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LE PÉCHÉ

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Yvonne n'est pas seule, paraît-il, à posséder des opinions spéciales sur les choses d'amour, et cette après-midi, au thé de la vieille marquise d'Oboso, une Espagnole parisianisée, ces dames ont rivalisé de discours étranges à ce sujet.—Yvonne n'était pas la moins empressée à se faire remarquer par ses aperçus originaux, mais ce n'est pas elle qui a obtenu le prix d'éloquence. Le croirait-on? C'est la marquise qui a émis les avis les plus subversifs et qui nous a toutes «collées.»

Rolande était là; mais elle n'a rien dit. Je ne l'ai pas boudée et elle a semblé un peu étonnée de mon attitude indifférente. Je profite des leçons d'Yvonne.

Comme on était fatigué de médire des hommes, de les calomnier même, la toute blonde et toute mignonne Mme de Sorget s'est tout à coup écriée:

—Si nous parlions des femmes... Ça serait peut-être plus suggestif.

Et l'on a parlé des femmes, ou plutôt de la femme. Il y a une nuance, m'a-t-on assuré, entre ce pluriel qui généralise et ce singulier qui synthétise.

Je commence à penser que la femme ne devient intéressante qu'autant qu'elle s'émancipe, se pervertit, car on ne s'est entretenu, chez Mme d'Oboso, que des conditions en lesquelles elle est amenée à commettre des... irrégularités.

Ces conditions ont été classées, par la marquise, en quatre questions principales. Je les transcris, sur ce carnet, aussi exactement qu'il est en mon pouvoir.

1º La femme commet-elle le Péché en prenant un amant qu'elle aime et dont elle est aimée?

«—Je serai nette, a dit Mme d'Oboso avec une certaine onction dans la voix. Ecartant, tout d'abord, la qualité sociale de la femme, négligeant son état de fille, de veuve, ou d'épouse, l'envisageant simplement comme femme, je répondrai qu'elle ne commet aucunement une faute en se donnant à l'homme que son cœur ou que ses sens ont désiré.

«Je suis en désaccord, ici, avec ce qu'on appelle, un peu pompeusement, les conventions sociales, je le sais; mais je pense que les conventions sociales, faites, le plus souvent, d'injustes appréciations, d'égoïsme, d'hypocrisie, sont surtout appliquées à la femme dans l'exagération inique d'un rigorisme intéressé.

«Les conventions sociales ne veulent point admettre que la femme peut avoir les mêmes appétits physiques, les mêmes entraînements d'esprit et de chair qui, chez l'homme, sont regardés comme étant sans importance; et parce qu'elle porte, en elle, une maternité possible, elles la condamnent, elles l'enchaînent dans toute l'évolution de son existence.

«La morale ordinaire est établie sur une fausse vision des choses, et la femme qui, aimant, ose la braver en se livrant à l'homme qu'elle souhaite, à l'homme qui la fait irrésistiblement tressaillir en son âme comme en son sang, n'est pas coupable. Et elle n'est pas coupable parce qu'elle obéit à une impulsion plus puissante que sa volonté, que ses hésitations, que son instinctive pudeur, à une impulsion qui la rend inconsciente de l'acte qu'elle va accomplir.

«Un affamé à qui l'on présente un morceau de pain, se jette sur ce morceau de pain et le dévore, sans connaître son mouvement. Une femme amoureuse cède à la même influence mystérieuse qui s'impose aux êtres dans toute occasion extrême de la vie, en allant vers celui de qui elle attend la satisfaction de ses intimes joies.

«Je n'assure pas que ce que je viens de dire soit pour être agréable aux duègnes, aux jaloux et aux maris. Toute leur surveillance, toute leur autorité ne sauraient détruire le mécanisme de l'être humain. Un mari jaloux et trompé, d'ailleurs, m'a toujours paru ressembler à un aveugle qui, dans son regret de la lumière, voudrait que tous les hommes fussent privés de la vue.»

Il y eut de petits rires, parmi nous. Mais Mme d'Oboso posait la seconde question et l'on écouta.

2º La femme commet-elle le Péché en prenant un amant qu'elle n'aime pas, dans le seul souci de son intérêt?

La marquise se fit très sévère et c'est d'un ton indigné, presque, qu'elle formula cette déclaration:

«—La femme qui, n'aimant pas, devient la maîtresse d'un homme dans le but de tirer, de cet homme, un contentement d'intérêts matériels, est consciente de son action.

«Afin de s'attacher l'amant, elle doit lui offrir, sans cesse, la certitude d'une affection, d'une sympathie qu'elle n'éprouve pas.—Elle est obligatoirement hypocrite. Partant, coupable.

«Son cas est pareil à celui d'un commerçant qui vendrait une marchandise frelatée et qui abuserait ainsi de la confiance de l'acheteur.»

