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Pièce numéro 12
Оглавление(Billet écrit et signé par Mme la marquise de Chambray-)
Yvetot, ce mercredi (sans autre date).
Mon cher Lucien, vous vous faites de plus en plus rare. Votre chère mère et vos sœurs m'avaient chargée d'avoir de vos nouvelles. Comment puis-je leur en donnerai je ne vous vois pas?
Mme Thibaut est toujours chez moi, là-bas. J'espère aller l'y retrouver bientôt. Elle paraît préoccupée à votre endroit d'un désir et d'une crainte. Je ne puis ni la rassurer ni l'aider puisque vous vous éloignez de moi sans cesse davantage.
Je ne sais si j'ai pu faire quelque chose qui vous ait déplu. Je cherche en vain, je ne trouve pas. Du vivant de mon mari, j'avais mes devoirs, mais, depuis que je l'ai perdu, j'avoue que je sais gré à ceux de mes anciens amis qui n'abandonnent pas la pauvre veuve.
Avez-vous donc oublié tout à fait les jours qui suivirent notre enfance? Vous n'aviez pas de meilleure amie que moi et vous me disiez tous vos secrets.
Au milieu du monde qui m'entoure, allez, je suis bien seule. Si vous veniez me voir, je ne vous demanderais pas votre secret maintenant.
Note de Geoffroy.—C'était signé Olympe. Cette belle marquise avait une écriture anglaise un peu trop renversée, mais charmante.
Je ne sais pas pourquoi, après avoir lu son billet qui gardait encore, depuis le temps, un parfum pâle et doux, je feuilletai le dossier pour retrouver les lettres anonymes portant les nos 1.3 et suivants jusqu'à 8.
Je m'arrêtai aux deux premières.
Ces lettres n'étaient pas de la même main, cela sautait aux yeux.
Du moins, cela semblait sauter aux yeux.
L'une était tracée lourdement, sur fort papier, avec une grosse plume maladroite.
L'autre, sur papier Bath, très faible, pouvait passer pour une série d'écorchures lisibles. Mais, je l'ai mentionné déjà, les écritures de ces lettres étaient toutes les deux déguisées.
Et il y avait entre les deux corps d'écriture, en apparence si différents, un mystérieux lien de famille.
Étais-je déjà prévenu? Le même rapport me parut exister, rapport excessivement vague assurément et encore plus sujet à contestation, entre ces écritures si contrastantes et les déliés gracieux de Mme la marquise.
Remarquez que je ne me donne pas pour un expert juré,—mais je ne veux pas cacher non plus que je ne suis pas tout à fait un profane au point de vue de la calligraphie.
J'ai pratiqué un peu cette science—ou cette fantaisie—qui consiste à juger le caractère des gens d'après leur plume.
De ce travail d'examen—et de comparaison—qui interrompit un instant ma lecture, il me resta deux impressions:
L'une ayant trait à la ressemblance: très fugitive celle-là et que je n'oserais pas même appeler un soupçon.
L'autre se rapportant à l'examen technique de l'écriture de Mme de Chambray: cette impression beaucoup plus accentuée que la première.
Il y avait là, selon ma manière d'interroger la plume, une vigueur sous la grâce, une puissance sous l'abandon, une volonté intense et une hardiesse peu commune derrière la mignardise toute féminine d'une écriture à la mode.
Cette marquise me piquait, voilà le vrai. Elle m'effrayait aussi. Je la voyais dominer de toute la tête le niveau de ce drame, taillis confus où j'en étais encore à chercher ma route parmi les broussailles.
Au moment où je remettais en place les lettres anonymes, ma pendule sonna. Il était onze heures de nuit. Je lisais depuis trois heures. Mon estomac criait littéralement famine.
Cependant, au lieu de prendre mon chapeau pour descendre au boulevard où tant de restaurants m'offraient leurs tables hospitalières, mon œil d'affamé fit le tour de la chambre.
Il rencontra, sur un guéridon, quelques rogatons du pain à thé qui avait servi à mon déjeuner du matin.
Je poussai le cri des naufragés de la Méduse apercevant une voile à l'horizon. D'une main, je m'emparai des bribes desséchées, tandis que l'autre tournait déjà un nouveau feuillet, et je plongeai tête première dans mon investigation, dévorant avec une activité pareille mes croûtes et mes paperasses.