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L'AMANT

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Que dois-je penser de moi?—Au moment où je m'apprête à griffonner mes quelques lignes habituelles, j'hésite et me sens toute troublée.

Hélas!—pourquoi hélas, après tout?—les énervantes théories d'Yvonne, les opinions libérales de la vieille marquise d'Oboso sur le péché intime de la femme, ne m'ont pas trouvée indifférente, ont rencontré en moi une écouteuse docile et—comment avouer cela, même à mon papier?—me voilà classée, désormais, dans la catégorie de celles qui ont un masque, car, pour tout dire d'une phrase, d'une vilaine phrase qui sonne mal à l'oreille:—j'ai un amant.

Devant ces mots:—«J'ai un amant»—j'éprouve comme un sentiment de tristesse et de joie, en même temps. Et ce qui «corse» ma situation morale, c'est que je ne saurais franchement indiquer laquelle de ces deux choses me possède davantage. Il y a des minutes où il me semble que la terre se dérobe sous mes pieds, que tout tourne autour de moi, que je suis ivre; et, alors, je pleurerais volontiers. Il y a des instants où je me sens plus affermie dans l'existence, où j'ai la certitude qu'une force mystérieuse est entrée en moi; et, alors, je me laisserais délicieusement envahir par de l'exaltation. J'ai la fièvre sûrement, et je suis une malade.

Quoi qu'il en soit, un fait existe que j'ignorais hier, et j'en porte la responsabilité.

Mon... ami—l'autre mot, le vrai, ne me plaît pas, décidément—m'aime-t-il, et moi-même, pourrais-je déclarer que je l'aime? Ce sont là questions de psychologue.

Tout s'embrouille, en cette heure, en ma pensée, et je ne suis capable que de constatations très matérielles.

Il n'est ni beau, ni laid. C'est un assidu de tous les salons que je fréquente, et si je me souviens qu'il m'a fait une cour très sérieuse, une cour que j'ai acceptée pour passer le temps, mon Dieu, dans une intuition d'un danger aimable, sans doute, mais en dehors de toute intention de me donner à lui, en n'envisageant cette extrémité que comme très lointaine—si je me souviens, donc, qu'il m'a fait la cour, je ne saurais dire quels moyens il a employés pour s'emparer aussi rapidement, aussi complètement de moi.

Cette folle d'Yvonne prononcerait qu'il a eu la main prompte, tout simplement, et elle aurait peut-être raison.

Là, je crois, est le secret de sa victoire, en effet. Il n'est point, à coup sûr, un sentimental, et je le préfère ainsi, puisque je me suis mise dans le cas d'avoir des préférences.

Non, vraiment, je ne me sens aucun goût, quoique je sois à peine entrée dans la vie, quoique je n'aie, par conséquent, aucune opinion déterminée sur les choses mondaines, pour les fadaises, pour les élégies. Une impertinence loyale me va mieux qu'une audace hypocrite et me permet de prendre l'attitude qui me convient, d'être indulgente ou rebelle à l'attaque.

Dans la circonstance qui m'occupe, j'ai été indulgente, abominablement indulgente.

Car, enfin, si j'analyse mes sentiments, mes sensations plutôt, je ne puis m'empêcher de dresser devant moi quelques points d'interrogation auxquels je me vois forcée de répondre.

Me suis-je donnée par amour, par intérêt?—Non.—Par dépit, par vengeance, pour opposer à la trahison de mon mari une trahison?—Non.—Par curiosité?—Oui et non, dirais-je, si j'étais Normande. Je suis franche et je dis: oui, mais avec un correctif: un peu.—Sous l'influence d'un désir, d'une excitation nerveuse?—Oui, encore.

En somme, mon cas est pareil à celui de toute femme qui, dans le monde, a un amant.

Peu de femmes, n'en déplaise aux affirmations des romanciers, poétisent, dramatisent ou machiavélisent leurs liaisons. Peu de femmes éprouvent, dans le monde, un réel amour, une réelle passion pour un homme, s'il en est qui deviennent leur maîtresse par intérêt. Peu de femmes, encore, vont à l'amant, inspirées par le proverbe:—«Œil pour œil, dent pour dent.»—Une femme trompée par son mari n'a guère le désir d'exercer, contre lui, des représailles de certain ordre et n'obéit presque jamais à l'irritation d'un sentiment de dépit ou de jalousie. Son orgueil est à l'abri des infidélités du mari, par cela seul qu'elle sait qu'elle n'a qu'un signe à faire pour lui infliger la peine du talion. Cette vengeance est trop facile à la femme pour qu'elle lui reconnaisse beaucoup de prix.

Quant à l'amour, quant à la passion, une femme, dans le monde, y est rarement accessible. Sa vie, toute de pratiques et immédiates jouissances, l'éloigne du rêve, de la méditation, et le monsieur qui viendrait murmurer à son oreille de très jolies paroles, sans doute, mais des paroles qui seraient comme des oiseaux qui n'auraient pas d'ailes, l'ennuierait.

Reste l'abandon de la femme, par curiosité ou par sensualité.—Je crois que c'est le plus général.—Curieuse, la femme l'est, puisqu'on l'affirme assez banalement, d'ailleurs, et il ne lui est pas désagréable de délaisser un peu le catéchisme du bon Dieu, parfois, pour jeter un coup d'œil sur celui du diable. En outre, une femme, quelque résolue qu'elle soit à éviter un... accident, ne s'appartient plus dès l'heure où elle a permis à un homme d'exprimer devant elle, et pour elle, certaines pensées, certaines phrases. Ces phrases, ces pensées qu'elle écoute comme dans un jeu dont elle s'imagine être maîtresse, la troublent à son insu, la caressent davantage selon que l'atmosphère d'un salon est plus ou moins tiède, plus ou moins parfumée, et il arrive que les réalités qu'elles promettent, discrètement, l'attirent sans qu'elle ait bien conscience de leur puissance, de sa propre faiblesse. Elle agit, alors, dans un élan irréfléchi, un peu comme ces marcheurs qui, couverts de sueur et assoiffés, oublient devant un verre d'eau glacée que la mort va les frapper, s'ils le boivent, et l'avalent d'un trait.

Il en a été ainsi de moi, je dois le supposer. Je ne me rends pas exactement compte de la folie qui m'a entraînée. J'ai pris, évidemment, le verre qui m'était offert et je l'ai vidé d'un coup.

Ah, si mon mari, si Jean, pourtant, avait voulu!... Mais pourquoi des regrets? Yvonne ne dit-elle pas que bien sotte est celle qui s'attarde dans son isolement, et la vieille marquise d'Oboso n'affirme-t-elle pas que la femme n'est presque jamais coupable dans le don qu'elle fait d'elle-même?

La marquise puiserait en elle des trésors de logique pour prouver que je ne suis pas en faute et Yvonne trouverait que je deviens terriblement savante, en matière de philosophie amoureuse, si elles lisaient ces lignes.

Je me confesserai à Yvonne, d'ailleurs, avant qu'elle n'apprenne mon aventure par quelque excellente amie qui l'entourerait, certainement, de trop intéressants commentaires.

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