Toutes les têtes restèrent droites, tous les regards sans confusion, et nulle n'interrompit la marquise qui s'apprêtait à poursuivre son cours de psychologie amoureuse.

3º La femme commet-elle le Péché en prenant, à la fois, deux amants qu'elle aime différemment?

Un sourire malicieux éclaira la face ridée de notre vieille amie, et c'est avec un accent presque mystérieux qu'elle donna son avis:

«—La question est subtile et faite, encore, pour déranger l'ordre de la morale ordinaire.

«Une femme peut, sans pécher, aimer deux hommes à la fois, soit que, séparément, ils provoquent en elle des sensations et des sentiments qui la réjouissent, la font vivre de manières diverses et nécessaires à son tempérament, soit que réunis, en sa pensée, ils complètent, l'un par l'autre, son idéal et son désir.

«Elle ira vers ces deux hommes, alternativement, dans la même inconscience qui caractérise toute femme recherchant le baiser de l'amant unique, et elle pourra oublier son ami brun dans les bras de son ami blond, comme aussi elle pourra songer à son ami blond, en se livrant, sans illusion sur la présence réelle de la personne, aux caresses de son ami brun.

«Son plaisir même, alors, s'accroîtra de toute la somme de désir qui la porte vers l'un et vers l'autre; il sera plus complet. Dans la possession effective de l'un et dans le souvenir de l'autre, intimement rapprochés au moment suprême de l'abandon, elle goûtera l'ivresse absolue.»

Un peu de houle se produisit autour de la marquise qui l'apaisa d'un geste bénisseur et qui formula la quatrième et redoutable interrogation.

4º La femme commet-elle le Péché en se laissant aimer par une femme et en l'aimant?

Quelques joues devinrent très rouges, des «oh» pudiques se firent entendre, mais Mme d'Oboso continua sa démonstration et l'on fut tout oreilles.

«—Si l'on prenait, sur cette question, l'avis des Anciens, fit-elle, on répondrait négativement. Mais la société mondaine actuelle n'a pas la liberté de pensée des Anciens et l'amour de la femme pour la femme se présente à elle comme une monstruosité.

«Au risque, pourtant, de paraître ce que je ne suis pas—une dépravée—je dirai, avec ceux d'autrefois, que la femme qui aime une femme, ne me semble pas coupable.

«La femme a une vision toute particulière des choses et, dans l'amour qu'elle ressentira pour une femme, elle obéira tout autant à cette vision qu'à une perversion de son esprit ou de ses sens.

«L'aspect physique des choses—je répète ce mot—a une influence considérable sur la femme et une femme, dans sa grâce, dans sa beauté, dans le coquet agencement de sa mise, frappera le regard de l'une de ses pareilles avec plus d'intensité passionnelle, souvent, que l'homme le mieux bâti, le plus élégant. Gracieuse, jolie, coquette, elle se sentira attirée par ces attraits reproduits en sa compagne, comme son propre reflet, et l'aimera—c'est peut-être le cas le plus fréquent—comme une autre elle-même. Elle sera heureuse de retrouver en une femme ce qu'elle adore en elle, de se mirer en une femme ainsi qu'en un miroir et, dans la caresse qui la chatouillera à son contact, elle oubliera l'homme, elle éprouvera même l'effroi de sa possession un peu brutale, elle s'alanguira dans la maligne jouissance d'un rêve déguisé, d'une réalité à peine palpable.

«Il y a, ici, inconscience encore; il y a, ici, une force physique et psychique qui commande à la femme et qui la fait irresponsable de ses actes. Il ne peut donc y avoir Péché.»

S'étant ainsi exprimée, la marquise, sans prêter attention à des chuchotements qui couraient dans le salon, se reposa; puis, s'adressant à nous toutes, comme un professeur à ses élèves, elle a conclu par cette anecdote qui nous apparut, dans sa simplicité, ainsi qu'une fine et énigmatique ironie:

«—J'ai connu une dame, délicieuse vieille toute imprégnée de dix-huitième siècle, qui se montrait fort bienveillante aux amoureux et qui avait coutume de murmurer, en parlant du péché d'amour, sous quelque forme qu'il se présentât à elle:

«—C'est les deux tiers de la vie.

«Je reprendrai la phrase de la vieille et spirituelle femme et, la corrigeant un peu, je dirai:

«—C'est toute la vie.

«Nous compterons, plus tard, mes mignonnes, si je suis encore de ce monde, combien il se trouvera de femmes, parmi vous, qui me démentiront.»

J'ignore ce que, plus tard, je serai en mesure de confesser à la marquise. Mais ce que je sais bien, actuellement, c'est que je ne regrette pas d'être allée, aujourd'hui, chez Mme d'Oboso.

Carnet d'une femme

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