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PSYCHOLOGIE DE LA FEMME TROMPÉE

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Décidément, Yvonne est une gentille, une sincère amie. Depuis qu'elle sait ma situation de demi-veuve, elle ne m'abandonne pas et vient assidûment me voir. Ses visites m'ont consolée. Sans cette folle, en effet, je me serais certainement laissé prendre par un chagrin naïf et sot, tandis que me voilà sinon guérie de la blessure que m'a faite mon mari, du moins fort disposée à en être guérie.

Yvonne est une savante doctoresse et les amants heureux ou malheureux devraient bien la consulter.

Ce matin, nous avons fait ensemble une longue promenade, à cheval, dans le Bois, et nous avons bavardé.

Comme je lui disais que j'avais médité ses paroles et que j'étais résolue à accepter, paisiblement, ma situation de femme trompée, elle s'est mise à rire et s'est tournée vers moi.

—Ce ne sont pas mes paroles qui t'ont ainsi calmée, déclara-t-elle, qui t'ont ainsi amenée à ne point te révolter contre l'infidélité de ton mari. Si tu avais été une femme sentimentale, au lieu d'être ce que tu es—une nerveuse, une sensuelle, mes discours n'auraient guère servi à te rendre raisonnable.

—Quelle folie me contes-tu là?

—Je ne plaisante pas, ma mignonne.

—Cependant...

—Il n'y a pas de cependant. Tu es la femme que je dis et, si tu ne l'étais pas, tu n'agirais pas comme tu te promets d'agir.

Devant cette appréciation un peu vive, une confusion me saisit.—Yvonne vit mon attitude et reprit:

—Ne rougis pas, voyons; je ne te demande pas tes secrets intimes: d'abord, parce que je ne tiens pas à les connaître; ensuite, parce qu'ils ne doivent pas être, au point de vue spécial de la psychologie amoureuse, très curieux. En affirmant que tu es une nerveuse, une sensuelle, je n'ai pas voulu indiquer que tu as l'expérience, la pratique qui caractérisent les femmes nerveuses et sensuelles; j'ai simplement constaté qu'en te «faisant une conduite» semblable à la leur, tu te montres à moi comme une sensuelle instinctive. Si tu rencontres jamais un homme dont tu acceptes l'affection, si tu possèdes jamais un... ami, ce n'est pas lui qui me démentira.

—Explique-toi.

Yvonne s'assujettit un peu sur sa selle, ainsi qu'un professeur sur sa chaise; puis, elle continua:

—Une femme sentimentale, en amour, se reconnaît à l'absolutisme, à l'exclusivisme intérieurs qu'elle apporte en toutes choses, en ses paroles, comme en ses actions. Elle est sans fièvre apparente sous les baisers, elle est sans indulgente compréhension devant les petits accidents qui peuvent troubler son intimité.—Déçue dans la propriété du mari ou de l'amant, par exemple, trompée, comme c'est ton cas, elle demeure atterrée, elle ne parvient pas à concevoir nettement l'inconstance de celui qu'elle aime, elle ne peut s'habituer à cette idée qu'il ait été séduit par d'autres attraits que les siens, qu'il ait répondu à l'appel d'une bouche qui n'est pas la sienne. Elle ne s'indigne pas violemment; elle s'écroule toute, elle gémit, elle se traîne dans une désespérance, comme ces malades qui agonisent, lentement, en une langueur douce et délicieusement triste, parfois.—La femme sensuelle qui vit, en amour, beaucoup plus physiquement que moralement, dont tout l'être matériel appartient au désir, qui ne livre que très peu de cérébralité, d'âme si tu veux, à l'homme, au plaisir qu'elle en retire, plutôt, est moins exclusive dans sa pensée, dans ses actes. Si elle est naturellement jalouse de celui qu'elle aime et à qui elle se confie, elle admet très bien, dans un instinct qui découle de la franchise de ses impressions, qu'elle pourrait n'être pas seule à le rendre heureux, et s'il lui arrive d'être dédaignée, de traverser une crise d'abandon, elle éprouve du dépit sans doute, mais ses larmes sont vite séchées. La femme sentimentale ne voit pas la possibilité d'une rivalité d'amour en son existence, se refuse à deviner la séduction qui peut naître, contre elle, d'une autre femme. La femme nerveuse examine loyalement les choses et les êtres dont elle a le contact habituel. Elle a un regard intérieur—ce regard invisible des amoureuses de race—qui lui montre que telle femme la vaut, que telle femme est redoutable, et comme elle a la compréhension intime du désir, elle déplore sa défaite lorsqu'elle est trompée, mais elle ne hait réellement, ni celui qui la délaisse, ni celle qui passe, ainsi, dans sa vie.—Tu es cette femme, je le répète.

