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LE REFUS DE LA FEMME

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Les thés de la vieille marquise d'Oboso deviennent décidément très intéressants, très suggestifs.

La conversation a été vive, chez elle, aujourd'hui, et un grand émoi agitait ces dames. Il faut avouer qu'il était justifié. Il n'était question, en effet, que de l'accident arrivé au petit vicomte d'Arnoux—un gentil et aimable garçon—qui vient de se tuer pour la «belle madame» de Sillé.

C'est toute une histoire.

Ce pauvre d'Arnoux aimait, paraît-il, la jolie baronne de Sillé et, lui ayant fait l'aveu de son affection, n'avait point trop mal été accueilli.

La baronne est une flirteuse enragée. Elle écouta, sans doute, les propos de M. d'Arnoux comme elle avait écouté ceux de beaucoup d'autres hommes; mais, dans le cas présent, elle se trouva en face d'un «entreprenant,» et elle se vit engagée, dit-on, plus qu'elle ne le voulait. On sait que Mme de Sillé n'a aucune liaison et se refuse à toute aventure trop réelle. C'est l'une de ces femmes qui se plaisent à jouer avec un homme ainsi qu'un chat avec une souris. Dès qu'elle comprit que l'amabilité des entretiens qu'elle accordait au petit vicomte ne le satisfaisait plus, semblait devoir être remplacée par des témoignages moins platoniques de sympathie, elle se déroba et ferma sa porte comme son cœur à son amoureux.

M. d'Arnoux, fou de passion, pria, pleura, menaça. Rien ne réussit à lui rendre favorable sa flirteuse.

—J'ai goûté du charme dans votre conversation, lui dit-elle, et je l'ai recherchée. Mais cela signifie-t-il que je vous aime, que je vous aie autorisé à m'aimer? Non.—Le mieux est de nous séparer, puisque notre rapprochement crée un tourment pour vous, un danger pour moi. Je ne vous aime pas, d'ailleurs, comme vous le souhaitez et, si je suis flattée de votre affection, je ne peux pas, dans le seul but de la récompenser, vous donner un espoir qui ne doit pas être.

Mme de Sillé a été très correcte, trop correcte même, puisque c'est de cette correction que le pauvre d'Arnoux est mort.

—Vous ne m'aimez pas et vous me repoussez, répliqua-t-il. Soit.—Mais avant d'oublier mon aveu, réfléchissez. Je vous aime, moi. Or, si vous persistez dans votre résolution de n'être jamais à moi, je vous jure que je me tuerai. Demain, je vous attendrai chez moi, vers trois heures après midi. Si, à quatre heures, je ne vous ai pas vue, vous pourrez commander une couronne pour mon enterrement. Ce sera toujours cela que j'emporterai de vous.

Mme de Sillé crut-elle à une menace puérile ou, tout en devinant la sincérité de ce discours, s'obstina-t-elle à ne point se livrer, malgré elle, à un homme qu'elle n'aimait pas?

Le même fait répond à ces deux questions: elle n'alla pas au rendez-vous du petit d'Arnoux, et le vicomte se tua—se logea, très proprement, une balle sous le sein gauche.

Tel est l'événement qui enfiévrait les imaginations, aujourd'hui, chez la marquise d'Oboso.

Des commentaires, des discussions étaient échangés à l'infini. Dans tout ce flux de paroles, j'ai recueilli deux avis qui me paraissent le plus dignes d'être rapportés.

D'aucunes—et parmi elles, très animées, la marquise et Rolande de Blérac—blâmaient la baronne de Sillé, la traitaient de cruelle, n'étaient pas éloignées de lui faire un procès et de la condamner sévèrement. D'après ces dames, Mme de Sillé n'aurait pas dû se dérober à la supplication du petit d'Arnoux, n'aurait pas dû permettre qu'il se tuât, et, s'étant assurée qu'il était sincère, n'aurait pas dû hésiter, même ne l'aimant pas, à se donner à lui. La marquise rappela même, à ce propos, le mot d'une femme d'esprit:—«Cela coûte si peu à la femme et fait tant de plaisir à l'homme.»

Si l'on s'en était tenu à l'opinion de Rolande et de Mme d'Oboso, Mme de Sillé était, désormais, disqualifiée comme femme, dans le monde, ainsi qu'un simple cheval de course qui révèle, aux amateurs, une tare.

On l'a défendue, heureusement. Mme de Sorget, Yvonne—Yvonne très en beauté—ont pris courageusement sa cause en main et ont plaidé, pour elle—non coupable.

—Madame de Sillé a bien agi, a déclaré Yvonne. Ce petit d'Arnoux n'était qu'un imbécile et qu'un goujat, n'en déplaise à sa mémoire. Comment, parce qu'une femme a bien voulu l'admettre dans son intimité, il en devient amoureux—ce qui est excusable—et il tente de lui faire violence dans ses sentiments, dans ses sensations, pour la posséder, alors qu'il sait qu'il n'en est pas aimé. C'est de la pure démence. Et madame de Sillé a bien agi, je le répète, en ne cédant pas à des menaces, en conservant son indépendance, la propriété d'elle-même.—Un homme comme M. d'Arnoux n'est qu'un vulgaire égoïste. Il ne voit, dans la femme, qu'un instrument de plaisir personnel et n'a rien d'un amant véritable. Peu lui importe qu'une femme pleure, souffre, s'humilie par lui, pourvu qu'il lui arrache la soumission qui le fera heureux, pourvu que toute la joie soit à lui et que tout le sacrifice appartienne à celle qu'il convoite. De pareils sentiments sont monstrueux, et la femme qui les excuserait ne serait qu'une sotte. Pourquoi la femme serait-elle la victime de l'homme, en amour? Pensez-vous que si Mme de Sillé avait aimé le petit d'Arnoux sans en être aimée, elle eût beaucoup obtenu de son dévoûment, en lui exposant sa peine? Le petit d'Arnoux aurait ri du «béguin de cette bonne baronne» et s'en serait allé vers des satisfactions qui l'eussent davantage contenté. On ne le condamnerait pas. Eh bien, je m'oppose à ce que l'on condamne madame de Sillé.—L'homme qui n'aime pas une femme se détourne d'elle, impitoyablement, et n'a aucun souci de ses larmes. Je demande qu'il soit admis, une fois pour toutes, que la femme qui n'aimera pas un homme ne s'émeuve que très relativement devant ses prières, ses menaces ou ses folies.—Sommes-nous donc des bêtes, et n'avons-nous pas la libre disposition de nous-mêmes?

L'opinion d'Yvonne a prévalu. J'avoue que j'en ai approuvé l'expression.

J'y ajouterai, cependant, un amendement: il me semble équitable que la femme, pour être tout à fait dans son droit, en se refusant à l'homme qu'elle n'aime pas et qui la veut, qui la menace, férocement égoïste, devrait lui témoigner une extrême réserve dans la cour qu'il lui offre, devrait éviter de provoquer son désir.

Mme de Sillé ayant beaucoup flirté avec le petit d'Arnoux n'aura-t-elle pas quelque remords?

Carnet d'une femme

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