Читать книгу Le dernier vivant - Paul Feval - Страница 35

Pièce numéro 10 bis

Оглавление

(Anonyme. Même écriture que le n°3. Sans date ni désignation de lieu de départ. Point de timbre postal.)

M. le comte de Rochecotte est prévenu que son ancien camarade et ami L. Thibaut est sur le point d'épouser une jeune personne peu digne de lui.

Les amis de M. L. Thibaut ont lieu de supposer que M. de Rochecotte connaît supérieurement ladite jeune personne, et la connaît sous des rapports qui lui permettront d'éclairer la situation d'un seul mot.

Pour tout dire, un desdits amis de M. L. Thibaut a rencontré à Paris, non pas une fois, mais plusieurs, ladite jeune personne au bras de Rochecotte lui-même, et cela dans des endroits où une honnête femme hésiterait à entrer.

Il est probable que M. L. Thibaut écrira à M. de Rochecotte pour lui demander des renseignements.

S'il ne le fait pas, il serait peut-être du devoir d'un galant homme de prendre les devants pour dire à ce malheureux ce qu'est ladite jeune personne.

La mère et les sœurs de M. L. Thibaut sont dans la consternation.

Suite du numéro 10

As-tu lu? bon! D'abord j'ai trouvé ce billet absolument impertinent. Je n'ai jamais été avec ma Fanchonnette que dans de très bons endroits.

Et il y a un temps immémorial que je n'ai été nulle part avec une autre que ma Fanchonnette.

La première idée qui m'est venue, c'est que tu voulais me l'épouser sous le nez, ce qui aurait été malhonnête de ta part.

Mais je me suis calmé en songeant que tu ne la connaissais seulement pas. J'ai jeté le chiffon anonyme et je n'y ai plus songé.

Hier soir, parlons désormais sérieusement, ta lettre est arrivée. Elle m'a expliqué un peu l'hébreu impertinent du billet.

D'après ta lettre «ladite jeune personne» est la fille de ce vieux Rodrigue de baron. Celui-là, j'ai bien le droit d'en faire les honneurs puisqu'il était un peu mon cousin par sa femme.

Tiens, justement au même degré, et même plus près, je crois, que la perfection des perfections, mon autre cousine, la divine Olympe. Tu l'as donc oubliée depuis qu'elle est marquise?

Mon père ne voyait pas la baronne Péry de Marannes. Ils s'étaient brouillés, je ne sais pourquoi. Ceci est pour répondre à ta question. La mère et la fille sont des étrangères pour moi. Je ne les connais ni d'Ève ni d'Adam, je l'affirme sur l'honneur.

Voilà qui est dit. À ce sujet, le billet anonyme se trompe absolument. Comment peut-il se tromper tant que cela et me radoter à moi-même qu'il m'a rencontré avec une personne que je n'ai jamais vue, je n'en sais rien et m'en bats l'œil. Je méprise les charades, ne sachant pas les deviner.

Mais, mon vieux Lucien, il y a autre chose, malheureusement. Je suis presque marri de ne pouvoir remplir les intentions charitables de l'anonyme, car tu vas te casser le cou, c'est clair. As-tu idée, entre parenthèses, de ce que peut être l'anonyme?

Les belles dames prennent souvent ce style de procureur quand elles vous lancent ainsi des gredineries non signées.

As-tu une belle dame à tes trousses?

Moi, j'ai songé à ta bonne mère. Je l'approuverais palsambleu! Ou à une de tes sœurs.

La chose sûre, c'est que la fille de mon honoré cousin, le seigneur de Marannes, ne doit pas valoir très cher.

Il est bien établi que le billet ment: je suis amoureux jusqu'au délire, et par continuation depuis les temps les plus fabuleux, de mon idole, de ma houri, de mon délicieux petit bijou, de ma Fanchette chérie, mon ange, mon diable, ma ruine, mon salut que tout Paris me connaît et m'envie, et qui me fait enrager en dansant avec tout Paris. Je me moque donc de toutes les Jeanne de l'univers et principalement de la tienne.

Mais, et sois assez perspicace pour remarquer que ce mot, prononcé pour la seconde fois, est écrit en lettres capitales, mais, dis-je, cela n'empêche pas du tout le billet anonyme de mériter considération. Quant à moi, il m'a beaucoup frappé.

Que diable! je ne suis pas le seul être au monde qui puisse se damner avec une Jeanne comme la tienne. Il y en a des quantités d'autres, je t'en donne ma parole d'honneur.

Or, mon brave Lucien, mon cher camarade, tu n'es pas du bois dont on fait des maris résignés. Non. L'autre mois nous causions encore de toi, Geoffroy et moi. En voilà un qui fait son chemin! Nous disions que tu étais la meilleure et la plus noble nature d'entre nous tous: capable, selon le sort, d'être heureux à titre larigot ou malheureux comme on ne l'est pas.

Si Geoffroy était à Paris, c'est lui qui filerait son nœud en deux temps pour courir à ton salut; mais la France, sa patrie et la nôtre, a besoin de lui dans les contrées étrangères. Allez! j'écrirais aussi bien qu'un autre, en beau style bête, si je voulais.

Je te dis, moi: réfléchis avant de piquer ta tête. C'est diablement grave. Ma parole, je regrette presque le renseignement fourni ci-dessus, tant j'ai le pressentiment que ton affaire n'est pas bonne.

Encore une fois, il était mon parent; je puis parler de lui la bouche ouverte; il faut avoir tué père et mère pour entrer comme cela volontairement dans la famille de cet imbécile coquin.

N'y entre pas, vieux Lucien, je t'en prie! Il doit y avoir quelque mauvaise histoire là-dedans.

Pour un peu, vois-tu, je te dirais que j'ai menti. Et, tiens, s'il faut cela pour te sauver, ça y est: je connais ta Jeanne, j'ai soupé avec elle plutôt dix fois qu'une; elle boit le Champagne comme un chérubin du ciel et lève l'une et l'autre jambe à hauteur de carabinier.

Parole sacrée. Porte-toi bien.

Post-scriptum.—Si tu connaissais ma Fanchonnette, tu comprendrais la vanité de pareils propos. Voilà une jeune personne! Mais, ventre de biche, je ne l'épouse pas.

Le dernier vivant

Подняться наверх