Les théories d'Yvonne sont intéressantes, mais elles me paraissent quelque peu fantaisistes.

Comme elle se taisait, je ne pus m'empêcher de protester contre ses paroles. Elle se redressa, au risque de faire cabrer son cheval, et me dit:

—Tu crois que je m'amuse à «paradoxer.» Soit. Réponds donc à mes questions: sincèrement, affirmerais-tu que tu hais ton mari, parce qu'il te trompe; que tu hais Rolande, parce qu'elle est sa maîtresse? Sincèrement aussi, nierais-tu que cette petite peste fût très jolie?

Je souris:

—Je n'éprouve, en effet, de haine véritable ni contre Jean, ni contre Rolande, et j'avoue que ma... rivale est charmante.

Yvonne, radieuse, s'écria:

—Tu vois, tu confirmes mon raisonnement. Ce qui le fait indiscutable, surtout, c'est que tu n'as pas fermé ta chambre à ton mari—je le parierais;—c'est encore que si, tout à l'heure, demain, il te regarde d'une certaine façon, tu oublieras son crime. Si tu t'en souviens, de ce crime, ce ne sera même, crois-le, que pour mieux aimer celui qui l'a commis. Il y a de ces incohérences apparentes en amour. Elles ne forment, en réalité, que les éléments du désir.

La science me manquait pour suivre Yvonne dans sa discussion, et je tentai de détourner l'entretien.

—Quoi qu'il en soit de toutes ces choses, fis-je, Jean n'est pas excusable de me tromper.

Yvonne eut un grand éclat de rire.

—Encore! Tu songes encore à trouver ou à ne pas trouver des excuses à la conduite de ton mari! Mais, ma chérie, mets-toi donc bien dans la tête que les actes d'un homme, en amour, n'ont aucune importance. Un homme marié, dans le monde, trompe nécessairement sa femme. L'homme qui a reçu une spéciale éducation, qui appartient, soit à un milieu mondain, soit à un milieu artistique, n'est pas responsable, à proprement parler, de ses entraînements passionnels. Il va à la femme, dans un mouvement inconscient, comme il va au restaurant lorsqu'il a faim. Sa main se tend vers nos jupes, fatalement, sans que nous puissions considérer son audace comme un outrage, sans que nous puissions lui garder rancune de cette audace, même lorsqu'elle est inspirée par une autre que par nous. L'homme qui ne donnerait pas sujet de plainte à sa femme, en amour, ma pauvre chérie, serait... manchot, et au diable soient les invalides!

—Fort bien, dis-je, c'est là une morale très commode et très amusante. Mais pourquoi ne profite-t-elle qu'à l'homme? Pourquoi la femme n'en bénéficierait-elle pas?

Yvonne me regarda et il me sembla qu'un étonnement, mêlé d'un peu de pitié, se dessinait sur son visage.

Elle murmura:

—La femme... la femme... oh, ma mignonne, comme tu es innocente!... La femme... mais elle en bénéficie autant que l'homme, de cette morale. Si elle ne récrimine pas devant les caprices du mari, je ne vois pas que le mari récrimine devant les siens.

—Quoi, tu penses que M. de Blérac, par exemple, apprenant que Rolande est la maîtresse de Jean...

—Ne dirait rien.

—Oh!

—C'est comme cela, conclut Yvonne.

Je ne répondis rien à cette affirmation. Nous prîmes un temps de galop et nous rentrâmes pour le déjeuner.

Jean m'attendait. Il fut aimable, et je mangeai comme une paysanne.

Ah, ça, est-ce que, vraiment, les discours de cette folle d'Yvonne seraient sérieux?

Carnet d'une femme

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