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LES ÉTAPES DE LA FEMME

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Il semble qu'à Paris, la femme, en son existence, marche comme dans une prédestination, parcourt, ainsi que dans une suggestion, des étapes correspondant à chacun de ses états d'âme, ainsi qu'on dit aujourd'hui, pareille au petit soldat qu'une feuille de route arrête, ici et là—petit soldat aussi, enjuponné, allant à l'amour, très brave, comme l'autre, celui qui a des culottes rouges, va à la bataille; à l'amour, oui; que ce soit dans toute la virginité de son âme et de son corps, que ce soit dans tous les désirs de son cœur, dans toute l'initiation de ses sens.

A onze ans, communiante, en des voiles de fantôme, elle passe, le regard animé d'une flamme dont elle ne comprend pas la chaleur—vision charmeuse—sous les voûtes des temples; et dans le brouillard odorant que jette l'encens autour des autels, elle s'avance vers Jésus et lui fait offrande d'elle-même. Ses lèvres ont des murmures et des chants. Elle prie et, dans sa prière, glisse comme le frisson mystique d'un amour divin; elle gazouille un cantique et, à la mélodie douce et monotone qui fuit de sa bouche, se mêle comme un cri d'extatique attachement. Blanche d'âme et blanche de corps, dans sa robe blanche, elle frémit à l'approche de son Dieu et elle le reçoit comme dans une envolée parmi les anges, comme dans un sommeil, comme dans une langueur qui mettent, en elle, de la force et du bonheur.

Il est des femmes qui n'ont aimé qu'une fois dans leur vie: au jour de leur première communion.

En parure de mariée, au pied de ce même autel qui la vit radieuse, la femme ne retrouve plus les sensationnelles délices de sa prime jeunesse. Les orgues qui harmonisent, l'encens qui fume et monte, devant elle, troublant ses nerfs, et non plus sa seule âme, la grisent comme naguère; mais sa griserie est matérielle; mais sa méditation—si elle prie encore—va vers le Paradis terrestre, vers le Paradis où l'on apprend et où l'on commet le Péché; mais les fleurs qu'elle souhaite et dont l'odeur l'enivre, ne sont plus des lis: sa pensée effeuille des roses.

Si elle est de bonne maison, elle s'endormira le soir, placidement, et dans le silence de la chambre nuptiale, craintive, docile au sacrifice, auprès de l'époux; si elle est du peuple, elle oubliera l'écharpe de M. le maire ainsi que la bénédiction de M. le curé, dans un festin, en une guinguette, et dans un déhanchement de clodoches—souvenir des bals de mi-carême où elle fut reine, peut-être—elle mettra toutes les promesses de sa nuit de noces.

Elle sera, un jour, l'infidèle. L'ennui—ce valet sans gages au service de don Juan comme du plus simple imbécile—la prendra et l'amènera, tranquillement, souvent, non sans révolte parfois, vers l'Inconnu.

Elle aura des larmes, elle aura de la honte, après la faute; mais elle ne s'appartiendra plus.

Elle ira dans le mensonge, dans l'hypocrisie, exaltant ses actes, les excusant, en rejetant, avec raison souvent, toute la responsabilité sur son mari; ne songeant à rien de toutes ces choses même et, un beau matin, elle sortira de sa folie, abattue, isolée, comme meurtrie par une longue lutte, comme brisée par un dur voyage, n'ayant plus d'époux, n'ayant plus de nom—que celui de son baptême qu'elle livrera aux galants, amateurs de joies faciles.

Et ce sera la courtisane; c'est-à-dire le sphynx parisien, non point impassible comme l'autre—l'antique—celui dont le profil se découpe, morne, sur l'infini du désert; mais rieur, aux yeux accrocheurs et terribles, dont la lueur plonge au fond des goussets et des portefeuilles—le sphynx parisien accroupi dans l'étincellement féerique des lieux publics, des boulevards ou des boudoirs—légendaire toujours, pourtant, et posant à l'homme l'Enigme indéchiffrable de son cœur et de sa chair, sans craindre l'Œdipe qui violera son secret.

Si elle est intelligente, après s'être arrêtée rêveuse, quelquefois, devant les vitrines des papetiers pleines de photographies d'actrices, elle se dira que le théâtre n'est point inaccessible aux jolies femmes et elle forcera les portes de quelques coulisses où l'on rencontre plus d'épaules décolletées et de mollets dévêtus que de talents. Un soir, grâce à un couplet égrillard qu'elle aura obtenu d'un auteur et qu'elle lancera dans un mince filet de voix accompagné de gestes polissons, elle recevra un bouquet fait de fleurs qui parlent et dès lors elle dosera ses baisers.

Paris est un enfer et les femmes sont les démones qui le peuplent. Mais il est le ciel aussi—le ciel qui a des anges.

Là-bas—dans un jour triste sans cesse, s'élève l'hôpital et, dans son silence seulement rompu par les plaintes des malades et des mourants, passent, légères—comme des vapeurs mystiques—des silhouettes de femmes consolatrices et bonnes. Elles sont, elles aussi, tout amour, et leur cœur s'est donné aux souffrants. Elles sont restées les saintes, les pures qui, pour la première fois, enveloppées de voiles virginaux, communièrent jadis dans l'église populeuse ou dans la chapelle patricienne, et le jour qui vit tomber sur leurs lèvres l'hostie, y mit, pour jamais, la foi. Elles vont vers Dieu.

Il faut les vénérer, comme après tout il faut peut-être aimer celles que la vie a faites épouses, infidèles, courtisanes ou cabotines.

Tous les chemins mènent à Rome, dit un proverbe. Qui sait si tous les amours ne mènent pas à Dieu?...

Carnet d'une femme

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