la retenir dans la vie.

J'ai dû te dire que Mme Péry avait l'air d'être encore toute jeune. Elle est très belle. Jamais elle ne parle de sa maladie, mais on sent si bien qu'elle voit sa fin prochaine! Je l'ai surprise mortellement triste, parce qu'elle ne se savait pas épiée, et j'ai deviné que l'image de sa Jeanne abandonnée passait alors devant ses grands yeux, qui n'ont même plus la consolation des pleurs.

Elle sourit dès qu'on la regarde, mais son sourire est plus triste que sa tristesse.

Est-ce à cause de Jeanne que je l'aime si profondément, cette douce mourante, belle comme la résignation?

Ou plutôt n'est-ce pas ma tendresse pour elle qui met le comble à l'amour infini que sa fille m'inspire?

Jamais je ne leur ai parlé de cet amour. Je sais qu'il s'exhale de tout mon être. À quoi serviraient les paroles? Je reste là entre elles deux comme si c'était ma place et mon droit.

Que n'est-ce mon devoir!

Hier, notre malade s'était endormie. Quand ses yeux se sont rouverts, elle a surpris ma main dans celle de Jeanne. Un peu de sang est revenu à ses joues. J'ai cru qu'elle allait sourire et nous unir dans sa bénédiction.

Je suis sûr qu'elle y songeait.

Mais le voile de ses longs cils s'est rabattu sur son regard attendri et plus triste.

Elle a demandé sa potion, quoique ce ne fût point l'heure. Jeanne nous a quittés aussitôt pour aller dans la chambre à coucher prendre la fiole.

Mme Péry et moi nous sommes restés seuls.

Elle a pris la main que Jeanne tenait tout à l'heure. Je croyais qu'elle allait parler. Pourquoi ne parlait-elle pas?

Le silence, entre nous, a duré si longtemps que déjà on entendait le pas de Jeanne, revenant sur la pointe du pied, quand la chère malade a dit tout bas:

—Lucien, est-ce que vous recevez aussi des lettres anonymes?

Je ne pouvais pas répondre non.

Au moment où Jeanne rouvrait la porte, Mme Péry m'a glissé dans la main une enveloppe qui semblait contenir plus d'une lettre, en murmurant:

—Mon cher Lucien, vous avez une mère....

Le dernier vivant

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